Natacha Bartosek : « J'ai du mal à imaginer comment on fonctionne, au niveau cérébral, avec une seule langue ! »
Rencontre aujourd'hui sur Radio Prague avec Natacha Bartosek, fondatrice et directrice de l'Ensemble parisien de jeunes voix Aposiopée. Fille de l'historien, écrivain et dissident tchèque, Karel Bartosek, elle a grandi dans la Tchécoslovaquie communiste avant de s'installer, au début des années 1980, avec ses parents, en France. Elle sera l'invitée, ce dimanche, de Culture sans frontières. On écoute un extrait de cette émission...
«Je dis, pour rire, que je suis moitié Tchèque, moitié Française. Le côté coeur, la partie gauche est tchèque et la partie droite est française. Maintenant, la double culture n'est pas facile à gérer, même si c'est une richesse. Quelque part, je suis étrangère dans les deux pays et je suis chez moi dans les deux pays. En tout cas, je dois énormément à la Bohême, à la République tchèque et à la France aussi...Je ne sais pas comment vous dire... Je suis née comme ça et j'ai même du mal à imaginer comment on fonctionne au niveau cérébral avec une seule langue ! Je pense que la pensée précède les mots, le verbe. Beaucoup de gens me disent que la pensée s'appuie sur des mots, mais pour moi, elle existe avant. Les mots ne sont qu'un moyen. C'est peut-être pour ça aussi que je suis tombée dans la musique, parce qu'il n'y a pas de mots. La pensée s'exprime par des sons et c'est un moyen beaucoup plus rapide, simple et expressif pour dire des choses. »
Ce départ de la Tchécoslovaquie, lorsque vous aviez vingt ans, comment l'avez-vous vécu ?
« Quand on me demande quelle a été la plus grande difficulté dans la vie à surmonter, je dis que c'était l'émigration. Le fait de partir et de se dire : je ne reviendrai plus jamais, le fait de 'brûler les ponts derrière soi', comme on dit on tchèque, c'est assez terrible. En partant, nous avons vraiment pensé qu'on ne reviendrait plus jamais. Il se trouve que sept ans après, les systèmes se sont effondrés comme les châteaux de cartes... Ce qui m'a sauvée à ce moment-là, c'était encore une fois la musique (...) Après la chute du régime, quand les gens me demandaient pourquoi je ne voulais pas revenir, vivre ici, je leur disais : mais vous ne vous rendez pas compte de l'énergie que c'est de s'enraciner quelque part ! Je ne vais pas m'amuser à me déraciner et encore une fois m'enraciner là, d'où je suis déjà partie, d'où je me suis déracinée... »