Une année de culture et de rencontres

Bonjour, et bonne année à toutes et à tous. Je suis ravie de passer un peu moins d’une demi-heure d’émission spéciale avec vous, à l’occasion de la Saint-Sylvestre et de la nouvelle année. L’occasion de nous pencher ensemble sur l’année écoulée.

Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai trouvé que 2007 avait été une année vraiment agréable et pleine de changements, d’activités, de rebondissements. J’espère que vous aussi vous en avez bien profité et que comme moi, vous allez en garder un agréable souvenir. Je vous propose donc un petit voyage dans le temps, et de nous repasser ensemble le fil de certains événements culturels de l’année, de retrouver les personnes marquantes que Radio Prague est allée rencontrer et découvrir pour vous.

L’année culturelle tchèque, c’est d’abord de grands rendez-vous cinéma incontournables, dont le plus important est le Festival du film à Karlovy Vary, qui se déroule comme tous les ans début juillet dans la petite ville thermale de l’ouest de la Bohême. Ceux qui ont aimé Le Poulpe et Un air de famille ont pu le découvrir aussi derrière la caméra : Jean-Pierre Darroussin était au festival pour présenter son premier film « Le pressentiment ». Notre collègue, Alexis Rosenzweig l’y avait rencontré et avait relevé la présence, dans ce premier opus, d’un comédien d’origine tchèque, Ivan Franek :

« Etant moi-même acteur, j'ai voulu profiter de l'occasion de pouvoir tourner avec plein de vieux camarades avec qui j'avais travaillé au théâtre ou au cinéma. Ivan, je l'avais déjà remarqué dans un ou deux films. A un moment donné, on m'a reparlé de lui, j'ai vu sa photo, il m'est revenu en tête et je l'ai rencontré. C'était tout de suite évident qu'il était bien pour ce rôle. »

Ivan Franek a joué dans d’autres films français tels que 36 Quai des Orfèvres ou la coproduction Vodka Lemon. Cette année, il a fait une apparition, assez rare pour être notée, dans un film tchèque : Tajnosti (Secrets) de la réalisatrice Alice Nellis. Au micro de Magda Hrozinkova, il avait évoqué sa carrière à l’Ouest et ce rôle de l’amant du personnage principal du film incarné par Iva Bittova :

Iva Bittova
« Je suis Tchèque et je vis à Paris depuis dix-huit ans. Je suis partagé entre la France et l'Italie surtout. Là, j'ai eu enfin l'occasion de faire un film en tchèque, de le tourner ici. Ce rôle, je l'ai accepté immédiatement, car Alice Nellis est quelqu'un que j'admire et aussi parce que son projet m'a beaucoup plu. » Je joue souvent dans des films d'action, surtout en France. En Italie, j'incarne plutôt des hommes romantiques, déchirés... Je ne peux pas dire que ce rôle-là soit exceptionnel. C'est encore un homme tendre, un peu nerveux, mais qui, finalement, accepte son sort. On ne sait pas vraiment qui est ce Karel et j'aime bien laisser un point d'interrogation à la fin... »


Le Kinoautomat premier film interactif au monde a été de nouveau présenté au public tchèque après être tombé dans l’oubli pendant des années. Présenté pour la toute première fois à l’Expo 67 à Montréal, placardisé par le régime communiste pour « faute de goût idéologique », il a été projeté en mai dernier à Prague, grâce à la fille de son inventeur Raduz Cincera…


Cinéma encore et toujours… A la fin de cet été, la quasi-totalité du prochain film de Christophe Barratier, auquel on doit le film à succès Les choristes, a été tourné à Prague – en partie dans un décor d’un Paris des années 30 rêvé et reconstitué à l’extérieur de la capitale, et en extérieurs réels.

C’est sur les hauteurs du cimetière d’Olsany, sous la bruine et dans la froidure, que j’étais allée à la rencontre en septembre dernier de Pierre Richard, qui incarne un des personnages de Faubourg 36 dont la sortie en salles est prévue pour l’automne prochain. On se souvient tous de lui dans le Grand blond, une image qui lui colle à la peau. Mais alors monsieur Pierre, est-ce que ça a été dur de changer de style ?

