Meurtre d’Otýlie Vranská : un cold case élucidé 90 ans après les faits

Le corps d’Otýlie Vranská était emballé dans un drap et un journal

C’est un meurtre qui avait choqué et ému la société tchécoslovaque il y a 90 ans : le 2 septembre 1933, deux valises étaient retrouvées dans deux villes slovaques, contenant, l’une le torse d’une femme, l’autre sa tête et ses jambes. Près d’un siècle plus tard, des historiens de la police estiment avoir enfin élucidé l’affaire.

Otýlie Vranská | Photo: Musée de la police tchèque

Lorsque les restes d’une femme démembrée sont découverts dans deux valises envoyées par train à Košice et Bratislava, la capitale slovaque, les policiers de l’entre-deux-guerres identifient rapidement la victime, et ce dès le 6 septembre : il s’agit d’une jeune femme de 22 ans, Otýlie Vranská, originaire de Slovaquie, mais établie à Prague. Longtemps considérée comme une prostituée, les historiens estiment aujourd’hui que sa courte vie de jeune adulte aurait plutôt correspondu à celle d’une demi-mondaine en devenir.

Radek Galaš | Photo: Olga Vasinkevich,  Radio Prague Int.

Radek Galaš est le directeur du Musée de la police tchèque. C’est lui, il y a dix ans, qui a décidé de réexaminer l’affaire classée depuis comme irrésolue depuis 1943 avant de présenter ses conclusions lors d’une conférence de presse organisée à l’occasion du 90e anniversaire du meurtre. Il rappelle qu’un an avant cette affaire sordide, un meurtre similaire avait eu lieu à Bratislava également, et dont l’auteur n’avait pas été appréhendé. La découverte du corps démembré d’Otýlie Vranská provoque immédiatement l’effroi :

Exposition sur le meurtre d’Otýlie Vranská | Photo: Olga Vasinkevich,  Radio Prague Int.
Photo: ČT

« L’affaire a fait sensation très rapidement, uniquement parce que l’auteur du crime n’a jamais été retrouvé. Les médias, en particulier, en ont fait tout un plat. Rien que le premier mois, deux quotidiens ont publié plus de 50 articles sur l'affaire. À la fin de l'année, des centaines de pages avaient été consacrées à ce meurtre, et certaines d'entre elles étaient complètement sensationnalistes. Bien entendu, cela suscitait la curiosité des gens. Beaucoup de rumeurs et d’affabulations ont commencé à circuler - y compris de la part des journalistes, qui ont parfois inventé des choses - et cela s’est poursuivi jusqu’à nos jours. »

Des photos de la cause Otýlie Vranská | Photo: Olga Vasinkevich,  Radio Prague Int.

Selon Radek Galaš, la cause de la mort de la jeune femme n’est pas due à des coups portés à la tête, ce qui était la théorie initiale. Otýlie Vranská a été égorgée vive, puis a subi des coups à la tête, probablement à l’aide d’un hachoir ou d’un sabre, puis d’au moins sept coups de couteau à la poitrine. Le corps a ensuite été démembré. Une des erreurs commises à l’époque par les enquêteurs, sur la base de l’autopsie, est d’avoir pensé que l’auteur du meurtre était quelqu’un qui s’y connaissait bien en anatomie, par exemple un médecin, un étudiant en médecine voire un boucher :

Des photos de la cause Otýlie Vranská | Photo: Olga Vasinkevich,  Radio Prague Int.

« Le professeur Hájek a émis cette idée le jour de l’autopsie, le 5 septembre 1933, lorsqu’il a déclaré que les jambes ont été sectionnées par une seule incision puissante, et il est clair que cela a été fait par une personne ayant des connaissances en anatomie. La tête a été coupée par deux incisions puissantes. Mais lorsqu’on lit le protocole d'autopsie, on s'aperçoit que la tête n'a pas été coupée par deux incisions, mais par au moins quatre. L’auteur de l'autopsie ne connaissait en réalité rien à l’anatomie. Néanmoins, cette théorie a perduré pendant des décennies, alors même que le protocole d’autopsie, signé par le professeur Hájek, contredisait complètement cette idée. »

Une des valises dans lesquelles les restes d'Otýlie Vranská ont été retrouvés | Photo: David Votruba,  Musée de la police tchèque

Près d’un siècle plus tard, c’est davantage par un faisceau de présomptions convergentes que par une certitude à 100 % - les historiens estiment être sûrs à 80 %, que ce cold case semble enfin élucidé : le meurtrier serait en effet un des suspects de l’époque, interrogé car ayant passé une partie de la soirée avec Otýlie Vranská, mais jamais inquiété par la suite en raison d’un alibi pourtant mis à mal par plusieurs témoignages. Ancien légionnaire tchécoslovaque Josef Pěkný avait le grade de sergent-major, il était divorcé, père d’un enfant, et avait souvent recours aux services de prostituées. Les deux se connaissaient et entretenaient une relation sexuelle suivie dont Otýlie Vranská ne faisait pas mystère puisqu’elle avait confié à des proches qu’il aurait promis à plusieurs reprises de l’épouser.

Josef Pěkný | Photo: ČT

« Nous sommes convaincus à 80 % que Josef Pěkný était bien présent lors du meurtre. C’était un soldat de l’armée tchécoslovaque qui servait dans la caserne de Karlín à Prague. Il avait un certain statut social, même s'il était divorcé. Si l’on regarde son passé militaire, il n'était pas exactement un soldat ordinaire : il avait fait partie des  légions tchécoslovaques en Russie, pas un soldat de la dernière heure mais un légionnaire qui a participé à la bataille de Zborov et d’autres, qui a connu le périple transsibérien et n’est revenu au pays qu’en 1920. C’est un homme qui a connu la guerre des tranchées, il était sans aucun doute un guerrier et un héros décoré à de multiples reprises. »

Josef Pěkný et Antonie Koklesová | Photo: ČT

En raison de son statut de militaire, Josef Pěkný possédait probablement un sabre, une des armes du crime. Les historiens qui ont mené l’enquête des décennies plus tard sont toutefois moins sûrs du rôle exact d’une autre prostituée impliquée à l’époque, Antonie Koklesová. Si Robert Galaš indique qu’il existe des preuves de sa présence sur les lieux du crime, elle peut n’avoir été qu’une simple spectatrice contrainte et forcée.

Exposition sur le meurtre d’Otýlie Vranská | Photo: Olga Vasinkevich,  Radio Prague Int.

La version qui semble être corroborée aujourd’hui par les historiens de la police avait déjà été évoquée par d’autres auteurs : le meurtre survenu dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1933 serait le résultat d’une violente dispute où la victime aurait menacé son amant de ruiner sa carrière s’il ne se débarrassait pas de son autre compagne, Antonie Koklesová, et s’il ne tenait pas sa promesse de mariage. Craignant un scandale, l’ancien légionnaire aurait alors décidé d’assassiner Otýlie Vranská, avec l’acharnement et l’aspect particulièrement macabre que l’on sait. 90 ans plus tard, et à moins de  l’apparition fort peu probable d’autres preuves, ce qui était considéré comme le plus célèbre meurtre non résolu de l’histoire de la criminologie tchécoslovaque, a donc désormais une conclusion officielle.

Des photos de la cause Otýlie Vranská | Photo: Olga Vasinkevich,  Radio Prague Int.
Auteurs: Anna Kubišta , Olga Vasinkevič
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