« On ne regarde plus les gens qui ne sont pas mariés comme des personnes marginales »
Si on parle de la société tchèque et des changements qu’elle subit, quelques statistiques peuvent nous aider pour comprendre son évolution, pour tenter de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses. Depuis une dizaine d’années en République tchèque, on parle du nombre de mariages qui baisse ou du nombre des couples divorcés qui augmente… Que disent donc les chiffres et comment peuvent-ils être interprétés ? Extraits de l'entretien accordé à Radio Prague par Jitka Rychtaříková, professeur de démographie.
Jitka Rychtaříková, professeur de démographie, analyse les causes :
« Auparavant, en ce qui concerne les mariages, on avait comme ’motif‘ très fréquent la conception prénuptiale – 50% des mariages étaient dus à la grossesse de la mariée. Maintenant le développement de la contraception moderne, il n’y a plus trop de situations de grossesses non désirées : c’est la première cause. Deuxième raison : la politique sociale de l’Etat. Seuls les gens mariés avec enfants recevaient un appartement subventionné et donc bon marché. Aujourd’hui cette situation n’existe plus. Comme troisième facteur on peut considérer le fait qu’il y a plus de choix. Avant il n’y en avait pas. On finissait ses études, on se mariait et on avait des enfants. Maintenant il y a plus d’options concernant la vie. L’opinion publique a aussi changé. On ne regarde plus les gens qui ne sont pas mariés comme des personnes marginales. » En effet, aujourd’hui, on ne s’étonne plus de voir des couples vivant ensemble depuis plusieurs années sans être mariés. Au début des années 1990, à peu près 90% des hommes et 95% des femmes étaient mariés, alors qu’aujourd’hui 55% des hommes et 62% des femmes passent devant le maire. Les Tchèques se marient donc moins : une grande partie des jeunes couples se contente de vivre ensemble, sans « bénédiction » juridique.« Avant, c’était surtout les personnes divorcées et veuves qui cohabitaient. Aujourd’hui, on voit bien une augmentation de la cohabitation des personnes jeunes. Mais ce sont des gens sans enfants c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une situation qui remplace le mariage légal. »
En France, on connaît le PACS depuis une dizaine d’années. Pensez-vous que la légalisation du PACS en République tchèque aiderait la société tchèque, démographiquement ?
« Je pense que ce serait très utile de légaliser cette forme : on l’a déjà sous la forme du partenariat enregistré mais il est réservé exclusivement aux personnes du même sexe. Mais ça dépendrait aussi de la législation : aujourd’hui, concernant les allocations familiales, aides sociales etc., c’est très bien divisé entre les couples mariés et les femmes seules. D’un côté, cela aiderait les gens à avoir des informations sur la santé du partenaire, à pouvoir hériter, mais d’un autre côté, il peut y avoir des situations où il faut aider le partenaire et je ne sais pas si ce serait comme dans le cas du mariage légal. Enfin je crois que la légalisation de ce type d’union aiderait certaines franges de la société. »
Vous m’avez-dit avoir quelques exemples de « spécialités » tchèques : par exemple le mythe de l’homme divorcé qui se marie avec une jeune femme célibataire. Alors quelle est la réalité ?
« Oui, on voit ce phénomène dans la presse : surtout nos hommes politiques qui divorcent et se marient avec de belles jeunes femmes célibataires. Mais ce n’est pas vrai, parce qu’en regardant les statistiques on voit très bien que le pourcentage des hommes divorcés qui se marient avec des femmes célibataires est à peu près le même que le pourcentage des femmes divorcées qui se marient avec des hommes célibataires. Ce chiffre-là est à peu près de 10%. »En ce qui concerne le nombre d’enfants nés hors mariage, pouvez-vous comparer la France et la République tchèque ?
« Concernant la situation de la République tchèque, aujourd’hui 40% d’enfants sont nés hors mariage. Par rapport à la France, il s’agit d’une situation différente, car ces enfants sont surtout ceux de femmes célibataires, ayant un faible niveau d’instruction. Ces femmes restent souvent seules, sans partenaire. En France, je pense qu’il s’agit plutôt de couples qui vivent presque comme des couples mariés, sauf qu’ils ne sont pas mariés de jure tandis qu’ ici, ce sont plutôt des femmes pour lesquelles il est plus avantageux de ne pas se marier parce que dans le cas d’un divorce, elles n’auraient pas droit à une aide sociale. »« En République tchèque, l’âge du premier mariage des femmes est de 29 ans tandis que l’âge des femmes à la première naissance, c’est 27,6 ans en moyenne. C’est plus bas car ce sont surtout les jeunes femmes célibataires qui ont des enfants jeunes et cela fait que l’âge moyen à la première naissance est plus bas que celui du premier mariage. »
Si on parle de l’évolution démographique de la société en général, quel est selon vous le plus gros problème concernant l’évolution de la société tchèque ?
« Je crois qu’aujourd’hui la nuptialité est moins importante. C’est plutôt la fécondité qu’il faut surveiller. Le nombre moyen d’enfants par femmes en République tchèque est aujourd’hui de 1,49 enfant ce qui est beaucoup moins par rapport à la France où c’est actuellement 2 enfants. La France est le pays où la fécondité est la plus importante de toute l’Europe. On est toujours en pleine crise économique et même si on ne peut pas la comparer avec celle de l’avant-guerre, le gouvernement essaie de limiter les allocations, les aides aux familles. Le nombre de familles incomplètes augmente et ce sont ces familles qui sont en danger. Maintenant, avec la contraception on peut très bien planifier le nombre d’enfant. Donc je pense que c’est la fécondité qui est le plus gros enjeu de République tchèque à l’avenir. »