Marc Taillefer : « Trouver de nouvelles voies peu toxiques pour fabriquer des médicaments »
Retour, dans ce magazine, sur le 4e Congrès européen de la chimie, organisé la semaine dernière dans la capitale tchèque. Radio Prague avait interviewé, à cette occasion, le directeur de recherche au CNRS à l’Institut Charles Gerhardt de Montpellier, Marc Taillefer, qui a reçu lors de ce congrès, le prix « European sustainable chemistry » pour sa contribution au développement durable en appliquant les concepts de la chimie verte. Invité de notre rubrique Panorama, Marc Taillefer s’explique sur son projet de recherche ainsi que sur la situation du développement durable au niveau planétaire.
« Grâce à la présence de métaux nous arrivons à faire des réactions chimiques, c'est-à-dire à construire des molécules qui peuvent avoir une utilité dans différents domaines. Ces métaux permettent de faire des choses que la nature ne permet pas de faire seule. »
« Les réactions chimiques à l’aide de métaux sont connues depuis bien longtemps, mais ce sur quoi nous travaillons, c’est l’utilisation de métaux qui sont peu coûteux, peu toxiques et non polluants. C’est là qu’intervient donc le cuivre qui est le métal que l’on utilise en priorité avec le fer. »
« Pourquoi le cuivre et le fer ? Parce que les catalyseurs qui sont basés sur ces deux métaux sont des catalyseurs peu toxiques et peu coûteux par opposition, par exemple, à des catalyseurs efficaces mais plus anciens qui sont basés sur des métaux comme le palladium et le platine par exemple. »Et c’est ce qui a donc donné lieu à votre présence ici ?
« Oui, les travaux que nous avons réalisés depuis quelques années maintenant nous ont permis de trouver des réactions chimiques qui permettent de synthétiser des molécules, dont la structure générale, à quelques variations prêt, se retrouve dans à peu près 70% des molécules actives en sciences de la vie. J’entends par molécules actives en sciences de la vie, les médicaments ou traitements préventifs concernant la santé des humains, des animaux ou des plantes. Donc nous avons des réactions peu coûteuses, peu toxiques qui permettent de faire un nombre important de médicaments. »
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce congrès pragois ?
« Ce congrès est un congrès européen qui a lieu tous les deux ans. Il y a des congrès organisés par spécialités dans le monde de la chimie ou des sciences en général. Là, c’est un congrès européen qui regroupe toutes les disciplines, donc transversal, dans lequel tous les domaines de la chimie sont représentés, car la chimie, ce n’est pas seulement la synthèse de médicaments, ce sont aussi des matériaux, la peinture, votre voiture, les avions, l’essence… On rencontre la chimie à chaque moment de notre vie dans la société. Ce congrès regroupe à peu près 2 000 participants et 60 pays y sont représentés. Il n’y a pas seulement des Européens. C’est l’occasion ici de se rencontrer, de discuter et d’élaborer, éventuellement, des collaborations avec des chercheurs d’autres pays. »Donc, dans votre laboratoire à Montpellier, vous êtes amenés à travailler en collaboration avec d’autres pays ?
« Oui, aujourd’hui travailler seul dans son laboratoire, et là je ne parle pas seulement de la chimie mais de la science en général, ça n’aboutit pas ou peu. En science, il faut travailler avec les autres. Il faut s’associer pour puiser des idées ailleurs. Le résultat vient de la collaboration. »
Avez-vous déjà travaillé avec des Tchèques ?
« Non, je n’en ai pas eu l’occasion, mais pourquoi pas ? Justement, c’est l’occasion d’en rencontrer. »
Votre projet est alors basé sur la recherche de médicaments…
« Notre projet, c’est de trouver de nouvelles voies réactionnelles qui soient économiques, peu toxiques et peu polluantes pour fabriquer des médicaments qui sont souvent connus. Notre travail ne consiste pas à trouver des médicaments mais de nouvelles voies d’accès qui soient efficaces, compétitives et écologiques. »Pensez-vous qu’on soit avancé dans ce domaine-là en Europe ? Dans le domaine de l’écologie, de la chimie verte ? J’imagine qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire…
« Au niveau de la prise de conscience, là je ne parle pas de la chimie durable mais du développement durable en général, qui enveloppe tous les domaines, l’Europe est quand même assez avancée, ne serait-ce que par rapport aux Etats-Unis. La prise de conscience aux Etats-Unis, au niveau du citoyen, n’est pas très réelle, mais je pense qu’ils vont vite nous rattraper. »
« Après, il faut savoir que le développement durable, c’est très bien, mais c’est quand même une préoccupation de pays riches. Dans certains pays africains, la préoccupation est d’abord de trouver à manger, donc le développement durable n’est pas leur priorité, ce qui se comprend tout à fait. Donc, oui, je dirais que l’Europe est avancée, car il y a une prise de conscience des citoyens, et c’est ça qui fait avancer un projet. »
« Après, au niveau scientifique, je pense que nous sommes seulement au début. Les avancées technologiques liées aux sciences modernes n’ont qu’un siècle ou deux. C’est une révolution que nous vivons actuellement, sans même nous en rendre compte. Pour le développement durable, c’est un petit peu pareil : la prise de conscience date de vingt ou trente ans, on est sur le départ. Je suis persuadé que d’ici une cinquantaine d’années, nous vivrons dans un monde beaucoup plus ‘écologique’, en tout cas dans nos pays européens. Au niveau mondial ça viendra avec l’enrichissement moyen global des populations, puisque le développement durable, pour une grande partie de la population planétaire, c’est d’avoir de l’eau potable. »Donc il y a de bons espoirs à se faire ?
« Oui, en tant que scientifique, je suis très optimiste. Mais il ne faut pas voir le développement durable simplement à l’échelle de la France, de la République tchèque ou de l’Europe. Il faut le voir de manière globale et dans sa globalité. La planète ne sera verte que lorsque le niveau moyen général de la population planétaire aura atteint un niveau correct, et ça, c’est une priorité. »