Mitterrand, Havel et les dissidents : le petit déjeuner qui est resté dans les annales
Il y a 35 ans, le président de la République française rencontrait Václav Havel et les dissidents tchèques à la table... du petit déjeuner. Un événement souvent décrit comme la première reconnaissance officielle d’une dissidence tchécoslovaque traquée depuis la création de la Charte 77.
François Mitterrand est le premier président français à venir en visite à Prague depuis la fin de l’Empire austro-hongrois. Il avait mis une condition à ce déplacement officiel : que les dirigeants communistes lui permettent de rencontrer les représentants de la dissidence. Son vœu a été exaucé le 9 décembre 1988, onze mois avant la chute du mur de Berlin et la révolution de velours tchécoslovaque.
La veille de sa visite, François Mitterrand avait expliqué à la Radio tchécoslovaque son désir de faire connaissance avec les dissidents tchèques. « Je vais rencontrer différents représentants de votre société, y compris des responsables de la vie publique ainsi que des membres de l’opposition. Je m’exprimerai librement et avec tout le respect dû à l’Etat et au peuple », avait alors déclaré le président de la République française.
Un petit goût de liberté
Outre Václav Havel, sont rassemblés pour ce célèbre petit déjeuner au palais Buquoy (siège de l’ambassade de France depuis 1919) les dissidents tchèques Jiří Dienstbier, Karel Srp, Miloš Hájek, Václav Malý, Petr Uhl, Ladislav Lis et Rudolf Battěk. « Cela représentait un soutien incroyable pour nous, car il était le premier chef d’Etat à nous rencontrer », se souvenait Petr Uhl il y a quelques années, au micro de la Radio tchèque.
François Mitterrand ouvre le repas en déclarant être « heureux de rencontrer en ces lieux d’éminentes personnalités d’une époque prochaine ». Et tous se souviennent d’une rencontre très chaleureuse, et qui a duré une heure et demi au lieu des 45 minutes initialement prévues.
Brosse à dents dans la poche
Les participants à ce petit déjeuner parlent des droits de l’homme et de la situation politique en Tchécoslovaquie. Une question de François Mitterrand à Václav Havel a marqué les mémoires : le président français demande en quoi l’activité de la dissidence et la défense des droits de l’homme marque la vie privée des dissidents. Václav Havel lui répond qu’il a toujours sa brosse à dents sur lui, même à ce petit déjeuner, car il ne peut jamais savoir comment se terminera la journée... « J’étais certain que nous serions empêchés d’accéder à l’ambassade, et emmenés pour un interrogatoire. Mais nous n’avons pas été stoppés », se souvenait Václav Havel.
La visite de François Mitterrand a également joué en faveur de la toute première autorisation officielle de manifestation de l’opposition : elle a eu lieu dès le lendemain, le 10 décembre 1988, Journée internationale des droits de l’homme, sur la place de Škroup (Škroupovo náměstí) à Žižkov. Václav Havel y a d’ailleurs pris la parole. D’autres manifestations se sont ensuite tenues en janvier 1989, durant la « semaine de Jan Palach ». Celles-ci ont été sévèrement réprimées, mais la voie vers la révolution de Velours était ouverte... Et la rencontre de François Mitterrand et de Václav Havel en 1988 a marqué le début d’une amitié personnelle durable.
Depuis 2015, dans les jardins en contrebas du château de Prague, un buste de l’ancien président français François Mitterrand rappelle ce petit déjeuner légendaire. Il est l’œuvre de l’artiste tchèque vivant en France Jan Zelenka.
