Milan Kundera présente une demande d’excuse à Respekt –la polémique continue dans la presse tchèque
L’affaire Kundera semble diviser l’opinion publique tchèque en deux camps inconciliables. Les uns prônent l’innocence de Milan Kundera ou tout au moins l’indulgence à son égard, d’autres adoptent la version selon laquelle l’écrivain aurait dénoncé en 1950 un jeune agent tchèque. Depuis près de deux semaines, leur polémique alimente la presse tchèque que nous avons lue pour vous et qui met en relief, aussi, d’autres aspects de l’affaire.
Rappelons que tout a commencé par la publication par l’hebdomadaire Respekt d’un rapport tiré des archives de la police communiste et découvert par un chercheur de l’Institut d’étude des régimes totalitaire. Milan Kundera y figure comme un informateur de la police. Le démenti de l’écrivain a suivi dès le jour même de la publication de l’article de Respekt.
Cette semaine, le célèbre écrivain français d’origine tchèque Milan Kundera est allé plus loin encore. Explication de Jiří Srstka, directeur de l’agence Dilia qui le représente dans le pays.
« Milan Kundera a soumis au propriétaire de l’hebdomadaire Respekt une demande d’excuse dûment formulée et dans le cas où le journal n’y donnerait pas suite, il réclamera ses droits par la voie juridique, c’est naturel ».C’est la semaine prochaine que Respekt veut publier, selon son rédacteur en chef, Martin Šimečka, sa réponse.
En attendant le dénouement, des notes critiques à l’adresse de l’hebdomadaire Respekt sont apparues aussi dans la presse quotidienne. Rappelons que ce prestigieux périodique « intellectuel » avait déclenché l’affaire en publiant son article avec un sous-titre explosif : « Un ancien péché de Kundera est intervenu cruellement dans les vies de plusieurs personnes, avant d’intervenir dans l’interprétation de son œuvre ».
« Les journalistes de Respekt ont fait un mauvais travail », écrit une récente édition du quotidien Lidové noviny. L’auteur de l’article estime que le niveau du texte publié dans une revue de qualité est médiocre, voire scandaleusement bas, puisque fondamentalement unilatéral, notamment parce qu’il ne donne pas la parole à Milan Kundera lui-même et ne s’appuie que sur un seul document historique.
Citons aussi Samuel Abraham, rédacteur en chef de la revue Kritika&Kontext qui a écrit : « La façon, dont toute l’affaire a été servie au public mondial, est incroyable. Le fait que Kundera en soit informé de la presse, est un grand échec de ce que l’on aime appeler la déontologie journalistique. En lisant l’article publié par Respekt, j’ai été choqué de voir combien ses auteurs ont été insensibles et blasés. S’ils avaient lu les essais de Kundera, ils auraient su, pourquoi il ne donnait pas d’interviews, n’allait pas à des conférences, n’allait pas aux remises de prix, ne rentrait pas dans sa patrie et pourquoi il était horrifié par l’état des médias dans le monde ».
La presse de ces derniers jours s’interroge en outre sur le travail et l’action de l’Institut d’étude des régimes totalitaires, par lequel « le malheur » est arrivé.
Selon l’Académie des sciences de la République tchèque, la façon dont les faits ont été publiés témoigne d’un manque de pensée scientifique critique. « L’Académie refuse catégoriquement un tel traitement des faits historiques », peut-on lire dans un communiqué de presse de cette institution qui insiste sur la nécessité de vérifier chaque document écrit par toutes les méthodes scientifiques qui sont à la disposition. Cette revendication est d’ailleurs soutenue par d’autres institutions et personnalités.Toute une pléiade d’hommes de lettres tchèques ont jugé bon de s’exprimer au sujet de Kundera et de prendre dans la plupart des cas sa défense. On ne citera qu’une réflexion de Vaclav Havel publiée dans la dernière édition de Respekt et dont nous vous avons déjà informé. Le journal publie aussi une réflexion opposée de l’écrivain Jiri Stransky qui a passé dans les années cinquante sept ans derrière les barreaux et pour qui la révélation des archives était choquante. Il écrit :
« Lorsque j’étais en prison, Milan Kundera servait, admirait et vénérait le parti communiste. Ivan Klíma, Arnost Lustig et Pavel Kohout ont également été communistes. Pourtant, nous sommes restés de bons amis, surtout parce qu’ils ont défini et déchiffré leur passé. Ils ne voulaient rien cacher… Je n’ai en revanche aucune estime pour Kundera. Tant qu’on ne s’acquittera pas envers notre propre passé et envers le passé de la nation, il nous piégera. Et c’est ce qui est arrivé maintenant ».
Ludvik Vaculik, 82 ans, nouveau lauréat du prix d’Etat de littérature, soutient en revanche celui qu’il considère, d’après ses propres paroles, comme son ami. Une citation de son entretien accordé au quotidien Mlada fronta Dnes :
« Sans d’autres preuves et d’autres témoignages, je ne peux pas croire que Kundera ait dénoncé. Et même si cela c’était passé comme ça, il ne faut pas oublier qu’on était en 1950, période précédant la plus grande terreur communiste, période où le socialisme était encore attrayant pour beaucoup de gens. Même si Kundera l’avait fait, ça aurait été à une époque où il n’avait pas encore été confronté à la question de savoir ce qui était bon de faire et ce qui ne l’était pas. Informer la police d’Etat plus tard, c’était déjà autre chose – là, le carriérisme ou la haine ont été des motifs moteurs ».
Le cas de Milan Kundera est évoqué, aussi, dans un entretien accordé par l’écrivain Pavel Kohout au supplément de ce jeudi de Mlada fronta Dnes où il dit entre autres :
« …Un document policier aussi vague que celui qui a été présenté, aurait mérité une analyse plus détaillée. Si j’en ai été bouleversé, j’ai été plus touché encore par la réaction de Kundera. Elle a été tout à fait « non-kunderienne », très émotive, donc pour moi digne de respect. Comme on le sait, dans ses proses, il a toujours pris ses distances avec de pareils états d’âme, la raison critique voire le scepticisme étant les siens... Sa réaction émotive m’a surpris. »
Quelles retombées ou, plutôt, quels dégâts provoque l’affaire Kundera ? L’heure n’est pas à l’optimisme pour Tomáš Sedláček de la section littéraire de la Radiodiffusion tchèque de Brno qui cherche des réponses dans les pages du journal Lidove noviny :
« L’affaire aura des retombées dramatiques sur les liens entre l’auteur et sa partie d’origine et qui se sont tant bien que mal tissés depuis de longues années. Milan Kundera, écrivain mondialement célèbre, a refusé de donner à la nation, par l’intermédiaire de la police publique des médias, ‘une explication’ au sujet d’événements remontant à près de soixante ans. La revanche n’a pas tardé ; il s’est vu dénoncer devant toute l’opinion publique européenne. Un préjudice a été porté à Milan Kundera et, en même temps, au renom de la culture et de l’historiographie tchèque dans le monde. Le préjudice a été porté, aussi, à la culture tchèque… »