Modigliani inconnu (2ère partie)

Photo: Maison municipale de Prague
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Nous vous proposons aujourd’hui la deuxième partie de l’entretien avec Christian Parisot, directeur de l’Institut Modigliani Archives légales Paris-Rome. Il nous parle d’Amedeo Modigliani, une des personnalités les plus connues de la peinture du début du XXe siècle. Une exposition lui est consacrée jusqu’au 28 février à la Maison municipale de Prague. Elle présente notamment ses portraits et dessins, ainsi que ceux de ses amis. Amedeo Modigliani est né en 1884 dans une famille d’origine juive qui a exploité un commerce de bois et de charbon, ainsi que des mines d'argent en Sardaigne. C’était une naissance assez spectaculaire…

Amedeo Modigliani
« Le jour de sa naissance, les huissiers sont arrivés et ont saisi tous les meubles. Ils ont mis tous les bijoux sur le lit où était couchée sa mère. C’est ainsi que Modigliani est né, le 12 juillet 1884, dans le centre de Livourne, le jour de la saisie de la maison. La grande entreprise familiale de Sardaigne n’avait pas payé les impôts pendant vingt ans et donc les services des impôts sont venus pour réclamer l’argent. Amedeo était le quatrième et dernier enfant de la famille. Sa mère était la directrice de sa propre école que Modigliani a fréquentée pendant cinq ans. Nous avons retrouvé récemment les livres comptables de tout ce que la famille Modigliani possédait en Sardaigne. C’était énorme : les vignobles, les oliviers, les mines, le bois…Mais le père a gardé, jusqu’à 1910, une partie des terrains. C’est pour cela que le jeune Modigliani arrive, à l’âge de 14 ans, pour la première fois en vacances en Sardaigne. Il tombe amoureux d’une jeune femme et fait son portrait qui a été retrouvé il y a une dizaine d’années en Sardaigne. »

Jeanne Hébuterne
L’exposition à la Maison municipale de Prague présente les travaux de la compagne d’Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne, qui donne naissance, en 1918, à une fille, Jeanne. Adulte, Jeanne Modigliani mènera des recherches importantes sur la vie et l’œuvre de son père. La relation entre Jeanne Hébuterne et Amedeo Modigliani prend une fin tragique : Jeanne, enceinte de leur deuxième enfant, se suicide deux jours après la disparition d’Amedeo, mort de la tuberculose en janvier 1920, à 35 ans. Y-a-il eu une influence artistique entre Jeanne Hébuterne et Modigliani ? Christian Parisot :

Jeanne Modigliani
«Sans doute. Une jeune fille de 17 ans qui rencontre un homme de 14 ans plus vieux – l’influence est grande. Elle sortait d’une crise de l’après-guerre. Jeanne est née en 1898, donc à l’âge de 16 ans, elle a vécu la Première Guerre mondiale, avec d’énormes difficultés. A 20 ans, elle vit dans un climat de dépression très fort – de dépression économique et psychologique. En 1918 est née, dans une clinique à Nice, Jeanne - Giovanna Modigliani Hébuterne. Il ne faut pas oublier que quelques mois avant, Modigliani a eu un autre enfant, Gérard, né en 1917. Sa mère était une jeune étudiante en médecine à Lille. Cet enfant, Modigliani ne le reconnaît pas, parce qu’il ne se souvenait pas, parce qu’il a vécu une expérience très courte avec cette femme. Je rappelle aussi que Modigliani a vécu une grande histoire d’amour avec une femme très importante, Beatrice Hastings – poète, femme d’avant-garde, porte-parole du féminisme. Elle participait à une revue anglaise. Elle était, elle aussi, enceinte de Modigliani, mais elle a avorté au début de la guerre. Avant cela, il y a eu encore une Canadienne qui quitte Paris, enceinte, en 1917... Donc il y a eu quatre enfants de Modigliani, dont deux, Jeanne et Gérard, qui ont survécu à la guerre. Jeanne a vécu jusqu’à 1984. Gérard, lui, est adopté par une famille catholique qui l’envoie au couvent. Il devient prêtre et ne revendique jamais la paternité. Il y a eu un seul tableau de Modigliani, le portrait de sa mère. Il le laisse en héritage à un autre père de l’Eglise. Nous l’avons retrouvé récemment. »

On expose à Prague « Le carnet arménien » de Modigliani. C’est assez exceptionnel, il paraît que c’est la première fois qu’il est montré à l’étranger.

Photo: Maison municipale de Prague
« Oui, c’est la première fois. On l’a intitulé Carnet arménien, mais ce titre vient du fait que son propriétaire était un Arménien. Ce sont de toutes petites esquisses qui portent un certain nombre de signes ésotériques et cabalistiques. C’est un peu anecdotique, c’est-à-dire que finalement, on retrouve tous les petits traits : les 6, les 9, les étoiles, les étoiles de David, la croix grecque, la croix romaine, on retrouve des formules chimiques exprimées par des signes que Modigliani utilise constamment dans ses dessins. Dans tous les dessins, c’est une interprétation sous-entendue, une lecture du 2e degré, la capacité de lire, par les signes, ce que Modigliani voulait dire. »

Il n’y a pas de sculptures dans cette exposition à Prague. D’après ses organisateurs, il est extrêmement difficile de les avoir…

Photo: Maison municipale de Prague
« En ce moment, il y a trois exposition de Modigliani : Rovereto, Catane et Prague. C’est pour la première fois qu’on organise parallèlement trois expositions sur trois formules différentes : Rovereto, c’est la sculpture, ici, ce sont plutôt les images et le rapport avec Jeanne et à Catane, c’est le rapport avec le portrait. Le titre de l’exposition à Catane, c’est ‘Le portrait de l’âme’. Ce qui intéresse Modigliani, ce n’est pas la forme, mais le regard profond. C’est pour cela qu’il met toujours un œil absent, pratiquement effacé et qui regarde à l’intérieur et l’autre œil qui regarde à l’extérieur. En même temps, c’est une composition sans perspective. Chez Jeanne Hébuterne, il y a rarement une perspective, ou alors une perspective avec un seul point central. Pour Modigliani, il y a des éléments absents. C’est-à-dire que c’est apparemment plat. La capacité de donner une profondeur, c’est la contre position des couleurs. »

Il paraît que Jeanne Modigliani allait sans des bars et des restaurants où son père avait payé par ses dessins, pour retrouver, récupérer ceux-ci. C’est vrai ?

Photo: Maison municipale de Prague
« Il y a eu une femme qui s’appelait Rosalie. C’était la crémerie Rosalie, dont nous avons également des images ici. Rosalie avait à peu près 400 dessins. J’ai rencontré personnellement son fils qui m’a raconté l’histoire : ils utilisaient la grande partie des dessins pour allumer le poêle, pour chauffer la petite crémerie. Elle vendait du lait et du fromage blanc. Modigliani a passé chez elle les années de guerre, les années de grandes difficultés. Il n’avait pas beaucoup d’argent et il ‘payait’ par ses dessins… mais Rosalie a toujours voulu de l’argent, elle n’a pas accepté les dessins… Modigliani, ainsi que tous ses amis peintres, utilisait pour dessiner des feuilles achetées à Montmartre. C’étaient les feuilles, très fins, que les marchands des boutiques alimentaires utilisaient pour envelopper le fromage et autres produits. Ce sont toujours les mêmes carnets qu’on retrouve chez Max Jacob, chez Picasso, chez Jeanne Hébuterne… Ils étaient vendus à un prix ridicule. Un carnet de 200 feuilles peut être utilisé au cours de deux après-midi. Ce qui nous reste, 1200 ou 1300 dessins, ce n’est rien ! Je dirais que c’est 30 jours de travail. Ce qui nous reste comme tableaux, donc à peu près 400 toiles, c’est aussi très peu. Toutes les années italiennes ont disparu ! Modigliani a commencé à peindre à l’âge de 14 ans, il a quitté l’Italie à 21 ans. Sept ans d’activité permanente et nous n’avons pratiquement rien : une dizaine de tableaux et environ trente dessins qui sont restés chez des amis. Modigliani l’a souhaité ainsi : il a demandé à sa mère et à sa sœur de détruire tous les tableaux qui sont restés à Livourne… »

L’exposition pragoise présente de nombreuses photos qui se rapportent à la vie de Modigliani. Peut-on s’arrêter devant quelques images ?

Modigliani,  Picasso et Salmon,  photo par Jean Cocteau
« Nous voyons ici une photo prise par Jean Cocteau. En 1916, il achète un appareil photo pellicule et il est le premier à photographier ‘la bande à Picasso’. Il y a ici une trentaine d’images importantes qui ont été élaborés par la photographe Anna Marceddu qui a travaillé pendant des années pour récupérer ces photos… Nous voyons ici la maison natale de Modigliani, il est né là, au 2e étage de la via Roma 38. Cette maison existe encore. Le voilà à la dernière année de l’école… Cette photo a été faite par un photographe de Naples, le jour du départ de Flaminio. Sa femme est enceinte de Modigliani. La mère accompagne le père jusqu’à Naples, ils font la photo, le père repart pour Sardaigne, la mère pour Livourne. Ils étaient accueillis à Naples, dans la maison de leur amie Mondolfi. »

Et la photo a été retrouvée… ?

« Chez Mondolfi. C’est une dame qui est morte récemment. Elle avait deux valises remplies de documents. »