Révolution de Velours Spécial
15 ans déjà... La léthargie et l'inertie dans laquelle la société tchécoslovaque semblait avoir plongé, pendant la vingtaine d'années de « normalisation » communiste, ont pris fin le 17 novembre 1989. Les Tchèques et les Slovaques ont tourné la page de leur histoire communiste de plus de quarante ans, pour écrire un nouveau chapitre.
Petr Placak, écrivain et journaliste, l'un des milliers de jeunes manifestants qui se sont réunis le 17 novembre 1989 au centre de Prague, à l'occasion de la Journée des étudiants, exprime l'avis qui était généralement partagé, dans le pays, jusqu'à la fin des années 80. Une première impulsion aux événements, connus en tant que Révolution de Velours, a justement été donnée par cette manifestation et sa répression brutale par la police.
En novembre 1989, Monika Pajerova, aujourd'hui politicienne et professeur d'université, était à la tête du mouvement estudiantin. Quel souvenir en garde-t-elle ?« Mes souvenirs sont ceux d'une atmosphère et d'une communauté vraie de gens qui se sont battus ensemble contre le régime communiste. Ce qui me plaisait particulièrement, c'était cet esprit de solidarité, de volonté de faire des choses ensemble sans profit personnel ».
Que reste-t-il aujourd'hui des idées, des idéaux et de cette solidarité ?
« Je pense malheureusement qu'avec la société de consommation, les idéaux de solidarité ont disparu de la scène politique tchèque et de l'esprit des gens. Ce qui me donne un certain espoir, ce sont les jeunes. Chez eux je vois beaucoup d'intérêt pour ce qui s'est passé, l'envie de faire des choses ensemble. Notre génération - les gens qui ont 35, 40 ans - est devenue un peu égoïste ».
Lors de son récent séjour à Prague, l'ex-chef de la diplomatie française, M. Roland Dumas, qui a d'ailleurs visité notre pays une douzaine de fois déjà, a évoqué, lui aussi, les moments où le peuple tchèque était en liesse.
« J'ai des images très fortes... J'étais ici ici pour les premières consultations électorales. Je me rappelle que je me suis promené à peu près toute la nuit, pour aller d'une radio à une autre. Il y avait toutes les radios étrangères. Nous étions avec M. Dientsbier qui était le minitre tchécoslovaque des AE à l'époque, et nous avons, je dois dire, bien arrosé la victoire et le changement... On était un peu fatigué le lendemain matin... C'est une image très forte. Là, j'ai vu le peuple tchèque en joie, c'était quelque chose d'extraordinaire, c'était une libération. J'ai connu la Libération en France, libération d'un autre régime et c'est tout à fait comparable dans mon esprit. Cette joie populaire, cet engouement, ces chants, les embrassades dans les rues, enfin c'est inoubiable ».
La chute du régime communiste a changé de fond en comble la vie de beaucoup de Tchèques. Une confession de l'écrivain Vaclav Jamek.
"Pour ma vie personnelle, la disparition du régime communiste n'a apporté que du positif. Dans la vie de notre société ce n'est pas tellement le cas, mais pour moi c'est le cas. Elle a transformé toute mon existence, je crois que cela a été toujours pour le mieux. J'ai même été frappé par le fait que pendant une dizaine d'années après le changement du régime, j'ai cessé complètement d'être malade. Je n'ai jamais été malade pendant tout ce temps. Mais il est vrai que la disparition de l'ancien régime coïncide avec le démarrage de ma vraie carrière littéraire parce que c'est au moment où le régime tombait en Tchécoslovaquie que mon premier livre que je n'ai jamais publié et que j'ai écrit en français, Le traité de courtes merveilles, a été primé à Paris donc en novembre 1989 et le jour même de mes quarante ans j'ai eu un prix littéraire et il y a eu en même temps la chute définitive du régime communiste donc c'est presqu'une histoire américaine où tout à coup toutes les lignes d'un destin se rejoignent un peu par miracle."
"Donc je ne suis pas en mesure de distinguer cette fortune littéraire qui tout à coup m'est arrivée et le changement de régime. Mais cela s'est sans doute passé beaucoup mieux pour moi également du fait que ce régime a disparu et que je n'ai pas fait l'objet des persécutions à la suite de la publication de ce livre. Evidemment cette liberté à compliqué également ma vie parce que j'avais pensé que m'établissant comme écrivain francophone en Tchécoslovaquie, et quand même il faut rappeler que trois jours encore avant la fin du régime on ne prévoyait pas tellement que le régime tomberait, enfin j'exagère à peine, on croyais qu'on passerait le restant de sa vie toujours dans ce système, et donc cela a été une surprise assez inattendue, un bel événement. Mais pour moi je pensais donc que je serais, à partir du moment ou j'aurai publié un livre en français, un écrivain français parce de toutes manières j'aurais été empêché de publier en tchèque. Or le changement de régime a ouvert les possibilités et j'ai été amené aussi à m'exprimer beaucoup plus en tchèque que je n'avais cru et donc pendant quelques années je me suis mêlé à la vie littéraire et publique en Bohême tout en essayant d'exploiter cette autre voie que je me suis ouverte et que je trouve précieuse, c'est à dire la voie du français. Pour ramener les choses à leur origine, tout cela commence donc en quelque sorte en 1989 et pour moi cela a été une date capitale qui a tout changé."
