Masaryk, un président de conviction

Tomas Garrigue Masaryk

Les élections présidentielles battent leur plein en France et occupent la une de l'actualité. Après les résultats du premier tour, les Français se préparent à élire l'homme ou la femme qui prendra en main, pour 5 ans, les destinées du pays. Dans ce contexte brûlant de campagne, nous revenons aujourd'hui sur l'un des grands hommes de l'histoire tchèque, et qui fut aussi le premier président de la République tchécoslovaque : Tomas Garrigue Masaryk.

De superbes moustaches tombantes, une casquette vissée sur la tête, un regard presque sévère et professoral. Toute l'autorité de Masaryk transparaît à travers les photos que l'on a gardées de lui. Une véritable autorité morale, symbolisée par une image en forme d'icône paternelle. D'autres visions viennent à l'esprit, plus martiales, comme celle du fier président posant sur un cheval, avec de vagues airs de garde républicain. L'intellectuel aimait aussi se faire plus sportif.

Homme d'action comme de pensée, Masaryk n'est pas à un paradoxe près. Ainsi, cet homme rationnel et moderne était-il également un esprit profondément religieux, qui passa du catholicisme au protestantisme. C'est lui qui donnera à l'Etat tchécoslovaque la célèbre phrase de Jan Hus pour devise : «La vérité vaincra». Josef Pekar, historien tchèque spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles, engagera un combat de principe contre Masaryk, revendiquant l'héritage baroque et catholique de la Bohême contre la seule identité hussite.

Tomas Garrigue Masaryk
«Tabor, voilà notre programme ! ». Ainsi s'exprimait Masaryk lors de la proclamation de l'Etat tchécoslovaque en 1918, faisant référence aux premiers hussites, qui avaient organisé une communauté religieuse et quelque peu extrême à Tabor, en Bohême du Sud. La phrase est désormais célèbre sur nos ondes. Elle révèle le caractère mystique de l'homme mais elle est sans doute à double sens. En citant Tabor, le premier président tchécoslovaque faisait également allusion à l'organisation politique des taborites, qui avaient placé l'égalité politique et économique au centre des principes de la cité. Faux paradoxe donc, car si Masaryk est un chrétien fervent, il est d'abord un homme de progrès.

Comme beaucoup d'intellectuels de sa génération, Masaryk s'est senti proche des valeurs de méritocratie anti-aristocratique, incarnées par la IIIe République française. Lui-même est un exemple vivant d'ascension sociale et politique par le seul mérite. Le futur président tchécoslovaque est né en Moravie du Sud, dans un milieu modeste. Le père est cocher et la mère est cuisinière. Après des débuts d'apprenti forgeron, il réussit à boucler ses études de philosophie et il obtient bientôt son doctorat à l'Université de Vienne. En 1882, sur décision du comte Taffe, l'université de Prague est divisée entre une section allemande et une section tchèque. Avant on n'y enseignant qu'en allemand. De nouveaux professeurs sont recrutés pour enseigner en tchèque, parmi lesquels Masaryk.

Tomas Garrigue Masaryk
Ses revues, Nase Doba (Notre Epoque) ou Cas (Temps), exerceront une grande influence auprès de l'intelligentsia tchèque et des étudiants. L'homme séduit sans doute par une certaine sagesse morale. Partisan de l'indépendance, Masaryk s'est toujours méfié du nationalisme étriqué. Son nationalisme, il le puise aux sources les plus humanistes de la tradition tchèque. Il admirait ainsi particulièrement Comenius (Komensky), le grand pédagogue protestant exilé de Bohême après la bataille de la Montagne blanche. Kokoschka, le célèbre peintre autrichien, peindra un portrait de Masaryk vers 1935, représentant à ses côtés Comenius.

Masaryk est nationaliste à sa manière. On sait à quel point il détestait le chauvinisme et le tchéco-centrisme de certains de ses contemporains. Il prouvera ainsi la non authenticité des Manuscrits dits de Hanka, un faux recueil de chansons médiévales tchèques publié au XIXe siècle et qui était censé jouer le même rôle, dans la conscience nationale, que les Chansons de Roland en France.

Nationalisme pacifiste encore quand, en 1928, il écrit «La Guerre des Tchèques avec les Allemands», où il évoque la nécessité de faire table rase des vieux conflits et de vivre en paix avec les voisins de la Tchécoslovaquie. Esprit lucide, Masaryk a toujours su garder ses distances avec les envolées lyriques de certains de ses compatriotes. Il se brouillera ainsi avec Karel Kramar, avec qui il avait fondé la Maffie, un organisme chargé de maintenir le contact avec les pays de l'Entente pendant la Première Guerre mondiale. Kramar était un néo-slaviste convaincu, contrairement à Masaryk, qui était trop conscient du fossé existant entre la Russie et la Bohême.

En 1900, il prendra également la défense du jeune Hilsner, un Juif d'un village de Bohême du Sud accusé de crime rituel, vieux fantasme médiéval. Il jouera le même rôle de vigie de la tolérance que Zola en France lors de l'affaire Dreyfus.

En 1915, Masaryk, fonde à Paris le Conseil National tchèque, qui préfigure l'indépendance du pays trois ans après. Sa présidence reste associée, dans l'imagerie collective, à l'un des âges d'or de l'histoire nationale. L'image essentielle qu'en gardent les générations actuelles est sans doute d'abord celle d'un homme de conviction. La France d'aujourd'hui ne demanderait sans doute pas mieux...