Matali Crasset, tête d’affiche du 15e Designblok à Prague
La 15e édition du Designblok, le grand rendez-vous annuel du design et de la mode, se tient cette semaine à Prague et Matali Crasset en est une des principales têtes d’affiche. Designer industriel de profession, l’artiste française expose jusqu’à dimanche soir à Art House Colloredo une série d’éléments de mobilier autour du thème : « Voyage en Uchronie ». Au micro de Radio Prague, Matali Crasset nous en a dit un peu plus sur sa participation au festival.
« Dans ce projet, j’ai proposé d’une part du mobilier et d’autre part un film expérimental. Le mobilier est en fait une espèce de protection qui vient autour du corps, qui vient représenter trois positions essentielles : debout, assis et allongé. L’intention, c’est d’aller au plus proche de l’humain ; c’est du mobilier très humain puisqu’il devient même une présence humaine. De plus, comme il propose une espère de protection sur la tête, c’est aussi une invitation à l’introspection. »
« Donc, on peut voir ces différentes pièces de mobilier qui sont mises ensemble comme une communauté, comme un groupe de personnes en train de faire des rituels quotidiens. Deux personnes assises étant rassemblées, on a l’impression qu’elles sont autour d’un feu ou qu’elles discutent, cela donne un lieu convivial. Deux autres, qui sont debout en train de parler, vont peut-être proposer d’y écouter de la musique ou autre chose. Ce projet propose des alcôves dans lesquelles on peut y mettre ce que l’on veut. On peut faire en sorte d’habiter l’alcôve avec ses souvenirs ou se prêter à une activité comme la lecture... »
En proposant ce type de mobilier, l’artiste développe ainsi une réflexion sur l’intimité et l’interaction, un thème cher aux philosophes de la société et du lien social. Le titre, qui propose un voyage en Uchronie, reprend un néologisme du XXe siècle directement inspiré de l’Utopie de Thomas More pour définir une réalité idéale et sans défaut.« L’Uchronie, c’est un peu comme l’utopie, l’utopie étant un espace en dehors de l’espace. Là, l’idée, c’est d’inventer un autre temps, une autre temporalité. Ce projet a un peu l’intention d’essayer de réfléchir sur le fait que, historiquement, on est passé d’une vie en communauté à une vie en société. La vie en communauté permettait des rapports sociaux très rapprochés, alors que la vie en société, c’est ce qu’on voit aujourd’hui, favorise plutôt l’individualisme. La question est donc de savoir jusqu’où on accompagne cet individualisme. »
Cette réflexion presque politique derrière la conception de mobilier fait partie intégrante du métier de designer industriel tel que l’entend Matali Crasset. Pour elle, la profession doit sans cesse s’adapter au public appelé à recevoir l’œuvre. Ce dosage permanent entre esthétique, symbolique et fonctionnalisme, doit ainsi correspondre au commanditaire, qu’il soit entreprise, municipalité ou galerie d’art.
« Quand on dit design industriel, ça veut dire que normalement, c’est prévu pour être produit en série, et une série, c’est au moins 50 000 pièces. Le design industriel tel qu’il était il y a vingt ans ne ressemble plus du tout à ce qu’il est aujourd’hui, où on s’oriente plutôt vers des moyennes et petites séries. Au début, ça peut faire un peu peur, mais en même temps je pense que ça peut être intéressant, on peut donner plus, faire des projets plus spécifiques, plus engagés en faisant des petites séries. Ce n’est pas incompatible. »