Nicolas Marty, de Dizak Ketex : pas de conséquences à long terme du volcan sur le tourisme
Dizak Ketex est le nom d’une entreprise spécialisée dans le tourisme d’affaires et l’événementiel. Ce nom obscur, qui peut faire croire aux francophones qu’il a une signification dans une langue slave, mais qui reste tout aussi obscur pour les slavophones, correspond en réalité à des projets de couloirs aériens en France ; une coïncidence qui a offert un bon prétexte pour rencontrer Nicolas Marty, le patron de la société, et l’interroger sur les conséquences de l’éruption du volcan islandais sur le secteur du tourisme.
Nicolas Marty, nous nous étions rencontrés en juillet dernier où vous m’aviez dit que la haute saison dans le tourisme d’affaire sont les trois premiers mois de l’année, janvier, février et mars. Alors, pouvez-vous nous faire un bilan de votre saison ?
« Comme vous le savez, notre secteur a été marqué par la crise et il est vrai qu’en juillet dernier, la haute saison était en effet les mois de janvier, février et mars puis on continuait doucement sur avril-mai. Cette année, le grand changement a été un mois de janvier plutôt calme par rapport aux années précédentes. On n’a pas eu de grands groupes comme nous avions l’habitude d’avoir, c’est-à-dire des groupes de 700 à 1 000 personnes qui venaient à Prague pour des grandes conventions ou des grands lancements de produits.
Cette année, on a eu des groupes de taille moyenne, de 100 à 150 personnes. Le mois de janvier a été un peu moins fort que les mois précédents, le mois de février a été globalement satisfaisant, tout comme mars. Et l’on remarque une sorte de glissement de l’activité que nous avions en janvier, qui arrive maintenant sur les mois de mai et juin.On peut l’expliquer par la baisse des prix. Autrefois, les gens cherchaient les bonnes affaires en janvier, maintenant, les clients les trouvent au mois de mai et juin. Et on arrive dans une période relativement forte pour nous alors que c’était une période calme les années précédentes. »
Dans l’ensemble, il y a des chances que la situation s’équilibre ?
« Oui, ça s’équilibre. Pour l’instant, on a une baisse de 30% de notre chiffre d’affaires par rapport aux années fortes, l’année 2008 par exemple, mais on sait qu’on va compenser au mois de mai qui va être très fort. Même fin avril, on a par exemple six groupes qui arrivent, qui représentent en tout environ 300 personnes et c’est un cas que l’on n’avait plus eu depuis quelques années. »Le paroxysme de la crise économique semble être passé mais vous ressentez encore ces effets ?
« On ressent toujours la crise, et je pense qu’on va ressentir ses effets pendant plusieurs années parce que dans notre secteur, ça a vraiment modifié les façons de faire. Ça les a modifiées parce que les gens recherchent l’économie à tout prix. Et grâce à Internet et au développement des 'low cost', qui permettent de se rapprocher rapidement des destinations, les clients ont tendance à vouloir travailler de plus en plus en direct.
La tendance est toujours là pour nous, c’est-à-dire qu’on a beaucoup d’anciens clients qui maintenant travaillent directement avec la destination. Ça change notre méthode de travail parce que l’on doit encore plus montrer quelle est notre valeur ajoutée. Avant, on était incontournable, mais maintenant, les gens estiment qu’on peut être contournés. On doit donc montrer à quoi on sert, pourquoi on est là, et assurer un service encore plus pointu que ce que l’on pouvait assurer auparavant. »Dans l’actualité de ces derniers jours, il y a eu l’éruption de ce volcan en Islande qui a complètement gelé le trafic aérien pendant une semaine et qui va le perturber pendant encore longtemps. Avez-vous eu des conséquences directes de l’éruption de ce volcan sur vos activités ?
