Mon oncle Kohn

Йозеф Шкворецкий

La nouvelle intitulée "Mon oncle Kohn" a été écrite par Josef Skvorecky en 1957, donc au début de sa carrière. Elle contient cependant beaucoup de traits typiques à la maturité littéraire de cet écrivain. Il semble que l'auteur lui même appréciait bien cet opuscule de sa jeunesse car il l'a inclus dans un recueil de contes "Un monde amer " publié en 1969. La nouvelle évoque le temps de la Première république tchécoslovaque, période d'une prospérité relative sous un régime démocratique. Cela ne veut cependant pas dire que les gens vivaient sans soucis et que les problèmes graves, dont le racisme, étaient éliminés de la vie publique. Malgré cela et malgré le ton élégiaque de la nouvelle, en lisant ce texte on a l'impression de revivre des moments agréables, une période où le monde était plus simple, plus jeune, plus passionnant.

Il y a peu d'auteurs tchèques traduits en français si souvent que Josef Skvorecky. Seuls Karel Capek, Bohumil Hrabal et Vaclav Havel peuvent se mesurer à lui en ce qui concerne le nombre d'ouvrages traduits en français. Déjà en 1968 Gallimard a publié la nouvelle corrosive de Josef Skvorecky : "La légende d'Emöke" traduite par François Kérel. Plusieurs traductions d'oeuvres de cet auteur ont vu le jour aussi grâce à la Nouvelle Revue Française. Ses romans policiers ont été traduits et publiés en français aux Editions de l'Aube. La vie de Josef Skvorecky ne manquait pas de tournants inattendus. Né en 1924 dans la ville de Nachod, diplômé d'anglais et de philosophie, il a choisi très tôt d'être écrivain. Il travaille d'abord dans l'édition, puis, sa popularité aidant, il se consacre exclusivement à la création littéraire. Certaines de ses oeuvres provoquent les autorités communistes par leur esprit de liberté. Dans son célèbre roman Zbabelci - Les Lâches, il ose parler ouvertement de la fin de la Seconde guerre mondiale et de la libération de la Tchécoslovaquie, période idéalisée par l'historiographie officielle. Le livre provoque un scandale qui compliquera la carrière de Skvorecky mais attirera sur lui aussi l'attention du public. En 1968, lorsque les troupes soviétiques envahissent la Tchécoslovaquie, Josef Skvorecky et sa femme Zdena Salivarova, elle aussi écrivain, s'exilent au Canada. Skorecky enseigne à l'Université de Toronto, continue à écrire et crée une maison d'édition, Sixty Eight Publishers, qui lui permettra de publier les auteurs interdits dans leurs pays. Ainsi voit le jour, grâce à lui, toute une bibliothèque d'oeuvres qui, en République tchèque, ne sont publiés qu'en samizdat. C'est grâce à Skvorecky et à sa femme Zdena Salivarova que la littérature tchèque libre ne perd pas sa continuité même pendant les pires années de la normalisation, dans les années 70 et 80, période où chaque tentative d'écrire librement est étouffée par la censure et expose l'auteur à la persécution. Après la chute du régime communiste en 1989 Skvorecky se rend souvent dans sa patrie où il peut finalement publier ses livres et où il reçoit aussi plusieurs prix littéraires...


L'histoire de l'oncle Kohn ramène le lecteur à l'entre-deux-guerres, à la veille de la Seconde Guerre mondiale où le monde à l'ancienne commence à crouler. Quelques phrases suffisent à l'auteur pour nous présenter l'oncle Kohn et sa femme, protagonistes de la nouvelle. "Mon oncle Kohn était riche et comblé par la vie. Il avait une automobile, une Tatra Hadimrska qu'il prenait presque chaque semaine pour nous rendre visite; il aimait beaucoup mon père. Nous avions pris l'habitude, mon père et moi, de marcher à sa rencontre et, en général, nous le croisions bien après la sortie de la ville, à une heure où il faisait déjà nuit noire. (...) Je restais à chaque fois complètement ébloui, si bien que je ne parvenait même pas à distinguer clairement ma tante quand elle me donnait un baiser de ses lèvres tendres et douces, et me fourrait dans la main un sachet de bonbons. Sa bouche très maquillée donnait à ses baisers un goût parfumé. Cet artifice ne lui était d'ailleurs pas vraiment nécessaire car elle était naturellement très belle, mais elle l'était encore plus ainsi."

