Stan Neumann, un Français de Zizkov, un conteur passionné...
"Je suis vraiment Européen : heureux en France et, en même temps, attaché à quelque chose d'ici, à quelque chose d'irremplaçable", dit l'invité de cette émission, le cinéaste franco-tchèque, Stan Neumann. Le 15 novembre prochain sera diffusé sur ARTE son documentaire La langue ne ment pas, tiré des journaux que le professeur universitaire juif Victor Klemperer a tenus pendant la Deuxième Guerre mondiale. Une des avant-premières du film a eu lieu en septembre dernier à Prague, dans le cadre de la Rencontre des documentaristes européens. En marge de cet événement, Stan Neumann m'a parlé de ses racines tchèques, de la situation du documentaire en Europe, mais surtout de La langue de ment pas...
"Victor Klemperer était un Juif allemand qui, entre 1933 et 1945, a réussi à survivre à Dresde, protégé, un peu, par le fait qu'il était marié avec une Aryenne. Avec un courage absolument remarquable, elle a refusé de divorcer. Dans ses journaux, Klemperer raconte ce qu'on oublie toujours, c'est-à-dire qu'est ce que c'est la vie quotidienne de quelqu'un sous la tyrannie nazie. On y trouve toutes les interdictions dictées par les nazis, qui nous semblent complètement absurdes aujourd'hui, p. ex. l'interdiction de manger des crèmes glacées, de posséder des animaux domestiques, de lire des ouvrages nazis... Il raconte ça de façon extrêmement précise et montre comment toutes ces petites décisions de la vie quotidienne préparent au processus d'extermination. Comme Klemperer n'accepte pas son statut de victime, il décide de se battre contre les nazis sur le terrain qui est le sien : c'est un professeur de linguistique, donc il analyse, dans son journal, la langue nazie et se demande comment une langue totalitaire abîme la langue normale. Son analyse est, sans doute, valable pour toutes les langues totalitaires : pour la langue socialisto-bolchevique aussi bien que pour la langage de la publicité d'aujourd'hui. D'ailleurs, Klemperer lui-même pointait du doigt la publicité, en disant qu'une des ça en sources du langage nazi était le langage de la publicité américaine. Ecrire ça en 1942, alors qu'on est menacé en permanence d'extermination, c'est quand même très fort."
"Je suis officiellement Français, depuis les années 1970, mais je suis né ici, j'ai une part de moi qui reste attaché à Prague, à Zizkov qui est mon quartier natal... "
Vous êtes aussi attaché à la Radio tchèque, n'est-ce pas ?
"Oui, ma mère travaillait, dans les années 50, dans la section internationale, elle faisait, à l'époque, des émissions de propagande à la direction des Etats-Unis qui étaient écoutées par quelques ouvriers à minuit, au fin fond de l'Amérique... Pour moi, la Radio était un endroit où j'allais retrouver ma mère, manger, de temps en temps, je faisais le pionnier modèle ce que je n'étais pas du tout. J'ai fait un film sur ça, Une maison à Prague, qui a été co-produit par la Télévision tchèque et ARTE. J'y raconte l'histoire de ma famille : je suis l'arrière petit-fils du poète Stanislav Kostka Neumann et le petit-fils de l'acteur..."
Depuis quand tournez-vous des films ?
"Je travaille comme réalisateur depuis 1985 à peu près. Avant, j'étais monteur de films. Je dois avoir fait une trentaine de films ce qui n'est pas énorme. Je suis lent, très très lent... Je fais des documentaires, mais à ma façon."
C'est-à-dire ?
"J'essaye de raconter des histoires qui sont importantes pour moi, en utilisant du matériau qui peut être du monde réel ou que je fabrique, mais en le filmant toujours comme un objet réel. Par exemple dans ce film-là, tout ce qui est affiche allemande ou journaux de Klemperer, je l'ai refabriqué. Mais au moment où je les mets devant ma caméra je les regarde comme de vrais objets."
La Rencontre des documentaristes a réuni, à Prague, des cinéastes, producteurs, distributeurs et journalistes de tous les coins de l'Europe. Une occasion, évidemment, de faire le point sur la situation du documentaire sur le Vieux continent, notamment dans les pays ex-communistes... Stan Neumann.
"J'ai trouvé que les documentaristes tchèques étaient tous dans des conditions difficiles, mais qu'ils étaient bien, combatifs, qu'ils avaient le désir d'être eux-mêmes et de résister à cette espèce d'américanisation qui est une catastrophe pour nous. Chaque fois que je vois ça ici, je suis très content... Mais il est vrai qu'en République tchèque, la situation est critique : il y a peu d'espace pour les documentaires et peu de production documentaire. En Pologne, ça va un peu mieux, et France et en Allemagne, c'est carrément une situation de luxe... Presque la moitié des réalisateurs qui forment ce qu'on appelle l'école documentaire française sont des étrangers : des Roumains, des Italiens, des Brésiliens, des Américains... Donc la France est bien pour cela. Sinon, on se bat avec les mêmes problèmes. Par exemple, un des films que j'ai beaucoup aimé ici, c'est le film slovaque '66 saisons'. Ça donne envie qu'on continue à se bagarrer."
Quelles sont les nouvelles tendances dans le documentaire contemporain ?
"Je suis assez négatif sur ça, parce que je trouve que la tendance qui a pris le dessus depuis quelques années, c'est-à-dire la tendance socio-psychologisante, où l'on filme la personne en gros plan dans le malheur et où il ne se passe plus rien de filmique, juste la confession, est un peu désastreuse. Je suis contre ce 'nouveau naturalisme', je considère qu'il faut donner plus de place à l'imaginaire, au travail visuel... Malheureusement, avec l'apparition des petites caméras, le documentaire prend de plus en plus souvent cette tendance confessionnelle. Moi, je dis qu'il faut travailler avec les yeux, on est des peintres d'une certaine manière. Il faut toujours se rappeler qu'on a ce devoir formel."