« Il y a eu des conséquences passées et il y aura des conséquences futures. Pour ce qui est de la conséquence passée, on a eu des groupes à Prague le week-end passé, alors que le ciel était complètement fermé. Les clients ont plutôt bien géré les choses. Je pense que les clients français sont habitués à avoir des ruptures dans leurs modes de transport, notamment dues aux nombreuses grèves en France. Je pense que lorsqu’on leur annonce qu’il n’y a plus d’avions pour rentrer en France, c’est un peu comme si on leur disait le matin qu’il n’y a plus de RER ou plus de trains. Ils sont assez habitués et assez pragmatiques. Pour nous, il s’agissait de gérer les hébergements pour qu’il n’y ait pas de soucis. Voyant que le problème risquait de durer, on a fini par affréter un bus et on a fait rentrer les clients en bus à Paris. Il est vrai qu’on a la chance que Prague n’est pas très loin de la France, avec un bus et en une nuit, on peut rapidement se retrouver à Paris. Ceci est le problème passé qui a été géré de façon assez simple.Concernant les problèmes futurs, pour l’instant, on reste attentif et attentiste par rapport à ce qui va se passer ce week-end ou pour les prochaines opérations. Le ciel allemand par exemple a été fermé et cela a créé un problème entre Paris et Prague. Pour l’instant les agences nous demandent d’attendre et on aura certainement des annulations pour le congrès qui se tient à Prague ce week-end. »
On a parlé de 1,26 milliards d’euro de manque à gagner pour les compagnies aériennes, ce qui n’inclut pas les agences de voyage. Est-ce que pour vous cette situation a entraîné un manque à gagner direct et comment gérez-vous ces annulations ?
« Ça entraîne un manque à gagner direct et indirect. Dans le manque à gagner direct, on passe beaucoup de temps qu’on ne facture pas, parce que c’est vraiment notre travail d’agence d’événementiel d’assurer ce type de services. Donc il faut recherche un bus, s’assurer que le bus est en bon état, que les chauffeurs ont bien compris quel était leur travail.
Ce sont des choses qu’on ne facture pas et c’est un manque à gagner direct puisqu’on y passe du temps. Mes collaborateurs ont passé le week-end à travailler sur ces problématiques. Moi-même j’ai passé mon week-end à travailler pour envoyer du matériel de Paris à Moscou en passant par Prague. On a travaillé gratuitement pour nos clients et pour le coup, c’est notre valeur ajoutée.La perte directe, ce pourrait être en effet des annulations pures et simples, et on ne serait pas forcément couverts face à ces annulations. On aurait effectivement un manque à gagner.
Ensuite, concernant les chiffres donnés de 1,2 milliards, cela dépend comment les compagnies aériennes font leurs calculs. Je pense que dans ce genre de situation, on a intérêt à crier très fort pour obtenir quelque chose. Il est certain que si les compagnies disent qu’elles ont seulement perdu 100 millions d’euros, je ne pense pas que la Commission Européenne leur vienne en aide. »
Pensez-vous que vous, en tant que voyagiste, vous pouvez obtenir des aides si les conséquences deviennent complètement ingérables ?
« Je ne pense pas. Je ne vois vraiment pas qui viendrait nous aider. En tant que PME, on a toujours été seuls. Je ne crois pas qu’aujourd’hui on aurait une aide particulière. »
Ce volcan a été quelque chose de tout à fait inattendu, très surprenant, qui a des conséquences que l’on dit plus importantes sur le trafic aérien et les échanges internationaux que les attentats du 11 septembre 2001. Pensez-vous qu’il puisse y avoir des conséquences sur le long terme ? On parle de faillibilité de la mondialisation, quel est votre opinion à ce sujet ?« Je ne pense pas que cela aura des conséquences à long terme. D’une manière générale, on a une mémoire assez courte. On apprend assez peu de nos erreurs, donc je ne vois pas pourquoi aujourd’hui on devrait remettre en cause notre système, qui somme toute ne fonctionne pas si mal que cela. Donc je ne pense pas que ça ait des conséquences à long terme.
On est sur un système qui est faillible. Maintenant on le sait. On a des attentats, il y a la crise économique, il y a des catastrophes naturelles. On focalise sur le volcan, qui a effectivement fait perdre de l’argent et a bloqué les voyageurs. On a aussi eu un tremblement de terre en Haïti qui a tué des milliers de personnes. C’est la nature qui se rappelle à nous et qui nous fait parfois comprendre que tout notre beau système n’est pas forcément – je ne dirais pas pérenne – mais il n’est pas immuable, et il peut y avoir des accrocs.Ensuite, la nature de l’homme fait qu’on a besoin de voyager, on a besoin d’échanger, on a besoin de découvrir, on a besoin de faire du commerce. C’est la mondialisation. Aujourd’hui le volcan pose un problème sur l’aérien, ce qui veut dire que demain on mettra le paquet sur les trains à grande vitesse en Europe. Et lorsqu’il y aura une catastrophe nucléaire, puisque les trains fonctionnent à l’électricité nucléaire, on refera des pistes cyclables et on continuera comme ça, toujours à vouloir voyager, à vouloir faire du commerce et à vouloir faire découvrir. »