A Paris, une grande exposition rappelle la présence des artistes tchèques en France
Le 16 juin prochain ouvre au Centre tchèque de Paris une exposition intitulée : « Les artistes tchèques pour la Tchécoslovaquie. Hommage à un pays inexistant ». Organisée à l’occasion du centenaire de la création du Conseil national tchécoslovaque, qui sera à l’origine de la naissance de la Tchécoslovaquie indépendante, l’exposition rassemble les œuvres d’artistes tchèques ayant vécu en France pendant la durée de l’existence de cet Etat. Certains de ces artistes ont d’ailleurs participé de près à sa création. Pour évoquer ce rendez-vous culturel majeur, annonciateur d’autres rendez-vous à l’occasion des 100 ans de la naissance de la Tchécoslovaquie, Radio Prague s’est entretenu avec Jean-Gaspard Páleníček, directeur adjoint du Centre tchèque de Paris, qui a rappelé la genèse de cette exposition qui s’achèvera le 30 septembre prochain.
Il fallait marquer le coup…
« Et en tant que centre culturel, nous ne voulions pas faire uniquement un projet documentaire et historique, mais un vrai projet artistique. Nos discussions avec Antoine Marès et Pavel Chalupa ont finalement abouti à ce projet. L’idée étant à la fois de rappeler la création de la Tchécoslovaquie, mais par le biais des différents artistes qui ont séjourné de façon prolongée en France. Il s’agissait de montrer ceux qui ont soit pris part à la création de cet Etat, soit ont participé à la résistance pendant la Seconde guerre mondiale… Nous voulions rappeler, de façon plus large, le contexte de ce pays qui n’existe plus. Cette exposition est l’occasion de toucher à de nombreux thèmes qui touchent à l’identité, à l’Etat, au patriotisme au sens noble du terme. C’est d’ailleurs une des questions que soulève cette exposition par rapport à l’actualité. Même pour des artistes anarchistes comme Kupka, ces artistes étaient prêts à s’engager l’arme à la main pour beaucoup. C’était des valeurs qui étaient évidentes pour eux. Je crois que ce qui ressort aussi, au-delà de la dimension étatique, c’est le sujet identitaire. Et, c’est peut-être une note politique, mais avec cette exposition, je crois qu’on s’inscrit pleinement dans une politique européenne des régions. Ce qui est fascinant avec cette communauté de Tchèques vivant en France, et souvent autres étrangers et artistes français, c’est qu’il s’agit d’une unité dans la diversité. L’autre point important, c’est l’adresse même du Centre tchèque, puisque c’est là-bas que tout s’est passé… »J’allais vous en parler : le 18 rue Bonaparte à Paris, c’est tout un symbole. C’est évidemment aujourd’hui l’adresse du Centre tchèque aujourd’hui, mais c’est là qu’a été créé en 1916 le Conseil national tchécoslovaque, c’est d’ailleurs ce centenaire-là que vous fêtez avec cette exposition. Le centenaire de la création de la Tchécoslovaquie a proprement dit, ce sera en 2018.« Antoine Marès s’est amusé à repérer dans les archives toute la progression de l’occupation progressive de ces deux bâtiments du 18 rue Bonaparte. Il est assez amusant de voir comment ça s’est fait. Mais ce qui est intéressant aussi, c’est de voir qui et quand y a séjourné. Au-delà de ce moment-clé, la création du Conseil national tchèque puis tchécoslovaque, il est un intéressant de voir que Kupka y a siégé. Il y avait un bureau dans le cadre de ses activités de président de la Colonie tchèque où il recrutait des Tchèques et de Slovaques pour la Légion étrangère, puis les Légions tchécoslovaques.
Sima y a siégé brièvement après la Seconde guerre mondiale dans ses fonctions, d’abord officieuses, puis officielles, de conseiller culturel. Le peintre Matoušek y a tenu une école artistique… On a essayé de faire ressortir tout cela. Et puis, il y a des choses plus anecdotiques, comme le fait que ce bâtiment a longtemps été orné du lion tchécoslovaque, des armoiries du pays. Ce lion avait été créé par le sculpteur Jan Vlach, actif dans la Résistance en France. Et ce lion tchécoslovaque, de la Première république, a été sur la façade pendant toute la période communiste ! C’est un sacré paradoxe… Il a été enlevé en 1997 lorsque la partie avant du bâtiment a été rénovée pour accueillir le Centre tchèque, et il a été détruit, par manque d’attention et par bêtise… »Ce que les communistes n’avaient pas enlevé, ce sont des ouvriers qui l’ont fait disparaître ?
« Exactement, c’est la République tchèque démocratique qui l’a enlevé. Nous en avons fait faire un moulage qui figure sur le Centre tchèque au moins… Ce qu’il y a de plus précieux dans cet héritage, c’est justement l’héritage culturel. En ce sens, il y a une unité rare entre l’acte politique, l’engagement patriotique, les questions identitaires et la création artistique. »
C’est intéressant ce lien entre la création artistique et celle d’un Etat, le politique finalement. On a l’impression que c’est quelque chose qui traverse l’histoire tchèque. Peut-être pourrait-on revenir plus loin dans l’histoire tchèque, on va quand même partir de cette époque-là, avec František Kupka qui participe à la création de l’Etat tchécoslovaque, pour aller jusqu’à Václav Havel qui était dramaturge mais aussi premier président de la Tchécoslovaquie, puis République tchèque post-communiste…« Oui, et le premier président tchécoslovaque, Tomas G. Masaryk, était philosophe et non pas politicien. Est-ce bien ou pas, c’est une autre question, mais c’est vrai que c’est une sorte de fil rouge dans l’histoire tchèque. Il y a un autre aspect intéressant qu’on aborde ici, c’est le rapport des Tchèques vis-à-vis de la France. Ce qui en ressort, c’est – et ça reste d’actualité aujourd’hui avec les jeunes artistes tchèques qui viennent en France – une forte idéalisation de la France de la part des Tchèques qui, selon les différentes périodes que l’on aborde ici, se justifie pleinement, et qui à d’autres moments, est limitée par sa propre naïveté. »
On est toujours déçu à un moment donné…
« Oui, mais je crois que les moments de déception sont aussi intéressants que les moments de ferveur et de passion. Nous allons avoir un tableau peu connu, mais qui est un des chefs d’œuvre de Jan Zrzavý. C’est sa réaction à Munich. Il a été profondément blessé par les Accords de Munich, vendu sa maison et fait vœu de ne plus jamais revenir en France. Un des premiers tableaux qu’il a créés sous le choc, c’est un tableau qui représente le Christ les bras entrouverts, une espèce d’étreinte accueillante, consolatrice. Parmi les œuvres de Zrzavý, celle-ci est particulièrement importante dans l’exposition. Puisque je mentionne des œuvres concrètes, il faut que j’évoque une œuvre d’Alfons Mucha, Le baiser de la France à la Bohême. C’est un tableau très particulier, qu’on a eu du mal à avoir et qu’on aura finalement pour la fin de l’exposition, en septembre. Il représente, c’est assez surprenant, la Bohême sous forme de femme crucifiée, et la France sous forme d’homme avec un bonnet phrygien. C’est la France révolutionnaire, celle des francs-maçons, qui délie la Bohême de sa croix. »Combien d’œuvres et combien d’artistes exposez-vous ?
« Nous exposons une trentaine d’artistes. Il a fallu faire des choix bien sûr. On aurait pu inclure des artistes que nous n’avons pas mis, mais qui sont dans le catalogue. Et puis il y aura environ une cinquantaine d’œuvres d’art, de peintures à l’huile, de dessins, de gravures. Ce choix-là sera complété par une cinquantaine de documents, avec par exemple, des pamphlets, des tracs de propagande publiés pour soutenir la création de la Tchécoslovaquie. Il y a aussi des publications faites pendant la Seconde guerre mondiale pour la défense de la Tchécoslovaquie divisée. »
Vous évoquiez hors micro une géographie intéressante des artistes tchèques à Paris, rappelez-nous laquelle. Tout à l’air de converger autour du 18 rue Bonaparte…
« On a essayé de façon très minutieuse de relever, pour la catalogue, toutes les adresses des domiciles des artistes tchèques en France et celles des galeries où ils ont exposé. Nous nous sommes rendu compte que la première exposition d’Alfons Mucha a eu lieu au 31 rue Bonaparte. Celles de Sima et Kupka au 13 rue Bonaparte, juste en face du Centre tchèque. Quelques peintres se trouvaient certes à Montmartre, mais pour beaucoup, ils se concentrent entre Montparnasse et la Seine. »Vous disiez également que les galeries où ils ont exposé à l’époque sont encore en activité, pour certaines…
« Oui, elles n’ont pas forcément le même nom puisqu’il y a eu des reprises, mais ont souvent les mêmes fonds, ou en partie. Dans la galerie du 13 rue Bonaparte, le galeriste qui continue les activités de celle d’antan est en train de rouvrir avec les mêmes fonds. Il nous a déjà approchés pour parler de son fonds Kupka. »
Prévoyez-vous des événements pour le centenaire de la création de la Tchécoslovaquie, qui se déroulera en 2018 ?
« Je vais vous décevoir : nous avons bien sûr des choses en chantier, mais comme il y a des changements de direction à l’heure actuelle, ce sont des choses qui se préciseront dans quelques mois. Une chose peut-être : lors de nos recherches d’œuvres pour cette exposition, s’est produit une heureuse coïncidence. Nous avons un ami pianiste français, qui a une passion pour la musique tchèque, Jean-François Ballèvre, qui a déménagé de Paris à Beaugency. Il se trouve que l’épouse de Kupka venait de cette ville et que c’est à Beaugency que Kupka s’est caché pendant la Seconde guerre mondiale. Curieux de tout, notre ami a commencé à creuser un peu pour voir s’il n’y aurait pas quelqu’un qui se souviendrait de la présence de Kupka là-bas. Il a déniché un certain nombre de tableaux. Nous n’avons pas eu la possibilité de les emprunter pour notre exposition présente, mais parallèlement, à partir de la mi-septembre, nous co-organisons avec la ville de Beaugency une exposition consacrée à Kupka où ces tableaux seront exposés, en compagnie d’un peintre tchèque résidant en France aujourd’hui, Miloš Sýkora. »