« Non, jouer un autre rôle n'a pas été difficile. Le Grand blond avec une chaussure noire est devenu un énorme succès dans le monde entier, notamment en Allemagne. Ca me faisait plaisir. En même temps, après quand les Allemands, par exemple, achetaient mes films, même si ça n'avait aucun rapport avec le Grand blond, ils l'appelaient « le grand blond ceci ou cela ». Ca, ça m'agaçait un peu, parce que c'était parfois des histoires totalement différentes, un personnage différent, mais il y avait toujours le Grand blond. Mais enfin, je ne vais pas me plaindre d'un succès mondial. Qui oserait s'en plaindre ? »

Finalement, on a l'impression qu'avec le temps, toute cette série de films que vous avez faits, avec ce personnage maladroit, jamais à sa place, vous avez créé un personnage, un peu comme Jacques Tati a créé Monsieur Hulot. Cette comparaison vous convient-elle ?

« Oui. Elle est même flatteuse. C'est vrai que j'ai apporté un personnage dans un univers où il était complètement décalé, soit à cause de sa distraction, soit de sa maladresse ou de sa malchance comme dans la Chèvre. C'était un personnage qui m'appartenait et qui m'a donné beaucoup de plaisir, et probablement du plaisir aux gens car il a eu beaucoup de succès. C'est aussi vrai qu'après, je n'avais pas l'intention de jouer ce personnage jusqu'à la fin de ma carrière, qui n'est pas encore finie. Et j'ai eu envie de faire autre chose. Mais avec le temps, j'ai fait d'autres choses, et je reviens à ce personnage, même s'il a trente ou quarante ans de plus. Ce sont toujours des personnages un peu lunaires, un peu tendres. Ca fait deux-trois films que je fais avec de jeunes metteurs en scène, et Barratier en est un qui, finalement, s'est servi de certaines caractéristiques de ce personnage. Pas du tout de l'aspect distraction ou maladresse, mais un certain personnage poétique. »

Vous avez reçu le César d'honneur en 2006. Et vous avez eu cette jolie phrase : « Ce n'est pas quarante ans de travail, mais quarante ans de récréation ». Vous le sentez toujours ainsi ?

« Oui, c'est pour cela que je m'efforce, pour que cela reste de la récréation, de faire des films qui m'amusent ou qui m'intéressent. Si c'est un travail j'arrête. Tant que le cinéma restera une récréation, je continuerai. Pourquoi je m'arrêterais de jouer ? Jouer dans tous les sens du terme... »

Lors du dernier Festival du film français, une nuit entière de rétrospective a été consacrée à cet acteur, devenu, par la magie de la patine des années et le recul, un monstre du cinéma français - un peu malgré son image. Et Pierre Richard a profité de cette escapade praguoise de plusieurs semaines pour pousser la chansonnette avec Iva Fruhlingova, une jeune mannequin tchèque devenue chanteuse, et qui exerce ses talents vocaux, dans la langue de Molière s’il vous plaît…


Personnellement, à part Pierre Richard, pour moi, une des grandes rencontres de ces derniers mois, a été celle avec Luce Vigo. Je connaissais son père Jean Vigo, de nom, tout comme celui de son plus célèbre film Zéro de conduite, sans d’ailleurs les avoir associés dans ma tête… et surtout, ce n’était que des noms. Et puis, avant de rencontrer Luce Vigo venue au festival l’Ecole d’été de cinéma de Uherske hradiste, je suis allée un peu à la découverte de ce personnage qu’était son père, anar, révolté, cinéaste à la carrière éclair, mort prématurément à l’âge de 31 ans… Luce Vigo a la simplicité des grandes dames, « appelez-moi Luce, pas de madame Vigo », dit-elle d’emblée… de quoi vous mettre à l’aise…

Elle était venue présenter une nouvelle section de ce rendez-vous cinéma de l’été, le Prix Jean Vigo, qui présentait certains des films récompensés par ce prix qui chaque année met en avant une œuvre d’un « réalisateur français distingué pour son indépendance d'esprit et son originalité de style ». Un film notamment y était présenté, La France, de Serge Bozon, sorti dans les salles françaises le 21 novembre. Un film étonnant auquel je n’ai cessé de penser depuis.

