Marc Clémeur : « Jenůfa, un drame universel »
L’Opéra national du Rhin à Strasbourg met Leoš Janáček particulièrement à l’honneur. Derrière cette envie de faire découvrir un compositeur parfois trop ignoré du public, hors des frontières de son pays, Marc Clémeur, le directeur de l’Opéra. Fin juin, la saison s’est achevée sur Jenůfa, mais la prochaine prévoit déjà d’autres œuvres de Janáček, comme l’a confié Marc Clémeur
Vous dites qu’il n’est pas assez reconnu du grand public. Comment expliquez-vous cette ignorance, ou en tout cas cette incompréhension ?
« Il a un langage musical qui n’est pas facile quand ont sait qu’à la même époque il y avait encore Puccini et Strauss qui composaient. Deuxièmement, la langue tchèque a longtemps posé problème. En Allemagne, on a longtemps joué Janáček dans la traduction allemande de Max Brod. Mais moi je pense que c’est une erreur de faire Janáček en traduction parce que la langue est tellement liée au langage musical, au rythme tchèque spécifique qu’il faut le faire en tchèque. Mais aujourd’hui, avec les sur-titres, ce problème a été éliminée. Un troisième élément est dû aux mises en scène. C’est pour cela que j’ai choisi un aussi grand metteur en scène que Robert Carsen pour faire ce cycle. Beaucoup de mises en scènes des oeuvres de Janáček que j’ai pu voir restaient trop dans un certain folklore tchèque. Alors que ces drames sont tellement importants ! Quand on voit la Kostelnička qui tue l’enfant dans Jenůfa, ça fait penser à Médée qui tue ses enfants. Ce sont presque des drames grecs qui dépassent un cadre de temps et de lieu. C’est pour cela que j’ai choisi Carsen qui en fait des drames universels. »Quels ont donc été les choix de mise en scène, faits par Carsen ?
« Pour Jenůfa, il y a un dépouillement total. C’est un scène vide sur laquelle se trouve de la vraie terre brune que vous voyez à la campagne, dans les villages. Là-dessus se trouve un ensemble de portes et de fenêtres qui sont bougées par les choristes et les figurants, qui en font des configurations différentes pour suggérer parfois le cadre très étroit dans lequel se trouve Jenufa qui n’est pas acceptée par la population du village. A la fin, quand la Kostelnička confesse qu’elle a tué l’enfant et que Laca et Jenůfa veulent commencer une nouvelle vie, il y a une énorme pluie qui tombe sur la scène et les deux sont mouillés, lavés par cette pluie, comme s’ils voulaient se défaire de tout ce qui s’est passé auparavant, pour commencer une nouvelle vie. Il faut le voir pour le croire ! »En ce qui concerne le chef d’orchestre, comment avez-vous fait votre choix pour trouver quelqu’un qui aborderait Janáček de la meilleure façon qui soit ?
« Vous savez, notre théâtre n’est pas énorme. Nous avons 1200 places et souvent, quand j’entends Janáček dans des théâtres de cette taille, il y a le danger, puisque l’orchestration est très importante dans Janáček, de couvrir les voix. C’est pour cela que j’ai cherché un chef d’orchestre qui dirige Janáček d’une façon très analytique, qu’on entende toutes les voix, que ça reste très transparent, un peu à la façon d’un Pierre Boulez. Si vous entendez Wagner avec Pierre Boulez, ça sonne complètement différemment de Wagner avec quelqu’un d’autre. J’ai recherché un chef d’orchestre qui recherche lui aussi une énorme transparence. C’est donc Friedemann Layer qui avait déjà dirigé beaucoup de Janacek notamment à l’Opéra de Paris, qui fera tout ce cycle. »Donc L’Affaire Makropoulos et Kaťa Kabánová. Robert Carsen sera également à la mise en scène ?
« Absolument. Donc c’est vraiment un grand projet sur plusieurs années. »