Muet comme une carpe tchèque pendant Noël…
C’est un spectacle peu banal et assez sanglant auquel on peut assister dans les villes et villages tchèques pendant la semaine de Noël : partout d’énormes bassines et des marchands qui vendent seulement des carpes, les tuent et les vident sur place ou les vendent vivantes à emporter. La carpe, poisson d’eau douce, est le plat traditionnel de noël de ce pays sans mer qu’est la République tchèque. Et elles sont pêchées dès le mois de novembre dans des étangs dont on vide l'eau.
Tous les mois de décembre dans les rues de Prague, à côté des traditionnels marchés et sapins de noël, ce sont les carpes qui tiennent la vedette. Des dizaines de milliers de carpes sont vendues en quelques jours pour finir dans les assiettes le soir du réveillon, accompagnées de salade de pommes de terre comme le veut la tradition locale.
Tout commence dès le début du mois de novembre, quand tous les étangs du pays sont vidés. Les carpes sont mises dans une eau propre pour les nettoyer de la vase. Une tradition piscicole qui remonte au XVe siècle en Bohême, mais la carpe n’est devenue le plat traditionnel de Noël qu’au XIXè siècle.
C’est notamment dans la région de Třeboň, dans le sud de la Bohême, que les carpes sont pêchées tout au long du mois de novembre dans les nombreux étangs qui sont vidés de leur eau. Un rituel très physique, comme l’explique Petr Sedláček, le directeur technique en charge ce matin là d’un étang de 400 hectares duquel des milliers de carpes sont récupérées :
« Le filet que vous voyez, on ne dirait pas mais il peut contenir 100 tonnes de poissons. C’est assez énorme. On arrive, avec un système de répartition des tâches entre tous les hommes présents, à regrouper le maximum de poissons dans la seule partie où il reste encore de l’eau, un périmètre limité grâce à ce filet. »Dans le brouillard matinal, ils sont plusieurs dizaines d’hommes à coordonner leurs efforts. La technique a évolué, mais la tradition est ancienne, elle remonte au Moyen-Age. Václav Rameš dirige les archives locales :
« Dans les archives de Třeboň il y a des documents qui montrent que les poissons étaient exportés jusqu’au Vatican. C’est assez unique. Il y avait un grand intérêt pour ces poissons parce qu’ils étaient grands, ils étaient goûtus et charnus. Et encore aujourd’hui vous pouvez le voir, c’est un poisson bien gros. »
Ce poisson bien gros, de la région de Třeboň il arrive à Prague où il est entreposé dans des bassines remplies à ras bord, gardées la nuit par des veilleurs. Il n’est pas rare de voir des carpes sauter et atterrir sur le trottoir, avec l’énergie du désespoir pour échapper au sort cruel qui les attend.Tablier, gourdin, couteau, sans oublier la bouteille de schnaps pour oublier le froid à force d’avoir les mains dans l’eau : le vendeur de carpes est un personnage incontournable pendant la période des fêtes. Ames sensibles s’abstenir… Et vlan ! Le vendeur : « Houlà ! J’ai failli me taper sur les doigts Madame ! Un, deux, et voilà et maintenant on plante le couteau, j’vous la pèse, tiens j’la pèse avec le couteau comme ça vous m’payez même le couteau ! »
Environ trois euros le kilo, deux de plus si on laisse au marchand le soin d’achever le poisson. Mais certains préfèrent l’acheter encore vivant, pour faire plaisir aux enfants et pour la fraîcheur du produit.
Pour ceux qui achètent leurs carpes encore vivantes, il s’agit de ne pas traîner en route pour les replonger le plus vite possible dans l’eau, de préférence dans la baignoire, où elles resteront pendant 48 heures :
Une acheteuse au bord de sa baignoire : « Après on va les saler et on les laisse reposer. Celle-là, on va la cuisiner ‘au noir’, c’est à dire aux prunes et au vin, et je vais la préparer dès maintenant, et puis la deuxième on va en paner les filets le jour du réveillon. Et puis avec la tête et les entrailles on fait une très bonne soupe de poisson ! »
Mais même si la carpe reste le poisson traditionnel tchèque du repas de Noël, la jeune génération préfère de plus en plus les produits moins locaux, comme le saumon par exemple.