La France
Au milieu de la boucherie de la première guerre mondiale, une jeune femme, Camille, se fait passer pour un garçon, et part à la recherche de son mari au front. Elle tombe sur une troupe de poilus un peu étranges…qui se mettent à jouer de la musique sur des instruments faits de bric et de broc et chantent des chansons anachroniques qui rappellent les Kinks ou les Beatles. Ambiance rétrospective du film dans la salle, et commentaire de Luce Vigo :

Sylvie Testud
« Ce jeune réalisateur, Serge Bozon, avait fait un premier film que je trouve assez snob, qui s'appelait « Mods », que je n'aimais pas du tout. J'ai découvert en voyant « La France » un film où il s'était ouvert au cinéma. J'ai été d'ailleurs un peu sévère pendant la présentation, car en le revoyant pour la troisième ou quatrième fois, je me suis rendue compte que ce film, c'était vraiment du cinéma, c'est un des critères, et en même temps, il y a un vrai point de vue antimilitariste et une histoire, cette belle histoire de cette femme qui se trouve au milieu d'un groupe d'hommes, de soldats, et qui se fait passer pour un garçon pour essayer de retrouver son mari. »

C'est vrai que Sylvie Testud, qui joue le rôle de cette jeune femme, Camille, est particulièrement émouvante et authentique. Elle crève l'écran.

« On n'apprend pas tout de suite que les soldats sont déserteurs. Le réalisateur a vraiment dosé son histoire, elle avance peu à peu. Elle surprend cette histoire avec ces soldats-musiciens qui jouent sur des instruments de bric et de broc. Je pense que Serge Bozon continuera à faire du cinéma et à ne pas s'enfermer comme au début dans une espèce de clan... pas snob, j'aimerais trouver un autre mot mais je n'y arrive pas (rires). »


Pont de Charles
Parmi les grandes dates anniversaires de l’année, rappelons que le plus célèbre des ponts de Prague qui porte le nom de son fondateur, l’empereur Charles IV, a fêté début juillet ses 650 ans. Un anniversaire célébré en grandes pompes le jour J.

2007 a été l’occasion de se rappeler que 330 années se sont écoulées depuis la naissance de Vaclav Hollar, artiste tchèque qui au XVIIe siècle a immortalisé la ville de Londres sur ses gravures, avec une infinie précision.

'Goya's Ghosts'
2007 aura également été l’année Forman en République tchèque. Je veux bien entendu parler du réalisateur américain d’origine tchèque connu pour ses opus cinématographiques mondiaux tels que Hair, Vol au dessus d’un nid de coucou ou encore Amadeus. A 75 ans, il est toujours considéré comme un des plus grands réalisateurs tchèques – et par les Tchèques eux-mêmes. Cette année, outre la sortie en salle de son dernier film Les fantômes de Goya, il a mis en scène au Théâtre national, la pièce musicale du célèbre duo Jiri Suchy-Jiri Slitr, « Une promenade bien payée ». Et pour faire revivre ce grand succès dans les années 60, Milos Forman a travaillé en famille puisqu’il s’est associé l’aide de ses deux fils Petr et Matej Forman, à la mise en scène et au décor. Il a d’ailleurs été récompensé par le prix Sazka et des Nouvelles théâtrales en octobre dernier.

'Moi qui ai servi le roi d’Angleterre'
Et comme on parle cinéma, et de grands réalisateurs qui ont marqué le 7e art tchèque, rappelons que c’est aussi en janvier dernier qu’est sortie l’adaptation très attendue du roman de Bohumil Hrabal, « Moi qui ai servi le roi d’Angleterre ». Récompensé par le Prix de la critique à la 57e Berlinale, il a également reçu le Lion d’or de la meilleure photographie et du meilleur second rôle, équivalent tchèque des Césars français.


Mais la culture, c’est aussi des polémiques et du raffut… toutes proportions gardées, mais quand même… De mai à octobre dernier, les Pragois sont venus en nombre, entre fascination et répulsion, voir l’exposition Bodies à la salle Lucerna à Prague. Bodies c’était quoi ? Des cadavres conservés grâce à la méthode de la ‘plastination’. Outre l’aspect morbide et la dimension esthétique fort contestable, c’est aussi l’origine des corps qui a fait débat, puisqu’ils venaient de Chine…

Autre émoi esthétique de l’année, mais dans un tout autre style…La construction de la future bibliothèque nationale. Certains l’appellent le « blob », d’autres « la pieuvre », d’autres encore « la méduse ». Untel pousse les hauts cris, et un autre s’extasie devant l’inventivité du projet. Une chose est sûre, le projet gagnant de l’architecte Jan Kaplicky n’a laissé personne indifférent, et quelque soit l’issue des contestations qui ont toujours cours, les soubresauts médiatiques auront en tout cas fait une pub inespérée à l’architecte britannique d’origine tchèque.


