Des attentes et des peurs à la veille de l'élargissement européen

Source: Commission européenne

C'est dans un mois que les Tchèques auront le privilège de se rendre aux urnes pour dire « oui » ou pour dire « non » à l'adhésion de leur pays à l'Union européenne.

Source: Commission européenne
En attendant, force est de constater que les médias tchèques nourrissent, dans un certain sens, les émotions. Si les grands quotidiens tchèques présentent des informations et mènent des discussions assez objectives, satisfaisant donc, surtout, les esprits « proeuropéens », ils n'omettent pas pour autant d'inquiéter, de temps à autre, leurs lecteurs par des articles et des nouvelles sonnant l'alarme, dont je ne citerai qu'un exemple, un gros titre paru récemment à la une du quotidien Lidove noviny qui disait : « Le cabinet a passé sous silence 36 milliards que nous coûtera l'adhésion du pays à l'Union européenne »... Une place d'honneur dans la campagne européenne revient à la Télévision tchèque, télévision publique. Celle-ci diffuse, depuis plusieurs semaines, des spots et des débats sérieux fournissant d'amples informations sur des aspects positifs et négatifs de l'appartenance à l'Union européenne. En plus de cela, des figures populaires, de la vie culturelle le plus souvent, sont invitées régulièrement à se prononcer sur le prochain référendum qui aura lieu, rappelons-le, les 13 et 14 juin... Le média tchèque qui diffuse probablement le plus de mythes et d'informations malicieuses sur la « méchante » Union européenne, c'est la télévision privée Nova avec une audience la plus élevée dans le pays. La campagne que la Nova ouvre pour sa part, dès maintenant, se veut d'être « neutre ». En dépit de ce « massage » que subit une grande partie de la population, les sondages donnent nettement plus de chances aux sympathisants de l'Union qu'au camp opposé.

Logo d'Europe unifiée - héritages nationaux
La perte de l'identité nationale et de la spécificité culturelle, voire de celle de la souveraineté nationale, se présentent comme les principales craintes de ceux parmi les Tchèques qui déclarent leur scepticisme face à l'Union européenne : un point d'ailleurs qu'ils ont en commun avec leurs confrères dans les autres pays candidats.

Les propos du commissaire européen, M. Michel Barnier, sont une réponse à ces doutes. Je les ai retenus lors d'une conférence qui s'est déroulée pendant le week-end écoulé à Varsovie, sous le titre « Europe unifiée - héritages nationaux ».

« Certains pensent que l'Europe serait un rouleau compresseur qui effacerait les identités et les différences, avec un super-Etat Bruxelles, voulant tout diriger. Le général de Gaulle qui beaucoup comptait pour moi dans mon engagement politique, mettait en garde devant une Europe qui broyrait les nations comme dans une purée de marrons... Un autre danger, ce sont les nationalismes qui ont provoqué des conflits et des guerres. On ne saurait pourtant simplifier et dire que la nation c'est la guerre et que l'Europe serait la paix... Il faut chercher à travers le débat politique à construire dans des institutions démocratiques cette démocratie européenne. Nous n'aurons résolu cette question que lorsque nous aurons trouvé une réponse à la question de l'identité européenne. Il n'existe pas d'identité européenne autonome, à côté des identités nationales. En tout cas, pas encore. »

L'idée de l'identité européenne a été développée à la même occasion, aussi, par Pierre Rosanvallon, historien et professeur au Collège de France.

« Ce qui doit nous conduire aujourd'hui est essentiel. C'est l'identité européenne. Auparavant, elle a été fondée sur l'évidence de l'histoire, de l'ennemi. C'était une identité qui n'avait pas besoin d'être réfléchie, d'une certaine façon. C'était une identité évidente, qui allait de soi. A travers les événements de cette année, nous nous rendons compte d'une chose absolument essentielle ; ce n'est pas seulement le but de la prospérité qui doit nous conduire. N'oublions pas qu'il y a seulement une dizaine d'années que la notion de la Communauté européenne a été abandonnée pour celle de l'Union européenne. Maintenant, nous sommes obligés de constater que l'Europe est d'abord une construction d'ordre politique et moral. L'histoire et l'avenir de l'Europe sont liés de façon évidente à la question de l'universalité. Aujourd'hui, notre question fondamentale est la suivante : nous ne pouvons pas penser la construction européenne indépendamment de la reconstruction du monde entier. »