Les grands illustrateurs tchèques en France
Le livre n'est pas seulement un texte, c'est aussi une oeuvre d'art. Le livre tchèque jouit, en général, d'une bonne réputation et les meilleurs dessinateurs et graveurs tchèques ont déployé tout leur art pour rehausser des textes littéraires par des illustrations de qualité. Le niveau des illustrations de livres en Bohême et en Moravie était si élevé qu'on l'a remarqué aussi en France. Quelques uns de nos meilleurs artistes se sont fait connaître en France grâce à leurs illustrations. C'est donc cette contribution des artistes tchèques à la beauté du livre français qui sera le thème de ce programme.
Pendant longtemps, la France était la source d'inspiration pour les artistes tchèques, mais semblait ne recevoir rien en récompense. Si l'on cherche patiemment on trouve, cependant, que cette influence n'était pas qu'unilatérale. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les peintres tchèques Jaroslav Cermak, Vaclav Brozik et Vojtech Hynais s'imposent en France, suivis de trois autres artistes qui doivent parvenir à la notoriété grâce aux illustrations de livres. C'est vers 1880, que s'installe à Paris le jeune dessinateur et aquarelliste virtuose Ludek Marold. "La vie de la rue parisienne et la vie des salons ont rarement trouvé un dessinateur plus original et plus élégant que Ludek Marold, écrira de lui le poète Hanus Jelinek. Les maisons d'éditions s'arrachait le brillant artiste, et les collections de romans de l'époque, Lotus Bleu, Iris, illustré par Marold, faisaient fureur et furent imitées dans tous les pays. Ainsi, Marold illustra les romans de Paul Bourget, d'Alphonse Daudet, d'André Theuriet, des frères Margueritte, des frères Rosny, de Pierre Louys, et il était un des illustrateurs attitrés de l'Illustration et du Monde Illustré." On peut dire, sans exagérer, que ce peintre tchèque a du flaire pour les goûts de l'époque, qu'il est un des créateurs du phénomène impalpable et indéfinissable qu'on appelle le chic parisien. Hélas, sa carrière prometteuse est brutalement interrompue par la mort qui le surprend à l'âge de 33 ans.
En ce moment - là cependant Paris a déjà, depuis quelques années, un nouveau chouchou tchèque qui, lui aussi, s'adonne à l'illustration. Alfons Mucha se fait connaître d'un jour à l'autre par son affiche pour Gismonda, pièce présentée par le Théâtre Sarah- Bernhardt. Par ces silhouettes de femmes élancées et gracieuses, par ces motifs floraux et végétaux aux formes sinueuses et élégantes, Alfons Mucha ne lance pas seulement une nouvelle mode, mais un nouveau style. Il devient l'artisan de l'Art nouveau qui sera considéré par certains historiens d'art comme le seul style original ayant vu le jour au XIXème siècle, style qui a ouvert les arts et l'architecture à la modernité. Dans ses innombrables illustrations dont celles de "Clio" d'Anatole France, dans sa version illustrée de la prière chrétienne "Patenôtre", dans les dessins splendides qu'il fait pour le livre de Robert de Flers "Ilsée, princesse de Tripoli" Mucha déploie une richesse de formes et une élégance rarement atteinte par les illustrateurs. Ces dessins apparaissent dans de nombreux magazines et revues à la mode, dont Illustration, Le Figaro Illustré, La Vie Parisienne, Noël illustré, Le Monde illustré etc.