Au cours des 15 dernières années, des possibilités nouvelles se sont offertes, aussi, aux femmes tchèque. On voit toutefois toujours nettement moins de femmes que d'hommes dans les fonctions élevées, et encore moins en politique. A la fin des années 90, la République tchèque pouvait même « s'enorgueillir » d'une rareté européenne : le cabinet de Milos Zeman ne comptait pas une seule femme ministre. L'actuel cabinet du jeune Stanislav Gross, lui, en compte deux. La sénatrice Jaroslava Moserova, la seule candidate féminine aux dernières présidentielles, demeure pourtant optimiste.« La situation s'améliore. Je vois pourtant que les femmes ne sont pas prêtes à entrer dans le combat politique, qui n'est pas toujours des plus corrects. Elles ne ne sont pas enclines à utiliser les mêmes armes que certains messieurs. Mais je suis fermement convaincue que cela va changer, car les citoyens de ce pays voudront voir des femmes dans la politique. D'ailleurs, ils le souhaitent déjà ».
Monika Pajerova :
« L'une des caractéristiques de la dissidence et du mouvement estudiantin, c'était que les femmes et les hommes travaillaient ensemble pour faire le travail nécessaire. Cela a disparu, lorsque la bataille pour les fonctions a commencé. Les femmes sont moins malignes, quand il s'agit de faire une carrière. Marginalisées, nous avons aujourd'hui peu de femmes dans la vie publique et politique de notre république ».
Après la chute du régime communiste, beaucoup d'enfants d'émigrés, bilingues pour la plupart, sont rentrés dans le pays d'origine de leurs parents. Parmi eux, des enfants de dissidents. Nikola Brabenec est la fille de Vratislav Brabenec du groupe dissident Plastic People of The Universe et signataire de la Charte 77. Elle a grandi au Canada et maintenant elle vit à Prague. En 1989, elle avait 10 ans...
« Je me souviens d'un jour concret. On venait de déménager sur la côte Ouest, et je regardais la télé et soudain j'ai vu les drapeaux tchèques et le gens. Ca, c'est ma seule image de la Révolution. Je sais que beaucoup de gens nous appelaient depuis la Tchécoslovaquie. J'ai entendu parler d'une histoire, que quand notre famille a émigré, un ami de mon père lui a demandé : 'Quand vas-tu revenir ?', et mon père a répondu : 'Quand Karel Sidon sera rabbin de Prague.' Et l'ami de mon père l'a appelé et lui a dit : 'Alors, tu reviens ? Ca y est, c'est arrivé !' »Et voici une réflexion de l'historien français, Alain Soubigou :
« Il y a 15 ans, un événement important s'est produit dans la vie des Tchèques et des Slovaques. C'était l'occasion de ressortir le message de Masaryk et peut-être ses idées. Parmi tous les hommes politiques, Vaclav Havel a été un des hommes politiques les plus importants à souhaiter promouvoir à nouveau les idéaux de Masaryk. Je crois qu'il l'a fait de manière continue au cours d'une douzaine d'années où il a été au pouvoir... Dans cette tâche, il est resté un peu seul. »
Stan Neumann est un documentariste français d'origine tchèque... Il connait Prague « avant » et « après ».
« Je pense que le gros du choc est déjà passé. Je vois maintenant un peu ce que j'avais déjà vu dans les années 90 quand j'ai travaillé ici. Les gens ont tourné la page.. J'avoue que cela m'a fait quelque chose quand j'ai entendu à Paris que la République tchèque était dans l'Union européenne. Cela m'a ému, je me suis dit, ça y est... J'ai en même temps une certaine nostalgie de la Prague de mon enfance, du quartier de Zizkov quand c'était sale, de la rue où je suis née et qui a disparu depuis.... »
Jean-Michel Peltier travaille depuis la fin des années 90 au Ministère de la Justice tchèque en tant que magistrat de liaison. Quel regard porte-t-il sur les changements survenus dans le domaine judiciaire en République tchèque, pendant les 15 années écoulées ?
« Comme je le dis chaque fois, les changements ont été considérables dans le domaine judiciaire. Ils sont notamment d'ordre institutionnel. De très importants changements pratiques sont intervenus : une réforme du code de procédure civile ou celle du code pénal. La réforme judiciaire est par ailleurs un sujet constant d'adaption, parce qu'il faut adapter l'outil judiciaire à la société qui évolue ».
A en croire les sondages, un Tchèque sur cinq est nostalgique de l'ancien régime. Mais pour la plupart des Tchèques, le souvenir de l'état de grâce, d'euphorie et de liesse qu'ils ont vécu, il y a 15 ans, ne s'efface pas... En dépit des difficultés que la société a connues dans la période post-communiste, en dépit d'éventuelles amertumes ou déceptions... Vaclav Havel, figure de proue de la Révolution de Velours, trouve un remède : pour lui, l'art et la culture sont là pour relever le moral.« Ce qui est à mon sens important dans la politique et ce que l'on a tendance à oublier, c'est le climat dans la société. Les politiciens contribuent considérablement, tant bien que mal, à la création de ce climat. Je pense que c'est l'Art, à force de poser les principales questions existentielles et de refléter les sentiments et les sensations de l'homme, qui est à même de cultiver ce climat. C'est vers la culture que les gens tournent leurs espoirs au moment où il leur semble que les politiciens détériorent l'atmosphère, au lieu de l'apaiser ».