Marek Epstein, un auteur tiraillé entre le cinéma et la littérature
Marek Epstein (1975) est sans doute un des meilleurs scénaristes de cinéma tchèque. Il a signé de nombreux scénarios de cinéma et de télévision qui lui ont valu toute une série de prix et de distinctions, il a collaboré avec les meilleurs réalisateurs, mais il est attiré irrésistiblement par la littérature. Le conte et le roman sont pour lui les moyens qui lui permettent de communiquer sans intermédiaire avec son public. Il avoue : « Si je pouvais choisir entre les possibilités d’être un bon écrivain ou un bon scénariste, je choisirais probablement la première possibilité. »
Le travailleur de l’ombre
Scénariste, écrivain, dramaturge, réalisateur, comédien, Marek Epstein a pratiqué avec bonheur toutes ces professions et toutes ces activités. Cependant son talent et son art sont souvent éclipsés par les protagonistes et les réalisateurs des films pour lesquels il écrit ses scénarios. Les spécialistes sont bien conscients de l’importance d’un bon scénario pour le succès d’un film, mais le grand public adore les stars et ne s’intéresse pas tellement au travail de ceux qui ont préparé ce succès. D’ailleurs, Marek Epstein lui-même désirait jadis susciter l’admiration d’un public enthousiaste :
« Je voulais être réalisateur, un réalisateur célèbre. Mais lors du concours d’admission à la faculté de cinéma où je voulais m’inscrire au département Réalisation, j’ai aussi présenté mes contes au département Scénario. J’ai fait donc simultanément deux concours d’admission. Pour des raisons évidentes, je n’ai pas été admis au département Réalisation, et pour des raisons que je ne comprends pas, j’ai été admis au département Scénario. »
La meilleure drogue qui existe
Dans sa jeunesse, Marek Epstein a été un excellent sprinter et il n’a jamais cessé de pratiquer des sports. Il affirme que le sport permet à notre corps de secréter les hormones du bien-être, qu’on en devient dépendant et que l’activité sportive est donc la meilleure drogue qui existe – d’autant qu’elle est la moins chère. C’est sans doute grâce au sport qu’à l’approche de la cinquantaine il garde toujours sa silhouette de jeune homme et résiste tout naturellement au temps qui passe.
Lauréat de plusieurs prix
Marek Epstein a achevé son premier scénario en 2001, et à partir de cette année, il écrit presque régulièrement un et parfois deux scénarios par an. Lauréat de nombreux prix, il est aussi un des rares scénaristes qui a obtenu des distinctions pour des scénarios qui n’ont pas été réalisés. Il dit :
« Chaque prix, chaque distinction qu’on reçoit est beaucoup plus un engagement et moins un plaisir. D’ailleurs, on reçoit ce prix un an ou même deux ans après la première du film, au moment où on travaille déjà sur un autre projet. On reçoit le prix et on se demande : ‘Pourquoi maintenant, pourquoi pour ce film puisque ce que je fais en ce moment est beaucoup mieux.’ On doit aimer ce qu’on est en train de faire et on espère toujours que c’est un pas en avant et que ce sera mieux que ce qu’on a déjà fait. »
Le Charlatan
Sur la liste des scénarios écrits par Marek Epstein pour le grand et le petit écran, il y a des drames, des comédies, des contes de fées, des thrillers psychologiques et même une série policière. Son heure de gloire a sonné lorsque la réalisatrice Agnieszka Holland a décidé de porter à l’écran son scénario intitulé Šarlatán - Le Charlatan. C’est un film inspiré de la vie du célèbre guérisseur Jan Mikolášek (1889-1973) qui a été dans la première moitié du XXe siècle une des personnalités tchécoslovaques les plus adulées, les plus énigmatiques et les plus controversées. Dans la clientèle de cet homme, il y avait la fine fleur de la société tchécoslovaque, mais aussi des dignitaires du Troisième Reich et plus tard même Antonín Zápotocký, président de la Tchécoslovaquie communiste. Il n’était pas facile de cerner la personnalité complexe d’un tel homme dans un scénario mais Marek Epstein a relevé ce défi :
LIRE & ECOUTER
« J’ai lu l’autobiographie de Jan Mikolášek qui n’a pu paraître que dans les années 1990, et qui le montre sous un jour tellement favorable que cela a fini par m’intriguer. Et puis j’ai lu aussi les informations de sa famille sur les facettes occultées de sa personnalité et soudain a commencé à se dessiner devant moi le formidable drame d’un homme qui avait l’immense don de diagnostiquer les maladies. Son existence se situait sur la limite entre le croyable et l’incroyable, et il était harcelé par le sort et les événements de la grande histoire. Et en même temps, c’était le sort d’un homme qui aimait secrètement et dont la vie intime nous semblait incroyable. C’était une histoire passionnante et je voulais essayer de l’écrire. »
La critique destructive et la critique constructive
Bien que la carrière de Marek Epstein soit jonchée de succès, cela ne veut pas dire que le succès ne le quitte jamais et qu’il n’a pas connu les déboires d’un auteur décrié par la critique et abandonné par le public. C’est le film Wilsonov, une comédie fantastique réalisée en coproduction tchéco-slovaque que Marek Epstein considère probablement comme son échec le plus éclatant, mais on dirait qu’il garde quand même un certain faible pour ce film condamné par la critique. Ses rapports avec la critique sont donc assez problématiques, mais ils progressent vers une certaine stabilisation :
« Ce n’est plus tellement important pour moi, je suis plus à l’aise face à la critique parce que j’ai plus de respect pour les gens qui créent quelque chose, pour des artistes actifs. Leur opinion vaut plus pour moi que l’avis d’un critique qui affirme en trois lignes par exemple que j’ai créé un navet. J’ai l’impression qu’il y a un peu trop de gens qui écrivent sur le cinéma. Parmi ces critiques, il n’y a que quelques auteurs que je respecte. J’apprécie leur travail, je lis volontiers leurs critiques parce qu’ils arrivent à définir certains défauts de ce que je fais, et je peux en tirer leçon. Mais les critiques de ce genre ne sont pas assez nombreux. »
Le refuge littéraire
La littérature est donc comme un refuge pour cet homme qui désire communiquer directement avec son public. Il a déjà publié des nouvelles, des recueils de contes et un roman, et il est plus que probable qu’il va récidiver. Dans son dernier recueil de contes intitulé Nerez – Inoxydable, il met en scène des héros dont la paix intérieure est tout à coup perturbée par des événements inattendus. Trahis et blessés par les membres de leurs familles, par la nature et par l’amour, ils se retrouvent déboussolés et cherchent laborieusement le chemin vers la stabilité intérieure.
Dans son roman Dravec - Le Rapace, Marek Epstein retrace le processus de désagrégation d’une famille. Les trois protagonistes du roman, la mère, le père et la fille, racontent à tour de rôle leur histoire et jettent des regards subjectifs sur le drame familial qui se profile avec une plasticité suggestive et tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin.
Partager les émotions
Il est donc évident que Marek Epstein n’est pas qu’un bon scénariste, mais aussi un écrivain de talent, et il est souhaitable que le cinéma et la télévision lui laissent plus de temps pour qu’il puisse développer ce don. D’ailleurs, il avoue que la vraie littérature lui donne plus de satisfaction que l’écriture des scénarios :
« Je dirais que pour les scénaristes qui se mettent à écrire de la prose, c’est une espèce de thérapie psychologique. Ce que j’écris, c’est ce que vous, mon lecteur potentiel, recevrez de moi. Si c’est bien écrit, vous recevrez chaque émotion et vous pouvez la partager avec moi. Mais quand j’écris un scénario, c’est comme si j’écrivais une recette de cuisine. Le résultat ne dépend plus de moi. Je ne décide plus de la façon dont c’est présenté, dont c’est dit. Le livre, la prose, est donc plus proche de ce que je voulais dire, mais elle ne parvient pas à un public aussi important que celui d’un bon film. »