A la fin du XIXème siècle, il est un des artistes parisiens les plus célèbres, mais avec le temps, l'Art Nouveau doit céder la place à d'autres styles et d'autres artistes. Citons encore Hanus Jelinek: "Après la mort prématurée de Marold, après le départ de Mucha qui a passé par l'Amérique avant de rentrer dans son pays, après le départ de Jean Dedina, qui lui, aussi, était un dessinateur estimé, la tâche de représenter à Paris les dessinateurs tchèques incomba à François (Frantisek) Kupka. Tous les connaisseurs en matière de dessin seront de mon avis si je dis qu'il les a brillamment représentés. Les mordants pamphlets sur l'Argent, la Paix, les Religions qu'il a dessinés pour l'Assiette au Beurre ainsi que ses dessins et lithographies pour Cocorico, le Canard et les Temps nouveaux, sont encore présents à tous les esprits. Il s'est tourné ensuite vers l'illustration, l'eau-forte et la gravure en couleur. Les illustrations pour l'Homme et la Terre d'Ellisée Reclus, ses eaux-fortes pour les Erinnyes de Leconte de L'Isle (chez Romagnol) et ses gravures pour Lysistrata d'Aristophane (chez Blaisot) sont, à juste titre, célèbres."
Pendant longtemps ce trios d'illustrateurs brillants restera inégalé. Après la Première Guerre mondiale, Kupka se retire à Puteaux, abandonne le dessin et la gravure et se consacre à des recherches picturales qui l'amèneront à l'art abstrait et à la gloire mondiale.
Malgré les relations culturelles intenses entre la France et la Tchécoslovaquie, dans la première moitié du XXème siècle, les illustrations tchèques dans les livres parus en France se font plutôt rares. Le nouvel essor de ce genre d'échanges n'arrive que dans la seconde moitié du siècle, lorsque la maison d'éditions française Gründ entre en collaboration avec les éditeurs tchèques et notamment avec la maison Dilia. Les livres ornés de belles images d'illustrateurs tchèques apparaissent de nouveaux dans les librairies françaises. Evidemment, il ne s'agit pas de satires politiques, comme au temps de Kupka, car la censure communiste veille, mais cette nouvelle vague des illustrations tchèques fait surtout la joie des enfants. C'est la période où le livre d'enfant tchèque s'impose sur le plan international. Les Français qui aiment Jiri Trnka, auteur de film de marionnettes, découvrent aussi Trnka, illustrateur, dont les dessins d'un style très personnel rehaussent encore le charme des contes de Hans Christian Andersen et des frères Grimm ou des Légendes de l'ancienne Bohême.
Toute une pléiade de dessinateurs tchèques moins connus suit cet exemple et cette collaboration continuera, après avoir surmonté quelques périodes un peu difficiles, jusqu'au début du troisième millénaire. Ce sont Adolf Born et Martina Skala qui sont aujourd'hui probablement les illustrateurs tchèques les plus connus en France. Martina Skala, illustratrice et décoratrice de cinéma, obtient un joli succès en France avec deux livres: "Strado et Varius", qui fait découvrir Paris aux enfants avec deux personnages pittoresques, un musicien et un violon dessiné comme un petit humanoïde, et "Strado et Varius sur les pas de Mozart" qui amène les petits lecteurs dans la Prague du temps de Mozart. "Il faut voir avec quel talent Martina Skala illustre son histoire d'amitié, a écrit le Nouvel Observateur, et le soin minutieux qu'elle met à transformer en personnages notes de musique, flûtes, clarinettes, saxo... Une merveille et on pèse ses mots."
Adolf Born est un peintre très connu et populaire en Tchéquie. Il a illustré d'abord Anatole France, et il a récidivé d'une façon magistrale avec les Fables de la Fontaine et Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Quel a été l'accueil que la France a réservé à ses illustrations pour Les Trois Mousquetaires? "Je ne peux pas me plaindre, dit il. Les gens de ma maison d'édition française m'ont dit que Les Trois mousquetaires ont été accueillis parfaitement. Les originaux de mes illustrations ainsi que le livre ont été exposés dans les locaux où avait séjourné, jadis, Alexandre Dumas, dans un musée que je n'ai pas vu. Donc, on peut le considérer comme le dernier geste amical adressé au grand romancier." En décembre 2003, la France rend hommage à Adolf Born en lui attribuant la distinction honorifique "Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres".