75 ans de Milan Kundera

Milan Kundera

Les 75 ans de Milan Kundera, écrivain fixé depuis 1975 en France, originaire de Brno, chef-lieu de la Moravie du sud, ne sont pas passés inaperçus, dans son pays d'origine. La presse tchèque de ce jeudi brosse des portraits de l'auteur dont les oeuvres, assez paradoxalement, ne sont pas très connues des lecteurs tchèques. En revanche, pas de mention de l'anniversaire, par exemple, dans l'édition de cette semaine de l'hebdomadaire Literarni noviny, principal magazine littéraire dans le pays...

« La nation a pris l'habitude de prendre Milan Kundera comme un être presque mythique, dont il a du mal à accepter la réelle existence ». Viktor Slajchtr dans l'hebdomadaire Respekt reflète ainsi la double absence de Milan Kundera dans le pays où il est né et où il a passé une grande partie de sa vie. Celui qui est l'écrivain tchèque ou, si vous voulez, l'écrivain français d'origine tchèque, le plus lu dans le monde.

L'absence de Milan Kundera en République tchèque est tant physique que littéraire. L'écrivain ne s'y rend que rarement, on le sait bien, et seuls ses amis intimes sont au courant de ses visites sporadiques dans le pays. On rappellera que, lorsque Milan Kundera s'était vu attribuer une haute distinction d'Etat, c'est sa femme Vera qui la recevait au Château de Prague des mains du Président d'alors, Vaclav Havel. Ceci dit, aujourd'hui, comme l'écrit le journal Respekt, « sa réserve n'est plus source de spéculations très diverses, comme c'était le cas au début des années quatre-vingt-dix ».

En ce qui concerne la création littéraire de Kundera, les lecteurs tchèques qui ne sont pas dotés de connaissances de langues étrangères restent sur leur faim. Ils n'ont toujours pas pu savourer la finesse ni le raffinement de ses romans « La vie est ailleurs », le « Livre du rire et de l'oubli », ou « L'insoutenable légèreté de l'être », dont l'auteur n'a pas autorisé la publication en Tchéquie, sans parler de ses récents ouvrages écrits en français « La lenteur », « L'identité » ou « L'ignorance » qui n'existent pas en version tchèque. Impossible bien sûr qu'ils soient traduits par quelqu'un d'autre que par leur auteur lui-même. Le problème c'est qu'il ne semble pas prêt à se consacrer, dans un proche avenir, à des activités de traducteur.

Monika Zgustova, traductrice de certains romans de Kundera en espagnol, donne son explication :

Vaclav Neckar et Monika Zgustova,  photo: CTK
« Milan Kundera est déçu par la réception de certaines de ses oeuvres en République tchèque. Pendant les premières années de la démocratie, il n'y avait pas une très bonne réception, il y avait un peu ce qui s'était passé avec Bohumil Hrabal. Il y avait une mode de dire que ses romans ce n'est pas la meilleure chose du monde. Même les bons critiques ont écrit des essais où les romans de Kundera ont été durement critiqués. Je pense que Milan Kundera n'a pas mérité ça. Premièrement, c'est un très bon auteur, on dirait même un génie, et puis il est très très populaire à l'étranger. Je pense qu'une petite nation comme la Tchéquie doit considérer vraiment bien ses auteurs. On n'en a pas tellement. Elle ne peut pas se permettre le luxe d'en parler mal ».

Dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, Vaclav Klaus, alors Premier ministre, a eu le privilège de rencontrer Milan Kundera à Paris. Une occasion plutôt rare, pour un politicien tchèque... Dans une lettre envoyée par Vaclav Klaus, aujourd'hui Président de la république, à Milan Kundera, à l'occasion de son anniversaire, nous pouvons lire :

« C'est grâce à vous et à votre oeuvre que notre pays est plus connu et plus proche de l'opinion mondiale. Je tiens à vous assurer que, en dépit de votre long séjour à l'étranger, les habitants de notre pays vous prennent pour un écrivain qui est le leur ».

Le quotidien Lidove noviny rappelle que Milan Kundera avait influencé toute une génération de cinéastes tchécoslovaques. Depuis le début des années cinquante jusqu'en 1970, il enseignait la littérature mondiale à la FAMU, Ecole de cinéma de Prague qui, dans ces années-là, pouvait se targuer d'un grand prestige. Selon le critique Jan Lukes, les cinéastes liés aux années soixante ont pour Kundera un immense respect. « Les cours de littérature mondiale leur ouvraient de larges horizons, son esprit, sa culture et sa liberté de pensée avaient un grand attrait pour eux »,écrit-il.

Hynek Bocan, l'un des disciples de Kundera, est le premier à avoir réalisé un film inspiré par l'oeuvre de l'écrivain. Il s'agissait d'un conte tiré de ses « Amours risibles ». Le film tourné d'après Kundera certainement le plus réussi est la « Plaisanterie ». Jaromil Jires l'a réalisé en 1968. L'adaptation du roman, qui fut d'ailleurs une première hirondelle de la notoriété de Kundera dans le monde, a été très apprécié par l'auteur lui-même. La filmographie « kunderienne » compte encore deux films : une autre adaptation d'un conte des « Amours risibles » et « l'Insoutenable légéreté de l'être », ce dernier film étant une réalisation de l'Américain Philip Kaufman.

« Le résultat n'a pas satisfait Kundera », peut-on lire dans les pages de Lidove noviny. Et l'auteur de l'article d'y ajouter son témoignage personnel : « Tous ceux qui ont pourtant pu voir le film avant la chute du communisme en novembre 1989, dans l'ère du « président de l'oubli » Gustav Husak, en ont été profondément bouleversé »...