Même les prisonniers mettent le survêt

Photo: CT24

Après les pantoufles, que nous avions évoquées dans notre dernière rubrique, voici donc venu, non pas le temps des rires et des chants, mais comme promis le tour du survêtement – « tepláky », autre phénomène vestimentaire en République tchèque. On l’a dit, lorsqu’ils rentrent chez eux, les Tchèques se déchaussent pour mettre leurs pantoufles qu’ils ne quittent plus ensuite que pour aller se doucher, se coucher ou lorsqu’ils ressortent de chez eux. Mais en plus de se déchausser quand ils arrivent dans leur doux foyer, les Tchèques se changent également, pratiquement de la tête au pied, pour alors bien souvent enfiler… un survêtement. Une question d’habitude, certes, mais une habitude à laquelle les étrangers s’habituent parfois difficilement.

Album de l’année, chanson de l’année et vidéoclip de l’année – rien que ça ! Ce sont les trois titres qui ont été décernés en 2010 par la très respectable Académie de la musique populaire tchèque au groupe Nightwork quelque mois après la sortie de son album intitulé « Tepláky » - « Survêtement ». Beaucoup d’argot figurant dans le texte de la chanson, on vous épargnera la traduction de paroles que seuls les Tchèques, ou ceux qui les connaissent bien, peuvent d’ailleurs comprendre. Mais le succès de la chanson nous donne déjà une p’tite idée de l’ampleur de la chose…

Intéressons-nous tout d’abord au mot en lui-même. A l’origine, un survêtement, aussi parfois jogging ou abrévié familièrement en survêt, est un vêtement chaud et souple que les sportifs mettent par-dessus leur tenue entre les épreuves ou au cours de séances d’entraînement. Bon, d’accord, nous direz-vous, mais pas besoin d’écouter ou de lire Radio Prague pour apprendre cela. On vous le concède, mais patience quand même. Minute papillon, comme dirait l’autre. En effet, le rappel de la définition n’est pas inintéressant, car c’est lui qui nous amène au mot tchèque « tepláky ». En français, « survêtement » est un mot composé de deux éléments : « sur » et « vêtement ». C’est donc un vêtement, concrètement un pantalon et une veste, que l’on met sur un autre vêtement, à la base donc sur une tenue de sport, pour ne pas prendre froid ou maintenir la chaleur du corps. En tchèque, l’origine est un peu différente, même si, au fond, l’idée et le sens sont les mêmes qu’en français. Même si nous n’avons trouvé confirmation de cette étymologie dans aucun dictionnaire, on peut supposer sans grand risque de nous tromper que « tepláky » provient du mot « teplo », qui signifie « chaleur, chaud ». Ce n’est donc pas littéralement un vêtement que l’on passe par-dessus un autre, cela n’en reste pas moins un vêtement conçu pour conserver la chaleur que l’on possède une fois que l’on « est chaud », comme disent les sportifs, c’est-à-dire bien échauffé physiquement.

Difficile de dire à quand remonte la généralisation du phénomène « tepláky » dans les foyers tchèques. Ce que l’on sait mieux en revanche, c’est que même les prisonniers tchèques ont longtemps porté un survêtement. Ce n’est en effet que depuis 2008 qu’ils portent un habit plus en conformité avec les normes européennes. L’objectif de cette petite révolution dans les établissements pénitenciers était alors de rendre un peu de leur dignité aux prisonniers. On avait alors estimé que le port d’un survêtement était trop dégradant même pour des gens condamnés pour les crimes les plus divers. Il faut ici préciser qu’avant 1989, les prisonniers tchèques portaient un survêt marron, parfois même rose, puis mauve au début des années 1990… On imagine le tableau…

Photo: CT24
Mais peu importe les considérations « esthétiques ». Ce qui nous intéresse plus dans ce contexte, c’est l’apparition de l’expression « jít do tepláků » - littéralement « aller au survêtement », en français un peu plus convenable « mettre le survêtement » ou « enfiler le survêtement ». Sachez donc qu’un Tchèque dont on dit qu’il « jde do tepláků » est un Tchèque condamné à la prison. En réalité, il s’agit plutôt du jargon utilisé dans l’univers carcéral, comme pour l’expression « jít do basy » que nous avons déjà évoquée dans une émission précédente (http://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/la-prison-violon-des-creuseurs-de-tunnels), qui signifie « mettre en prison » et que l’on avait alors comparé à « mettre au violon » en français.

Photo: Jitka Hrabánková
Il y a quinze jours de cela, nous avions intitulé notre dernière rubrique « Lorsque monsieur met ses pantoufles, c’est madame qui porte la culotte » en référence à l’expression française « porter la culotte », selon laquelle une femme domine son mari. C’est elle qui prend les décisions dans un ménage. Ce mot « culotte » désigne ici bien entendu un pantalon, et non pas, bien qu’il s’agisse d’une femme, du sous-vêtement. En tchèque, un peu curieusement, il existe assez peu d’expressions originales faisant référence au pantalon - « kalhoty », en tous les cas aucune qui ait retenu notre attention. Notons alors simplement que le mot tchèque remonte au XVIe siècle, qu’il tire son origine de l’italien « caligote » et que son diminutif « kalhotky », que l’on pourrait alors s’amuser à traduire comme « petit pantalon », désigne, lui, une culotte dans le sens de slip ou de sous-vêtement féminin. Attention simplement à ne pas confondre avec « krátké kalhoty », littéralement « court pantalon », dans le langage courant « kraťasy », qui lui est un « bermuda », un short long par-dessus lequel certains Tchèques seraient bien capables de mettre… une culotte de survêtement.

C’est sur cette découverte sans grande importance que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » consacré au survêtement - « tepláky ». On se retrouve dans quinze jours, la culotte de survêtement en moins, d’ici-là portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !