Modigliani inconnu (1ère partie)
Il était peintre de portraits, de nus, sculpteur, dessinateur… Son style de peinture, inédit, on le reconnaît au premier regard. Et puisqu’il est unique, on l’appelle fréquemment par son nom – le style Modigliani. La toute première exposition en République tchèque d’Amedeo Modigliani, organisée par la galerie pragoise Vernon, est à voir jusqu’au 28 février à la Maison municipale (Obecní dům) de Prague. Elle présente une soixantaine d’œuvres de Modigliani : des portraits, des esquisses et des dessins, ainsi que des œuvres de ses contemporains et toute une série de photos et de documents qui se rapportent à la vie de l’artiste. Une vie, certes, difficile et dramatique, qui s’est transformée, après sa mort précoce, en une légende d’un « peintre maudit » mais qui n’a rien à voir avec la vie réelle de cet homme d’exception. J’ai eu la chance de pouvoir inviter dans cette émission la personne peut-être la plus érudite au monde pour parler du peintre, quelqu’un qui a consacré toute sa vie aux recherches sur le « vrai » Modigliani : Christian Parisot est directeur de l’Institut Modigliani Archives légales Paris-Rome. Il présente cette institution qui a collaboré à la mise en place de l’exposition pragoise :
Vous avez connu la fille du peintre, Jeanne Modigliani, grâce à qui de nombreuses œuvres de Modigliani se sont conservées.
« Oui. Jeanne Modigliani est adoptée, à la mort de son père Amedeo et de sa mère Jeanne Hébuterne, par la sœur d’Amedeo, Margherita. Elle reste jusqu’à l’âge de 21 ans à Livourne. En 1939, elle s’installe à Paris et commence à remettre en place l’histoire, par les documents et les témoignages. J’ai eu l’occasion de rencontrer Jeanne en 197, à l’époque où je préparais ma thèse. Celle-ci a ensuite changé de titre, elle s’appelait : ‘Modigliani inconnu’. Elle a été publiée par Shakespeare and Company en 1976. A partir de ce moment-là, je travaillais avec Jeanne Modigliani, pendant environ dix ans, jusqu’à son accident et sa disparition. Nous avons organisé ensemble les célébrations du centenaire de Modigliani qui ont eu lieu à Livourne, naturellement, et dans d’autres villes italiennes. Nous avons commencé un grand travail d’archivage : recueillir tous les documents et retracer la véritable histoire de Modigliani. Car il y a une terrible légende qui a fait de Modigliani un ivrogne, un ‘sexophobe’, un maniaque, un drogué… Mais en réalité, il faisait ce que font tous les jeunes : il fumait, il buvait. Mais ce la ne veut pas dire qu’il ne faisait que cela. Les analyses de ses dernières lettres ont bien démontré qu’il était sain d’esprit et de corps. Le corps a été, certes, abîmé par la tuberculose. Il n’a pas pris soin de lui et il est mort à 35 ans et 6 mois. La légende dit aussi qu’il était alcolo et qu’il déformait les visages. Ce n’est pas vrai ! Beaucoup d’histoires ont été créées pour véhiculer une image romantique de lui. Ce n’est que 100 ans après sa naissance que les choses sont remises en place avec beaucoup de travail. »Amedeo Modigliani a beaucoup voyagé. Agé de 21 ans, il quitte Livourne et se rend à Rome, à Capri, à Pompéi…
« Tout jeune, il a vécu aussi quelque temps en Sardaigne. Il ne faut pas oublier que son père avait une des plus importantes propriétés en Sardaigne ! Ensuite, il a été à Florence, à Venise… Il a vécu pendant trois ans à Venise, avant de partir à Paris en 1906. Quant Amedeo Modigliani arrive à Venise, il n’est pas encore majeur. Il est donc hébergé chez une famille juive. Elle lui permet d’avoir un atelier, il fréquente beaucoup d’amis et il peint beaucoup. Nous avons ici un seul tableau de Venise : c’est celui d’un jeune étudiant avec un livre. Ce livre, la mère de Modigliani l’a offert à son fils. Donc c’est l’histoire d’un homme qui vit sa passion d’être artiste. Etre artiste, c’est avant tout être soi-même, être satisfait de ce qu’on fait. Naturellement, cette satisfaction est mise en cause, chaque jour, par une interrogation très forte. Modigliani est un cas unique. C’est le seul artiste au monde qui a passé toute sa vie à faire des portraits, surtout des portraits de femmes. Ils indiquent sans doute une évolution psychologique et psychique à travers la lecture de l’inconscient, à travers la lecture profonde de l’individu. Ce n’était pas un portrait semblable, réaliste, c’était le résultat d’une grande pénétration intérieure du modèle. Ce concept du miroir, on le retrouve dans ses dessins, sculptures et peintures. »Est-ce que Jeanne Hébuterne fut son principal modèle ?
« Toutes les femmes qu’il a aimées sont sujets de ses portraits. Les portraits qui sont exposés ici démontrent que Modigliani a eu des rapports fort intéressants avec des grandes personnalités du monde de la culture : que ce soient Beatrice Hastings, Jeanne, Nina Hamnett, Erik Satie, Max Jacob... Donc ce n’était pas un ignorant comme on veut le faire passer, ce n’état pas un ‘petit Italien qui ne fait que des portrait’. Effectivement, c’est un cas unique. Il n’y a pas eu, dans l’histoire de la peinture, un artiste qui ait consacré sa vie aux portraits. Il n’y a pas de maître, il n’y a pas d’élève. Sa peinture est indépendante des courants : il n’est pas cubiste, il n’est pas futuriste, il n’est pas réaliste, il n’est pas abstrait. Il est Modigliani. »Le nu était aussi son domaine de prédilection...
« Oui, il y a une vingtaine de tableaux et une centaine de dessins qu’il a consacrées aux nus. Il a passé un moment important à l’Académie Colarossi, à Paris, pas loin de son atelier. C’était aussi un lieu qui permettait de passer, quelques heures au chaud en hiver et de dessiner, avec les autres. Jeanne Hébuterne était aussi une élève de l’école Colarossi et c’est là-bas qu’ils se sont rencontrés. C’était une école libre, on y payait quelques francs rentrer et pour avoir dessiner un modèle. Ce modèle était l’instrument de connaissance du corps. Mais là encore, un corps de femme n’est pas ici un objet, c’est une interprétation libre de la sexualité, une interprétation libre de l’inconscient du spectateur qui se retrouve devant l’objet du désir. »Retrouvez la 2e partie de cet entretien dans le prochain numéro de Culture sans frontières.