Lutte contre le téléchargement illégal : la République tchèque a signé l'Accord commercial anti-contrefaçon

Photo: CTK

L’Accord commercial anti-contrefaçon, ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), a été signé par 22 Etats de l’Union européenne et douze autres pays du monde à Tokyo, le 26 janvier 2012. Conçu comme un traité international multilatéral visant à fournir un cadre juridique à la protection de la propriété intellectuelle, l’ACTA est l’objet de vives critiques de la part de la société civile et d’une partie de la classe politique européenne qui dénonce le flou juridique du texte, l’opacité des négociations qui ont mené à sa signature ainsi que les atteintes aux libertés individuelles qu’il pourrait générer s’il entrait en vigueur. La République tchèque n’est pas en reste…

Photo: CTK
La lutte contre la contrefaçon et le téléchargement illégal s’intensifie. A la suite de l’arrestation très médiatique à Oakland en Australie, le 20 janvier dernier, du fondateur du site de partage de fichiers Megaupload, Kim Schmitz, 12 Etats du monde et la majorité des pays membres de l’Union européenne, dont la République tchèque ont signé le traité international de lutte contre la contrefaçon. Cet accord vise à renforcer la protection des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle commerciale et est destiné à fournir les moyens de lutter contre le partage de fichiers illégaux sur Internet. C’est ce dernier aspect de l’accord qui soulève aujourd’hui l’opposition de la société civile et d’une partie de la classe politique en Europe, dont la République tchèque.

Zuzana Roithová
Avant d’entrer en vigueur, l’accord doit toutefois être validé par plus de la moitié des députés européens. La députée européenne tchèque du parti des chrétiens démocrates (KDU-ČSL), Suzana Roithová, est l’une des principales personnalités du pays à s’être soulevée contre le texte. Dans un entretien accordé au journal Lidové Noviny, elle critique ainsi le fait que la rédaction du texte a été négociée dans la plus grande discrétion et sans consulter les associations citoyennes de défense de libertés individuelles. Elle déclare ainsi « que la signature du texte a été un faux pas du point de vue de la transparence, puisque, lors des négociations, le texte n’était pas accessible aux députés ». Elle rappelle en outre que la première version du texte a été donnée aux députés par les corporations américaines des maisons de disques et des producteurs de films.

Si l’accord international touche tous les domaines de la propriété intellectuelle, c’est avant tout, la question de la libre utilisation de l’Internet qui mobilise dans la rue depuis plusieurs jours une partie de la société en Europe contre l’adoption du texte. Le rédacteur en chef du site internet root.cz, Petr Krčmář rappelle les principaux dangers de l’entrée en vigueur du texte :

Petr Krčmář
« Les protestations sont organisées par les utilisateurs d’Internet qui sont mécontents du fait que l’accord ACTA touche de manière très désagréable, à toutes les interfaces électroniques. Les conséquences concernent tous les utilisateurs dans le monde. A mon sens, les clauses de l’accord ne sont pas dirigées contre les problèmes que le texte est censé résoudre, mais permettent tous types de contrôles sans savoir s’ils entrent en contradiction avec la loi. »

Le texte prévoit, entre autres, la possibilité de procéder, dans les pays signataires, à des contrôles aux frontières du contenu de toutes les surfaces électroniques (ordinateurs, lecteurs MP3, téléphones, etc.) susceptibles de contenir des fichiers illégaux. Par ailleurs, l’accord entend renforcer le contrôle systématique des usagers du web et contribuer à la responsabilisation des fournisseurs d’accès et des serveurs internet ; mesures qui ne sont pas sans inquiéter les professionnels du secteur car, comme le signale Petr Krčmář, celles-ci conduiraient à des atteintes graves à la liberté des utilisateurs et à la protection des données personnelles :

Photo: Raven3k / Stock.XCHNG
« Le texte ajoute à la responsabilité des utilisateurs, tel que c’est le cas actuellement, celle des fournisseurs d’accès à Internet. Pour cela, il faudra un monitoring massif des utilisateurs et suivre ce que les internautes font sur Internet et les déconnecter s’ils font quelque chose qui ne plaît pas à quelqu’un. Cela rappelle le totalitarisme que nous avons vécu il ya plus de vingt ans. »

Le spécialiste de la sécurité informatique et du droit de l’Internet, Vladimír Smejkal, rappelle quant à lui que l’Internet ne peut pas être considéré comme un monde totalement virtuel mais doit être, au contraire, replacé dans son contexte social et politique :

« Oublions qu’Internet est un environnement libre. Internet fait également partie de l’ordre juridique. Ce qui a valeur de loi dans le monde physique doit aussi avoir valeur de loi dans l’Internet et donc, entre autres, qu’il ne faut pas voler. Je considère donc que l’initiative prise par les signataires est juste et qu’il nécessaire de sauter à pieds joints dedans. »

L’un des principaux obstacles est toutefois l’absence, de la Russie, de la Chine et de l’Inde qui n’ont pas signé le texte, alors que ces pays sont ceux dans lesquels la contrefaçon, sous toutes ses formes, est la plus importante.

Pour l’heure, des manifestations contre l’adoption par le Parlement européen de l’accord devraient se poursuivre dans les différents pays signataires où les attaques des hackers contre les sites gouvernementaux n’ont pas cessé depuis la semaine dernière. A la veille de la signature de l’accord par la République tchèque, le portail du gouvernement tchèque ainsi que celui de l’Union pour la protection des droits d’auteur (OSA - Ochranný svaz autorský) ont été la cible de cyberattaques de la part de hackers du groupe Anonymous, ceux-là même qui avaient piraté le site de l'Elysée, il y a une semaine.