Mabou, une enfance pragoise pour une artiste strasbourgeoise

Photo: www.mabougallery.com

Partie de Tchécoslovaquie en 1968, Maryla Boutineau, dite Mabou, est une artiste tchèque qui vit en France depuis lors. De son enfance pragoise, elle a gardé des souvenirs originaux et romanesques qui participent de son inspiration créatrice. Aujourd'hui, elle vit à Strasbourg, en Alsace, où elle partage sa vie entre la création de ses oeuvres et son travail de guide-conférencière. Venue dans la capitale européenne par hasard, elle s'y est immédiatement bien sentie, et peut-être pas sans raison...

On pourrait imaginer que vous vous êtes finalement bien intégrée en Alsace, car c'est une région « carrefour » comme la Bohême. De même Strasbourg, qui est une sorte de centre culturel qui bouge et qui est au confluent d'influences, un peu comme Prague. Est-ce que vous ressentez cela en Alsace ?

« Oui, certainement, il y a des influences étrangères, il y a aussi une histoire mouvementée et également une histoire en commun avec l'Alsace. Justement, quand je fais mon travail de guide-conférencière, j'insiste beaucoup sur le fait que par exemple Charles IV, qui est une figure tellement incontournable à Prague, est venu en Alsace. Il est même monté sur le Mont Saint-Odile, il a détaché une partie des reliques de sainte Odile qu'il a ramenées à Prague pour les mettre dans la cathédrale Saint-Guy. Ce sont des choses que je découvre avec une délectation certaine, parce que je fais beaucoup de parallèles entre l'histoire de Prague et de Strasbourg. Très souvent cela se rejoint et cela me fait toujours très plaisir. »

Parlez-moi un peu de vos souvenirs d'adolescence et d'enfance à Prague. Quelles sont les images qui vous restent aujourd'hui ?

« J'ai eu de la chance avec mes parents. Ils n'avaient pas fait d'études, ni l'un ni l'autre, et cela leur a cruellement manqué. Ils ont donc essayé de rattraper ce manque et d'acquérir une certaine culture. Ils nous ont beaucoup amenés au château. Nous n'habitions pas loin, donc mon frère et moi, on y passait tous nos dimanches, à l'époque, contre notre volonté. Au château, ils nous expliquaient tout. Ils nous emmenaient aussi au restaurant, dans la Maison municipale, où nous déjeunions sous les oeuvres magnifiques d'Alfons Mucha. Je pense que j'étais véritablement pénétrée de cette culture très ancienne. Et quand j'étais petite, on habitait dans une villa qui était magnifique mais dans un état de décrépitude avancé. Les anciens propriétaires, des aristocrates, vivaient et habitaient avec nous. C'était très amusant ce mélange d'aristocratie, de déchéance... Par exemple, je balayais le trottoir avec Madame la baronne qui était habillée d'une peau de jaguar, mais un peu mitée, et après j'allais à l'école où j'appelais ma maîtresse « camarade maîtresse »... C'est très intéressant parce que je n'étais absolument pas consciente de l'incongruité de la situation. On vivait dans une espèce de folie douce. Je pense que cela a été véritablement un moteur pour la créativité ultérieure, mais je n'en étais pas consciente au moment même, évidemment. »