L'Oncle Kohn est un Juif. Riche oisif, il possède à Prague une grande cafétéria qu'il a mise en gérance. Pour échapper à l'ennui, il s'occupe de recrutement de footballeurs. Il passe des après-midi entières en fumant dans un café, et à vendre et à acheter des joueurs. Il aime les blagues, et parfois il surprend son entourage par des farces un peu désagréables. Il offre par exemple à son interlocuteur une cigarette qui, allumée, se met à crépiter, ou un caramel sur lequel on peut se casser une dent. Avec sa belle femme, qui a vingt ans de moins que lui, il forme un couple en apparence mal assorti, mais très uni. La tante aime le football encore plus passionnément que l'oncle, elle assiste souvent à des matchs du Sparta, son club préféré, et au moment critique, elle n'hésite pas à s'attaquer à coups de parapluie aux fans du club adverse. L'histoire de son amour avec Pavel Kohn est longue et mouvementée. Elle n'avait que seize ans lorsqu'ils se sont rencontrés. Elle est obligée ensuite de cacher pendant longtemps sa liaison avec cet homme riche, certes, mais qui a aussi un grand inconvénient. Il est juif et c'est, aux yeux de son père antisémite, un obstacle insurmontable. Pour chasser l'idée de mariage avec cet intrus de la tête de sa fille, le père va jusqu'à la corriger avec son ceinturon, mais en vain. Cela ne fait qu'attiser l'amour de sa fille pour son soupirant juif. Elle continue à le rencontrer en cachette, en espérant qu'un jour son père changera d'attitude. Fille bien élevée, elle ne peut pas accepter l'idée de se marier avec son amant contre la volonté de son père. Sa beauté attire d'autres prétendants dont un étudiant en médecine, Albert Kudrna, qui a du mal à accepter son refus et menace de se suicider. Il n'aura pas assez de courage pour passer à l'acte mais il arrivera à se venger d'une autre façon. Il écrit une lettre anonyme révélant au père que sa fille rencontre en cachette son amant juif. Albert Kudrna finira par entrer dans l'organisation fasciste tchèque Vlajka-Drapeau et puis il collaborera ouvertement avec les nazis allemands. Finalement, il entrera dans l'armée allemande et partira pour le front de l'Est d'où il ne reviendra jamais.

Le père, informé des rendez-vous secrets de sa fille, se cache un soir pour surprendre Pavel Kohn au moment où il s'apprête à partir. Il se jette sur le pauvre amant dans un champ de tournesols en hurlant: "Espèce de juif puant, je vais t'étrangler!" Le petit narrateur raconte: "Peut-être grand père eût-il réellement étranglé mon oncle si mon père ne s'était justement trouvé en train de se raser dans la salle de bain, d'ou il pouvait voir le champ de tournesols. Dès qu'il a entendu crier, il se précipita dehors tel qu'il était et les sépara." Quant à moi, j'observais par la fenêtre de la cuisine oncle Kohn tout rouge et en nage qui se massait le cou, grand-père, tout rouge, le visage éclairé par une barbe blanche qui rappelait le collier de coton de saint Nicolas, et mon père qui agitait les bras, tenant dans une main son blaireau plein de mousse."


Finalement le Grand-père cède, la belle tante épouse l'oncle Kohn et tout semble aller pour le mieux, s'il n'y avait pas la politique. Trois mois après la noce, le petit garçon, son père et l'oncle Kohn entrent dans un restaurant. C'est le printemps 1936 et la table à côté est occupée par des étudiants des universités allemandes. Ils boivent et chantent. Mais, lorsqu'ils commencent à crier "Es lebe Adolf Hitler!" et "Die Juden 'raus!", le père du garçon se jette sur eux tandis que l'oncle Kohn se retire prudemment entraînant le garçon dans la rue. L'incident se termine au commissariat de police. Il est évident que les choses commencent à se gâter. Comme pour échapper à Hitler, en mars 1939, l'oncle Kohn attrape une pneumonie et la tante qui le soigne tombe malade, elle aussi. Ils meurent dans un court intervalle, l'un après l'autre, et même leur petit chien, un teckel aux petites pattes tordues ne survit pas à leur disparition. Resté seul, il meurt en gémissant comme s'il sanglotait. Le petit garçon s'en souviendra: "Dans les années qui suivirent, le souvenir de ce chien qui sanglotait m'est souvent revenu. Je me demande pourquoi. Le jour suivant était le 15 mars, les Allemands entrèrent dans Prague et lorsque mon oncle et ma tante furent incinérés au crématorium, il n'y eut déjà plus que de rares personnes pour assister aux funérailles. "Pavel! Pavel! " le triste appel de ma tante continuait de résonner en moi, et je savais que c'était la fin de toute une époque. A jamais."


La nouvelle "Mon oncle Kohn", traduite par Jean Hanoune, a été publiée dans le recueil Nouvelles pragoises aux éditions L'Esprit des péninsules.