Karel Novak à la recherche des vestiges de la guerre
Je voudrais vous emmener aujourd'hui en Bohême du nord. Cette partie de la République tchèque, les Sudètes, est à jamais liée à l'Allemagne. Une minorité allemande y a vécu bien avant la Seconde Guerre mondiale. Les Sudètes, devenus territoire allemand en 1938, étaient, pendant la guerre, lieu de violents combats. Par exemple l'usine chimique de Litvinov, construite par Hitler, usine qui est, d'ailleurs, toujours en marche, a été bombardée plusieurs fois par les alliés. Dans cette région, on peut encore trouver des épaves d'avions abattus, des armes, des munitions, mais aussi... les dépouilles des pilotes. Quelle était leur identité ? Leurs familles, savent-elles où, quand et comment ils ont péri ? Il y a quelques
jours, j'ai rendu visite à un Tchèque, qui essaye de répondre à de pareilles questions. La quarantaine passée, Karel Novak est grand, musclé et porte une moustache imposante. Il vit à Most, une ville de 70 mille habitants en Bohême du nord. Ancien policier, il adore l'aventure, le travail de détective, il aime dévoiler les mystères... Équipé d'un détecteur, il se promène, avec ses amis, à la campagne, sur les champs, dans les forêts et les buissons. Son ami historien lui donne des indices : tel ou tel jour, un avion de tel ou tel type s'est écrasé près de tel ou tel village. Et c'est parti! Mais déterrer un avion n'est pas si simple que ça. Karel Novak explique :« Il faut avoir une permission du propriétaire du terrain, un excavateur, il faut prévenir les compagnies d'électricité et de gaz, appeler les pyrotechniciens, la police et, enfin, les pompes funèbres quand on risque de trouver une dépouille dedans. Après avoir sorti l'avion de la terre, l'endroit doit être mis dans l'état original. C'est un hobby qui nous coûte très cher... »
Dans l'appartement, où il vit avec sa femme et son fils, Karel Novak a aménagé son petit atelier, son minimusée. Des objets trouvés sous la terre sont partout, sur des étagères, accrochés au mur, rangés dans des commodes : des pistolets, des insignes, des uniformes et des documents en lambeaux, des casques, des boussoles, parfois même des portefeuilles, des photos jaunâtres... Mais ce qui est le plus important, c'est un petit bout de tôle ovale : la plaque d'identité du soldat. Sur le sol tchèque, on trouve surtout des plaques des soldats américains, allemands et britanniques, parfois aussi celles des Polonais, des Autrichiens, des Italiens et des Hongrois. Pas de traces des soldats russes, qui, sur l'ordre de Staline, ne pouvaient pas avoir de plaques d'identité... C'est après la Révolution de velours que Karel Novak a commencé à fouiller et à faire des recherches. Depuis, il a identifié 70 soldats américains. Maintenant, il s'intéresse aux Allemands. Certains sont devenus prisonniers de guerre... En Bohême du nord, ils ont été fait prisonniers par les Russes, au sud du pays, par les Américains. Quant aux pilotes, souvent, on ne trouve dans les épaves qu'une partie de leurs dépouilles, le reste étant déjà enterré pendant la guerre. Parfois, les destins des dépouilles sont vraiment spectaculaires... Karel Novak, de nouveau :
"Prenons l'exemple d'un avion américain abattu, dont le pilote a été enterré par les Allemands. Après la guerre, une commission d'exhumation est venue de l'Amérique, elle l'a exhumé et puis enterré de nouveau en Belgique ou en France. Et quand sa famille américaine l'a appris, elle a fait emmener sa dépouille aux Etats-Unis. Après des dizaines d'années, nous trouvons, en Bohême, une partie de son corps oubliée, un doigt par exemple, ou quelques os. Souvent, les Américains n'en veulent pas, car ils ne peuvent tout simplement pas y croire ! Les dépouilles des pilotes américains trouvées, on les a donc fait incinérer. Et on est en train de construire, à Most, un monument commémoratif rappelant leur mort."
Karel Novak est submergé de lettres des gens qui ont perdu quelqu'un dans la guerre, quelqu'un dont le sort est toujours inconnu. Le Tchèque aventurier a ainsi aidé des dizaines de familles, y compris celles qui ont déjà perdu tout espoir. Dans sa chambre, j'ai remarqué la photo d'un jeune homme... Karel Novak m'a raconté son histoire...
"C'était un Américain, tué par des filles allemandes. J'ai fait élever un petit monument à sa mémoire au village, où il a péri. Mes amis aux Etats-Unis ont trouvé sa soeur, qui a aujourd'hui 75 ans. Elle est venue me voir, avec ses deux filles. C'était très touchant..."
Karel Novak a même reçu plusieurs distinctions de la part des autorités américaines. La télévision allemande a tourné un documentaire sur lui et ses activités. Mais il ne cherche pas à devenir célèbre et encore moins à gagner par-là de l'argent. Pour lui, la recherche des vestiges de la guerre est une aventure utile. Un défi. "Quand j'arrive à identifier un mort et à contacter ses proches", dit-il, "quand ils m'écrivent et me remercient, c'est une grande joie, pour moi comme pour eux. Mais, en même temps, c'est assez triste. En faisant ce travail, je me suis rendu compte que mourir 'normalement' est beaucoup mieux que d'être porté disparu. Pour la famille, il n'y a rien de plus cruel que l'incertitude". Karel Novak a un credo : chacun a le droit d'être enterré, d'avoir sa tombe. Un Allemand aussi bien qu'un Américain ou un Russe... "Beaucoup de Tchèques voient en chaque soldat allemand un monstre nazi, mais on sait bien que ce n'était pas tout à fait comme ça", dit cet amateur d'histoire. De quoi est-ce qu'il se plaint encore ? Des trafiquants d'objets de guerre trouvés, qui font des fouilles ne pensant qu'au profit, ravagent le paysage et ne respectent point les morts... D'un manque d'argent, car tout est très cher : la technique, la construction des monuments, l'envoi des lettres à l'étranger... Et alors, Karel Novak continue à chercher les avions abattus seulement dans ses loisirs, en dehors de son travail de technicien en chef au Théâtre de Most.
Vous vous demandez pourquoi on n'a pas parlé des soldats français ? Parce que leurs traces sont, en Bohême du nord, assez rares. Mais quand même... En me montrant sa riche documentation, Karel Novak a trouvé la photo d'un prisonnier de guerre français. A la fin de la guerre, ce jeune homme du nord de la France, Jean Vandekerckhove, l'avait laissée à une Tchèque. Et son adresse aussi : 32 rue d'Alsace, Tourcoing...
"J'aimerais bien savoir ce qu'il est devenu, s'il vit encore", m'a dit Karel Novak. Et moi, aussi curieuse que lui, je me suis dit tout de suite : et si quelqu'un de nos auditeurs le connaissait ?