Mais quelle est donc la durée d’une « année hongroise » ?

Photo: André Karwath, CC BY-SA 2.5 Generic

La langue tchèque est déjà suffisamment difficile comme cela pour ne pas devoir en plus nous intéresser au hongrois. C’est pourtant bien, allez, soyons un peu fous, ce que nous allons faire. Et il ne s’agira ici ni de goulasch, spécialité magyare que les Tchèques, comme d’autres peuples d’Europe centrale, ont fait leur, pas plus que de Téliszalámi, ce salami hongrois que les Tchèques ont rebaptisé « uherák » non pas en raccourcissant la saucisse mais en contractant ou en abrégeant l’appellation officielle composée de l’adjectif « uherský » pour « hongrois » et du substantif « salám », le tout bien entendu pour mieux en imiter la production et en faire là aussi, au bout du compte, presque une spécialité nationale. Non, si nous nous intéressons à la Hongrie, ce n’est pas non plus pour évoquer la tristement célèbre « tactique du salami » - « salámová metoda », de l’ancien parti communiste, mais plutôt pour évoquer une expression certes très courante mais curieuse de la langue tchèque, l’expression selon laquelle il existerait « une année hongroise » - « uherský rok ». Et la question qui nous taraude l’esprit est bien entendu de savoir ce que peut être « une année hongroise », du moins selon les Tchèques…

Avant de nous lancer dans nos « grandes » explications, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler tout d’abord qu’en tchèque l’adjectif « maďarský »équivaut à « magyar » en français et que « uherský » signifie « hongrois ». Attention, toutefois, « Hongrie » ne se dit pas « Uhersko » comme on pourrait logiquement le déduire, mais « Maďarsko », tandis que « Uhersko » ou « Uhry » désigne l’ancien Royaume de Hongrie – « Uherské království », glorieuse monarchie de l’Empire avec l’Autriche qui a été officiellement abolie en 1946 pour laisser la place à une République dont les communistes ont rapidement pris le contrôle. Un Hongrois est donc un « Maďar », tandis que les « Uhři »étaient les habitants du royaume. Enfin, le hongrois, la langue, se dit « maďarština » et non pas « uherština ». En fait, pour simplifier quelque peu les choses, retenons que le hongrois ne fait pas vraiment de différence entre les qualificatifs « maďarský » - « magyar » donc, et « uherský ».

En un mot, ce qui est magyar est hongrois, et ce qui est « uherský » est également « maďarský », et ce n’est d’ailleurs pas là sans nous faire penser au rapport quasi identique qui existe entre la Bohême, qui se dit « Čechy » en tchèque et était elle aussi un royaume autrefois, et ce que l’on appelle aujourd’hui République tchèque – Česká republika, ou Tchéquie - Česko, une République que l’on a aussi désignée comme « pays tchèques » - « české země » ou « pays de la Couronne tchèque » - « země Koruny české », le tout finalement (et que les Moraves et Silésiens ne nous reprochent pas de les englober dans ce « vaste » ensemble) pour ce qui est toujours plus ou moins le même territoire et le même peuple. Mais cela, nous l’avons déjà évoqué dans des émissions précédentes…

Revenons donc à notre sujet de départ, à savoir chercher à savoir ce que peut bien être une « année magyare », pardon « hongroise » pour les Tchèques. En fait un « uherský rok » est une année longue, très longue même. En tchèque, l’expression exacte dans laquelle il est fait référence à cette « année hongroise » est « jednou za uherský rok », soit, traduit littéralement, « une fois par an(née) hongrois(e) ». En français, les locutions équivalentes pourraient être « une fois toutes les 36 du mois », « aux calendes grecques », « à la Saint-Glinglin », « quand les poules auront des dents » ou encore « la semaine des quatre jeudis », autant de manières imagées de faire comprendre que quelque chose se produit sinon jamais, alors très, trop rarement. Par exemple, des parents ou des grands-parents tchèques qui estimeraient que leurs enfants ou leurs petits-enfants ne leur rendent pas visite assez souvent pourraient leur reprocher de venir les voir et de prendre des nouvelles d’eux « jednou za uherský rok », c’est-à-dire seulement « une fois par année hongroise ». Nous vous l’avons dit, il s’agit là d’une expression très employée par les Tchèques, les exemples pourraient donc être très nombreux, et nous ne doutons pas que vous en avez, vous aussi, déjà plein la tête…

Les Tchèques ne sauraient vous dire quelle est la durée exacte d’une « année hongroise ». Ils en sont même dans l’incapacité, simplement savent-ils que l’expression désigne une période de temps ou une attente très longue. Et si l’on s’en tient au Dictionnaire de la phraséologie et de l’idiomatisme tchèques, on apprend alors que l’apparition de la locution remonte à la seconde moitié du XVIIe siècle, à l’époque des guerres ottomanes en Europe, qui ont opposé les chrétiens aux Turcs en expansion en Europe, et en Europe centrale entre autres. Les soldats des royaumes de Bohême et de Moravie avaient alors été engagés pour aller batailler en « Uhry » - Hongrie. Ces militaires étaient censés partir pour une période déterminée, on peut ici supposer pour un an, mais leur mission étant devenue de plus en longue avec la multiplication des combats, ils sont finalement restés plus longtemps que cela avait été envisagé initialement, un temps interminable et pour « une année » qu’ils ont qualifiée de « hongroise ». Et trois siècles plus tard, bien que les armées turques aient quitté la région, l’expression est toujours là, bien vivante…

Reste à savoir si ces soldats tchèques engagés en Hongrie pour une lutte interminable contre l’envahisseur turc avaient au moins un peu de salami, hongrois cela s’entend, à se mettre sous la dent pour que le temps passe un peu plus vite. Nous en doutons quand même et c’est sur cette incertitude que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve non pas dans une année hongroise, mais dans quinze jours… D’ici-là, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !