Jaroslav Jezek
96 ans se seront écoulés, le 25 septembre, depuis la naissance, en 1906, à Prague, de Jaroslav Jezek, compositeur et pianiste de génie et maître de l'originalité au sens le plus valable du mot. Jaroslav Jezek est de ceux dont la vie n'a pas été longue mais qui nous ont laissé une oeuvre mûre et exceptionnelle, transcendant leur époque.
96 ans se seront écoulés, le 25 septembre, depuis la naissance, en 1906, à Prague, de Jaroslav Jezek, compositeur et pianiste de génie et maître de l'originalité au sens le plus valable du mot. Jaroslav Jezek est de ceux dont la vie n'a pas été longue mais qui nous ont laissé une oeuvre mûre et exceptionnelle, transcendant leur époque. Tout cela en dépit des problèmes graves de santé, dont Jezek souffrait: non seulement il était frappé de cécité mais il souffrait aussi de troubles de l'audition. L'anniversaire de ce compositeur est commémoré par les Tchèques, mais aussi par les compatriotes en Amérique, où Jezek s'est réfugié devant le fascisme en 1938, et où il a épousé une Tchéco-Américaine, Frances, quelques jours seulement avant sa mort, le 1er janvier 1942. Le nom de Jaroslav Jezek est inséparable de l'ère du jazz, et de l'avant-garde théâtrale d'entre les guerres dans notre pays, il est lié aussi aux compositions de musique classique, créés en Amérique. Aujourd'hui, c'est le Conservatoire de Prague qui porte son nom. Au centre ville de Prague, rue Kaprova, on peut visiter aussi son appartement, aménagé en musée. Le meilleur moyen pour rapprocher la personnalité de Jaroslav Jezek, c'est d'écouter un morceau de sa musique. Sa composition la plus connue, "Le monde bleu foncé" /Tmavomodry svet/, saisit ses sentiments les plus intérieurs, sa manière de concevoir, en tant qu'aveugle, le monde.
Lorsque le premier janvier 1942, son monde bleu s'est éteint pour toujours à l'hôpital de l'Université Cornell à New York, Jezek n'avait que 35 ans. On dirait que le sort voulait compenser sa santé fragile et sa cécité par un talent musical exceptionnel. A sa naissance, tout le monde admirait la couleur de ses yeux bleus, avec un petit point noir près de la pupille droite. La vérité a cependant été beaucoup plus prosaïque: il souffrait de leucome. L'opération qui a suivi, est restée sans résultat: pour le reste de sa vie, il percevait le monde comme un immense univers bleu foncé. Cette couleur fatale est devenue la sienne au sens le plus profond du mot: il écrivait sur des papiers bleus, il utilisait des enveloppes bleues, il portait des costumes bleus, sans que ce soit de sa part une façon de s'exhiber. La tristesse et la nostalgie de ses compositions a été une tristesse de la vie, pas une amertume. L'ignorance absolue de l'idée de la mort n'a pas été une résignation. L'élégie de ses blues ne portait pas en soit une goutte de désespérance.
En 1921, Jezek a été admis au Conservatoire de Prague, où il a surpris la commission par le choix des compositions de Maurice Ravel et Paul Hindemith. Durant ses études, il a de plus en plus penché vers le jazz et la musique de danse. Ainsi, Duke Ellington, Louis Armstrong et George Gershwin sont devenus ses auteurs préférés, Gershwin un peu plus encore grâce à sa Rapsodie en bleu, couleur de Jezek... Bientôt, il a choqué les professeurs par ses propres morceaux, unifiant la musique classique aux éléments du jazz. Tel est le cas de son Concerto pour piano et orchestre, la composition de fin des études, dans lequel Jezek a utilisé les formes de fox-trot, de tango et de charleston, interprétées avec des instruments de jazz, y compris la batterie des tambours. Dans les années suivantes, il a composé une série d'oeuvres classiques, inspirées souvent par la création des poètes tchèques Jaroslav Seifert et Konstantin Biebel qu'il recevait d'ailleurs souvent chez lui, dans son appartement pragois, rue Kaprova, aujourd'hui transformé en musée Jaroslav Jezek. Ces oeuvres sont cependant restées limitées à un cercle restreint d'auditeurs. Seule sa musique composée pour le Théâtre d'avant-garde "Osvobozené divadlo" - théâtre libéré - de Voskovec et Werich lui a valu une popularité générale auprès de toutes les couches de la population. Après avoir fait un stage d'un an à Paris, Jezek a accepté, en 1929, l'offre du légendaire duo artistique Voskovec et Werich de créer pour leurs pièces d'avant-garde la musique scénique et des chansons qui sont restées populaires jusqu'à aujourd'hui: La vie n'est qu'un hasard, La chanson de Golem, les marches Le ciel sur la terre, Je chante l'Espagne, L'Europe appelle, etc.
Les chansons d'abord apolitiques commençaient de plus en plus à réagir à la menace venant du Reich allemand. Rien d'étonnant que le 10 novembre 1938, deux mois à peine après Munich, le théâtre ait été interdit. Face au danger mortel que représentait la Gestapo, Voskovec, Werich et Jezek ont opté pour le salut de l'émigration. Pour Jezek, l'exil a été d'autant plus difficile à cause de sa cécité. Au fond, il nourrissait l'espoir de revenir un jour à Prague... La réalité a été cependant autre. Jezek a passé les trois dernières années de sa vie aux Etats-Unis. L'accueil que lui ont réservé les compatriotes, ainsi que les premiers mois se sont passés dans une ambiance agréable. Comme il s'est cependant avéré, continuer la carrière musicale a été bien difficile. L'organisation réunissant les compositeurs américains empêchait, pour des raisons de concurrence, des étrangers à se faire valoir. En dépit de cela, Jezek continuait à composer, en gagnant sa vie avec des leçons de chants données aux enfants des compatriotes. Son état de santé commençait vite à se détériorer, d'autant plus qu'il se rendait compte qu'il ne reverrait plus sa mère et sa soeur, ni Prague. Ses dernières paroles confiées à son ami Rudolf Firkusny à l'hôpital de New York: "Je voudrais seulement voir Prague" sont restées inaccomplies. Jaroslav Jezek est mort le 1er janvier 1942. Il avait 35 ans, comme Mozart.