Loujain Al-Hathloul, militante féministe saoudienne, est la lauréate du Prix Václav Havel
Depuis 2013, le prix Václav Havel est remis tous les ans à des personnalités de la société civile qui œuvrent activement pour la défense des droits humains. Lundi, lors d’une cérémonie au Palais de l’Europe à Strasbourg, jour de l’ouverture de la session plénière de printemps de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), le prix Václav Havel a été décerné à Loujain Al-Hathloul, une des figures majeures du mouvement féministe en Arabie saoudite qui a payé le prix fort pour son engagement.
« Václav Havel continue de nous inciter à voir grand. Comme il le disait lui-même, nous ne devrions pas craindre de rêver de ce qui semble impossible. Si nous voulons que quelque chose d’impossible devienne réalité, le monde deviendra meilleur si nous avons le courage de lever les yeux vers les étoiles. Il l’a déclaré dans cette salle même. Et nos trois nominées ont toutes le courage, la passion, l'énergie et la détermination de rêver en grand. Et de se battre pour réaliser leurs rêves d'un monde meilleur et plus égalitaire. Un monde où les femmes sont traitées avec dignité et respect. »
C’est par ces mots rappelant l’importance de l’héritage de l’ancien président tchèque et dissident au régime communiste Václav Havel que Rik Daems, président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a présenté les trois nominées pour le Prix des droits de l’homme 2020 : la militante féministe saoudienne Loujain Al-Hathloul, les sœurs de l'Ordre Drukpa au Népal, un groupe de jeunes nonnes bouddhistes qui promeuvent l'égalité des genres, la durabilité environnementale et la tolérance interculturelle dans leurs villages d'origine de l'Himalaya, et Julienne Lusenge, qui a collecté des informations concernant des abus sexuels et des actes de violence contre les femmes au Congo.
Le prix Václav Havel 2020 avait été reporté en raison de la pandémie et sa cérémonie, « hybride », s’est déroulée à la fois au Palais de l’Europe à Strasbourg et en ligne pour les trois nominées.
La lauréate du prix, Loujain Al-Hathloul, est une des figures principales du mouvement féministe saoudien qui se bat pour mettre fin au système patriarcal qui fait des femmes d’éternelles mineures sous tutelle masculine. Arrêtée en 2018, elle avait été condamnée à cinq ans et huit mois de prison en vertu d’une loi « antiterroriste ». Finalement libérée en février 2020, elle est toujours soumise à de nombreuses restrictions et pressions dans son pays. C’est sa sœur Lina, qui a accepté le prix Václav Havel en son nom lundi. Elle a bien voulu répondre à nos questions :
« Loujain va bien physiquement, en tout cas mieux. Quand elle est sortie de prison, elle avait fait deux grèves de la faim, donc elle était très amaigrie, et fatiguée de mois d’isolement et de tortures. Elle va mieux physiquement donc. Moralement, elle est toujours la femme forte qu’elle était avant ces années de prison, mais bien sûr tout ce harcèlement, ces pressions, font qu’elle n’est pas totalement à l’aise à la maison. Il y a encore une interdiction de sortie du territoire pendant cinq ans. En outre, le gouvernement saoudien ne cesse de la harceler. Il y a quelques semaines, elle a reçu un avertissement de Gmail l’informant qu’il y avait eu une tentative de hacker son compte Gmail par une partie considérée comme gouvernementale. On voit donc que le harcèlement ne cesse pas et qu’on essaye de la briser malgré sa libération. »
Si j’ai bien compris Loujain est assignée à résidence ?
« Pas exactement, elle est interdite de sortie du territoire saoudien. Elle peut donc sortir de la maison, tant qu’elle ne sort pas des frontières du pays. »
Y a-t-il des procédures juridiques en cours pour obtenir d’éventuelles réparations ?