Karel Steiner est né en 1953 en Tchécoslovaquie et a émigré après l'invasion soviétique de 1968. Après de nombreuses années passées à New York, il a choisi Paris comme terre d'élection. Photographe, il s’est lancé dans une entreprise personnelle intéressante : tirer le portait aux Tchèques installés en France… A son actif, déjà, quelque quatre-vingts portraits, d’Antonin Liehm à une simple concierge d’immeuble… A l’occasion d’une petite exposition à Prague en septembre dernier, je lui avais demandé comment était né ce cycle :

« Tout à fait. Le projet a commencé il y a trois ans. Les photographies qui sont exposées ont toutes été photographiées en deux ans et demi. Pour trouver des Tchèques, ce n'est pas évident. C'est sûr. Quand j'ai commencé, je ne connaissais pratiquement pas de Tchèques. Mais j'ai une technique assez simple : quand je prends quelqu'un en photo, je lui demande s'il connaît quelqu'un. Souvent ça marche. J'ai obtenu pas mal de noms. Ensuite le Centre culturel tchèque à Paris m'a donné une liste et, petit à petit, j'ai trouvé beaucoup de gens. »


Parmi les rencontres de Radio Prague cette année, j’aimerais revenir sur une jeune femme que ma collègue Magda Hrozinkova avait rencontrée en juin dernier. Natacha Bartosek est la fille du grand historien tchèque, dissident, Karel Bartosek, émigré en France et décédé en 2004. Elle s’était confiée à Magda, sur le difficile ballottage entre la France et la République tchèque, et aussi sur la musique, car elle est la fondatrice et la directrice de l'Ensemble de jeunes voix Aposiopée, un chœur parisien au large répertoire tchèque, on l’écoute :

« Je crois que c'est un atavisme... Je suis tombée dedans quand j'étais petite. Il paraît que je chantais avant de parler. Et puis j'ai eu la chance d'habiter à trois minutes d'une école de musique, d'une 'Lidova skola', c'est l'équivalent du conservatoire municipal en France. J'y passais mes après-midi. C'est une activité qui m'a tout simplement sauvée, parce que j'étais assez désobéissante et pas très bonne élève à l'école. Il y a eu une vraie rencontre qui s'est passée avec mon prof de solfège, de 'hudebni nauka' qui s'appelle Vladimir Roesel et à qui j'ai dédié le concert à Prague. Avec lui, c'était un vrai coup de foudre mutuel, je pense, il m'a accompagnée dans tout... J'ai fait du violoncelle pendant dix ans, du piano, de la harpe...

Et j'ai toujours fait du chant, parce que dans les conservatoires municipaux tchèques on étudie la voix comme instrument, contrairement aux conservatoires municipaux français. C'est aussi pour cela que j'ai créé Aposiopée, pour que les enfants étudient le chant comme un instrument, pour que ce ne soit pas juste une pratique collective, mais aussi un travail individuel. Car la voix doit être travaillée, d'une façon individuelle et hebdomadaire.

Ma personnalité s'est construite ici, même si je suis de double culture, parce que ma maman est Française. Pendant la plupart des vacances scolaires, on allait en France, à la maison on parlait français... Il n'empêche que mon environnement social et culturel était tchèque. Même si les Tchèques me voient comme une Française et les Français me voient comme une Tchèque...

Quand j'étais toute petite, on me demandait : Qu'est-ce que tu préfères ? La France ou la République tchèque ? Mais c'était une question à laquelle je ne pouvais jamais répondre... Moi, pour rire, je dis, que je suis moitié Tchèque, moitié Française. Le côté coeur, la partie gauche est tchèque et la partie droite est française. Maintenant, la double culture n'est pas facile à gérer, même si c'est une richesse. Quelque part, je suis étrangère dans les deux pays et je suis chez moi dans les deux pays. En tout cas, je dois énormément à la Bohême, à la République tchèque et à la France aussi...Je ne sais pas comment vous dire... Je suis née comme ça et j'ai même du mal à imaginer comment on fonctionne au niveau cérébral avec une seule langue ! »

Toujours côté musique classique, dans le cadre des Fêtes d’été de musique ancienne qui se sont déroulées en juillet dernier à Prague, le haute-contre Gérard Lesne a donné un récital de compositions baroques italiennes et françaises.


Notre émission spéciale à l’occasion de la Saint-Sylvestre prend fin peu à peu. On finit en musique, bien sûr, avec une chanson de circonstance intitulée Novorocni, ou la « chanson de la nouvelle année », interprétée par le Brel tchèque que vous connaissez bien, car nous le jouons souvent, Karel Kryl.