Le faux coup de Prague
Nous célébrons le 25 février prochain le 57ème anniversaire du coup de Prague, grâce auquel le régime communiste s'est imposé en Tchécoslovaquie. Mais cette prise de pouvoir fut-elle vraiment un "coup" ? Bien au contraire, il s'agit d'un putsch minutieusement préparé et pour lequel le PCT a pu profiter des erreurs de ses adversaires, dont la plus grande illusion fut de penser pouvoir se battre sur le terrain parlementaire.
A vrai dire, dès la fin 1945, le rêve formulé par le président Benes d'un rôle spécifique de la Tchécoslovaquie comme pont entre l'Est et l'Ouest semblait une utopie fragile. De 1945 à 1948, les communistes auront pu compter sur un contexte d'après-guerre auréolé du prestige de l'URSS. Ils bénéficeront également des erreurs de leurs adversaires politiques.
Première anomalie : les accords de Moscou, conclus en mars 1945 entre Tchécoslovaques de Londres et communistes tchèques et qui débouchent sur le programme de Kosice, signé le 5 avril 1945. Parmi ses clauses : l'interdiction des partis de droite de l'ex-1ère République. Si la force des partis de gauche était une donnée commune à toute l'Europe d'après-guerre, la liquidation de la droite traditionnelle fut un cas typiquement tchécoslovaque ! Il permet aux communistes d'obtenir les postes-clés dans le gouvernement dit de Front national, qui regroupe les grands partis de gauche. Sans compter la pirouette politique qui leur permet, au nom de l'existence de 2 partis communistes, tchèque avec Gottwald et slovaque avec Siroky, d'obtenir 6 portefeuilles au lieu des 3 prévus à l'origine. Habileté de la propagande également, qui sait jouer sur tous les tableaux de la sensibilité collective, à commencer par le peur de l'Allemagne, bien réelle dans l'immédiat après-guerre. On sait que l'écrasante majorité des Allemands fut expulsée du pays après la guerre. On se souvient en revanche moins que les Magyars devinrent à leur tour un groupe privé de droits. Là encore, les communistes surent placer les leurs aux endroits-clés : ils répartissaient ainsi les terres confisquées aux minorités non slaves entre les paysans.Créée au lendemain de la guerre, l'Assemblée nationale provisoire doit céder la place à des organes réguliers issus d'élections, prévues pour 1946. Avec 40 % de voix en Bohême-Moravie, le PCT s'impose comme la plus grande force politique, même si en Slovaquie, le parti démocratique remporte 62 % des voix contre 30 % pour le parti communiste. Dans le nouveau gouvernement, désigné le 2 juillet, les communistes détiennent 9 portefeuilles, autant pour les autres partis réunis. Un rééquilibrage peu surprenant dans le contexte de l'immédiat après-guerre : ainsi, en France comme en Italie, les communistes font alors partie du gouvernement.
Néanmoins, les élections prévues pour 1948 laissent présager un net recul des communistes. Ceux-ci décident alors de passer à la vitesse supérieure et de prendre le pouvoir par un putsch. Un conflit avec les autres partis du gouvernement à propos d'abus commis par les services de sécurité allait servir de point de départ à la crise. Face à l'absence de volonté des autorités de mener une enquête, les ministres non communistes menaçent de démissioner, ce qui est fait le 20 février. Cette action démontre bien l'illusion berçant ces partis de pouvoir mener le combat sur le terrain parlementaire. Saisissant une trop belle opportunité, les communistes demandent à un Benes vieillissant d'accepter la démission des ministres et leur remplacement par des candidats communistes. Après démonstrations de masse et autres défilés de milices ouvrières, un nouveau gouvernement voit le jour le 25 février 1948, presque exclusivement composé de communistes.
La seule réaction vient des étudiants de l'université Charles. 5000 à 10 000 d'entre eux montent au Château pour demander à Benes de résister et brandissent des drapeaux aux slogans de "Vive la démocratie !" ou "Vive la liberté !". La police tire en l'air et disperse les étudiants. Le totalitarisme s'est installé pour 40 ans...
Face au PC, les partis traditionnels ne surent pas faire preuve de cohésion et de coopération. Surtout, de 1945 au coup de Prague, ils se trompent sur la nature même du combat à mener, persuadés qu'il se place encore sur le terrain politique traditionnel. Face au noyautage des syndicats et des services de Sûreté et de Renseignement, la marge de manoeuvre était de toute façon plus qu'étroite.
Une chose est sûre : le putsch avait été soigneusement préparé depuis 1945 et le "coup" de Prague n'en fut pas un !