« Loujain a d’abord été condamnée par un tribunal antiterroriste. Elle a fait appel de cette décision. La cour d’appel a maintenu la décision, puis elle a été à la Cour suprême qui avait 30 jours pour répondre. Cela n’a pas été fait. Donc, ce n’est pas clair, on ne sait pas exactement où en est la procédure. Loujain veut épuiser tous les moyens légaux et judiciaires du pays. Elle ne veut pas abandonner du tout, elle est déçue d’être considérée comme une terroriste alors qu’elle est une activiste et qu’elle a sacrifié sa vie, sa liberté et sa jeunesse pour les libertés des femmes saoudiennes. Quand Loujain a été arrêtée, les journaux saoudiens ont pris part à une campagne de diffamation contre elle, en disant qu’elle était une traîtresse, qu’elle était espionne et agente travaillant pour des Etats ennemis. Loujain veut porter plainte contre ces journaux qui ont participé à cette propagande. »
Au niveau de la communauté internationale, quels sont les leviers qui existent ? Il y a évidemment les prix comme le prix Vaclav Havel. C’est quelque chose de symbolique qui peut renforcer encore l’intérêt de la communauté internationale pour votre sœur Loujain et son combat en particulier et pour les femmes saoudiennes en général. N’y a-t-il pas d’autres moyens de pression sur le régime saoudien ?
« Pour ce qui est de Loujain en particulier, tout ce qui est de l’ordre des prix et de la reconnaissance internationale, cela aide vraiment à la sauver et cela a contribué à mettre la pression sur le gouvernement pour la libérer. Mais la situation en Arabie saoudite n’a pas changé avec la libération de Loujain. Je ne suis pas pour les sanctions économiques car en général c’est le peuple qui en est la première victime. Je pense qu’il y a d’autres leviers parmi lesquels des sanctions contre des individus en particulier dans le gouvernement, du type de la loi Magnitski. Aux Etats-Unis, l’administration Biden avait dit qu’elle serait intransigeante et qu’elle ferait en sorte que les responsables de l’assassinat de Khashoggi seraient sanctionnés. Finalement on voit que le principal responsable, le prince héritier, n’a pas été inquiété. Je pense qu’il y a une certaine fragilité de la communauté internationale qui n’ose pas être claire et stricte dans ces sanctions-là. Je pense que la seule chose qui pourrait aider le pays à avancer et à respecter les droits humains, c’est de ne plus laisser les criminels marcher en toute impunité. Je pense qu’il existe au sein de l’UE un mécanisme visant à sanctionner les violations des droits humains dans d’autres pays. Il faudrait donc sanctionner les personnes responsables des tortures subies par ma sœur et de l’emprisonnement d’activistes qui n’ont commis aucun crime. »
Comment votre sœur Loujain voit-elle son avenir ?
« Loujain a un tel amour pour son pays qu’elle ne soit pas ailleurs. Elle a toujours dit qu’elle voulait rester au Moyen-Orient, dans les pays du Golfe. Pendant ces cinq années d’interdiction de sortie du territoire, elle va continuer à se battre pour en sortir. Pas pour quitter l’Arabie saoudite, mais pour pouvoir avoir cette liberté et ce droit fondamental de se déplacer. C’est une question de principe. Dès les premières semaines de sa libération, elle a essayé de vivre à nouveau une vie normale : avec un travail, en voyant sa famille et ses amis. Loujain est très résiliente, elle ne veut pas abandonner son combat. Tant qu’elle n’aura pas le droit de sortir du pays, elle se battra pour le récupérer. »
Que représente ce prix Václav Havel pour Loujain, puisqu’il est lié au nom de l’ancien président tchèque et ancien dissident qui s’est opposé au régime communiste en son temps ?
« C’est un honneur que ma sœur soit sur une liste qui comporte les noms de telles personnalités, aussi résilientes, aussi courageuses et attachées à leurs valeurs… Ils ont finalement vraiment changé leur pays et ont été les sources de changements positifs. C’est un honneur, et cela nous donne le courage de continuer surtout quand on a un gouvernement aussi puissant et protégé au niveau international. Quand Loujain voit qu’elle est comparée à de telles personnes, ça lui redonne de la force et du courage pour continuer son combat. »
Doté de 60 000 euros, le prix Václav Havel a distingué depuis sa création plusieurs personnalités qui, dans leur pays ou en exil, luttent pour la défense des droits de l’homme. Lors de la dernière édition, en 2019, il avait été décerné conjointement à l’intellectuel ouïghour Ilham Tohti et à une initiative de jeunes œuvrant à la réconciliation dans les Balkans.