Victor Hugo et la peine de mort
L'homme que vous venez d'entendre parler de Victor Hugo n'est autre que M. Robert Badinter, ancien ministre de la Justice sous le président Mitterrand et ancien président du Conseil constitutionnel français. Au niveau international, il est, entre autres, l'un des artisans du Tribunal Pénal International. Outre son "hugolaterie", il a de commun avec Victor Hugo d'avoir réussi là où ce dernier a échoué, à savoir l'abolition de la peine de mort en France. C'est dans une salle archi-comble à l'Institut français de Prague que M. Badinter a donné, ce mardi, une conférence sur Victor Hugo et la peine de mort. Omar Mounir était présent.
D'abord une brève impression d'ensemble s'impose. On parle beaucoup de Victor Hugo en cette année anniversaire, mais M. Badinter est venu à Prague avec un discours inédit contenant et contenu. Ainsi, on apprend que le célèbre écrivain a eu pour première publication un récit sur la peine de mort, pratiquement inconnu, et qui s'intitule "Claude Gueux", en l'occurrence un condamné à mort exécuté. Autrement, c'est toute la vie de Victor Hugo qui se révèle au fil d'un exposé magistral. C'est à l'âge de 12 ans, en Espagne, que l'enfant Hugo va découvrir la peine de mort au passage d'un cortège de militaires escortant un individu enchaîné et conduit devant le peloton d'exécution. Il en fut horrifié. Plus tard, il découvrira d'autres exécutions capitales à Paris, place de Grève. Et "l'horrible chose" comme il l'appelait va finir par devenir chez lui une obsession. Il décide donc de la combattre par l'écriture, d'où le premier roman communément connu de Victor Hugo : "Le dernier jour d'un condamné". Publié d'abord sous pseudonyme, tellement il était hasardeux de critiquer la peine de mort. Et c'est à partir de là que le conférencier transporte l'auditoire en plein XIXème siècle. Une ambiance inquisitoire, une justice mortelle et l'exécution capitale omniprésente à Paris, la guillotine en permanence place de Grève, et les tambourins parcourant les rues parisienne toute la matinée pour annoncer l'exécution capitale du jour, à laquelle tout Paris est convié, la publicité de la peine étant une arme préventive, ainsi qu'étaient alors vues les choses. Victor Hugo observe, sidéré par le bourreau qu'il a vu, par une matinée hivernale, mettre en état de couper les têtes sa machine de la mort, avant de s'en aller déjeuner, traversant la place en sifflotant. Cette banalisation de la mort était un pas de plus. Victor Hugo, royaliste sous la restauration, paire de France, républicain depuis le coup d'Etat de 1851, sénateur et écrivain, le plus lu en France, le plus connu en Europe, au sommet de sa gloire, va braver tous les risques, abandonner toutes les occupations, dès qu'il s'agit de sauver un condamné à mort quelque part. A Jersey d'abord, à Guernesey ensuite, puis en Belgique, puis partout en France, il plaidera l'abolition. A ses 80 ans en 1882, il est invité au Sénat dans un protocole sans précédent. On lui fait le cadeau, privilège unique, de baptiser de son nom le boulevard de sa résidence. Sa réponse à ces honneurs, il la griffonna sur un papier au Sénat même : Abolissons la peine de mort, ne serait ce que dans le principe, la loi suivra. Il mourra trois ans après. Une vie de charité humaine vouée à l'assainissement de la loi de l'homme, qui a tué la loi de Dieu, en crucifiant le Christ. L'image est de lui.