L'antichambre de la mort

Terezin
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Cela faisait 60 ans, le 8 mai dernier, que le camp de Terezin, en Bohême, avait été libéré par les Soviétiques. Six jours avant, le 2 mai, 52 détenus étaient encore exécutés par les SS. Nous leur rendons aujourd'hui hommage en revenant sur l'histoire de ce camp de transition, où l'on mourut aussi en nombre.

A environ 60 km au nord de Prague, le camp de Terezin (Theresienstadt en allemand) semble avoir gardé jusqu'à aujourd'hui le même aspect qu'à ses heures les plus sombres. Le plus troublant, pour le visiteur, c'est sans doute cette impression de refaire le même parcours que le détenu. L'univers concentrationnaire se dessine petit à petit. D'abord l'enregistrement dans le bureau d'accueil, aujourd'hui encore marqué de l'enseigne "Geschäftszimmer". De là, on aperçoit la cynique enseigne "Arbeit Macht Frei" - le travail rend libre - qui annonçait l'entrée de nombreux camps allemands. Dès leur arrivée, les prisonniers étaient conditionnés.

Passé le portail, on pénètre dans la première cour, divisée en deux blocs comprenant en tout 17 cellules collectives et 20 cachots, sans compter des cachots d'isolement. 1 500 prisonniers pouvaient y loger. Dans ces cellules de taille modeste étaient parfois entassées jusqu'à 600 personnes! Celles des Russes et des Juifs étaient particulièrement exposées aux sévices des gardiens.

Entre 1939 et 1945, 32 000 détenus transitent par Terezin, ancienne forteresse austro-hongroise. Les premiers arrivent en juin 1940. La plupart des prisonniers sont tchèques mais le camp verra aussi le passage de citoyens soviétiques et polonais, de Slaves du sud et de quelques otages français. Citons, au nombre des vicimes du typhus, Robert Desnos, membre du groupe surréaliste d'André Breton.

Si l'on n'exterminait pas à Terezin, le camp à bel et bien servi d'antichambre de la mort, la destination finale étant généralement Auschwitz, à environ 300 km de là. Terezin est d'abord un camp transitoire. La durée moyenne du séjour y est de 5 ou 6 jours. Mais le camp n'est pas seulement une étape vers les chambres à gaz. On meurt chaque jour à Terezin et d'abord des mauvais traitements et de la crutauté des gardiens.

Un exemple suffit pour imaginer les conditions de vie effroyables des détenus. Ceux-ci étaient tenus, dès leur arrivée, de prendre une douche dans la salle de bain et d'épouillage, située dans la première cour. La douche ne durait pas plus d'une minute. Pendant ce court laps de temps, on lavait leurs vêtements, qu'ils devaient enfiler au mieux humides. On imagine aisément les conséquences sur l'organisme par une température de moins dix degrés dehors... On comptera en tout 2 500 détenus, morts de mauvais traitements. A partir de 1943, c'est une épidémie de typhus qui ravage le camp. A leur arrivée, les Soviétiques trouveront, dans l'une des cours, 3000 prisonniers en état de survie ou d'agonie.

Adolf Eichmann
La tristement célèbre visite de la Croix-Rouge n'en procure que plus de honte. Suite aux pressions exercées par le Danemark, Eichmann invite la Croix-Rouge à visiter le camp en juin 1944. Les membres de la délégation internationale semblent s'être laissés facilement aveuglés par l'habileté machiavelique des Allemands. Lors de leur "inspection", ils n'auront vu en tout et pour tout qu'une seule salle. Celle-ci avait été spécialement aménagée en un salon de coiffure modèle, avec glaces et lavabos indivuels. Dès le départ de la déléguation, la salle sera fermée et elle ne sera jamais utilisée... Dans le musée du ghetto est reproduit le rapport de l'inspection du camp. Il y est écrit que l'équipe sanitaire n'avait malheureusement pas pu tout voir. Il est intéressant de noter que le mot "malheureusement" est, sur le document, raturé après coup. Peut-être trouvait-on que l'appui d'un adverbe ôtait plus de crédibilité qu'il n'en rajoutait...

Outre les mauvais traitements, on a aussi beaucoup exécuté à Terezin. De 1943 à 1945, 250 détenus au total seront passés par les armes. En mars 1945, trois prisonniers tentent de s'évader. L'un d'eux, avec trois autres détenus choisis au hasard, dont une femme, sont fusillés dans la cour de leurs cellules. Les impacts des balles sont encore clairement visibles aujourd'hui. La plus grande exécution eut lieu le 2 mai, soit 6 jours seulement avant la libération du camp. Elle décime 52 détenus, membres de la Résistance tchèque mais aussi membres du mouvement Sokol et sapeur-pompiers. Des fosses communes étaient aménagées sur un terre plein arrière, le long des canalisations. 600 cadavres y seront découverts lors de la libération du camp.

Pour les tortionnaires, évidemment, le séjour au camp recouvrait une toute autre réalité. Les gardiens vivaient avec leurs familles dans des maisons confortables. Une salle de cinéma leur était réservée. Ils disposaient aussi d'une piscine, entièrement construite par des étudiants de Roudnice Nad Labem. Tout au long des travaux, ceux-ci durent subir les mauvais traitements de leurs surveillants et certains n'y ont pas survécu.

Le 5 mai 1945, soit trois jours avant l'arrivée des Soviétiques, les gardiens s'enfuient du camp. Que deviendront-ils ? Le commandant de Terezin, Heinrich Jockel, tristement célèbre pour sa cruauté, sera condamné et décapité en 1946. K. Wachholz dirigeait l'entrepôt de vêtements. Les détenus étaient obligés d'y échanger leur tenue civile contre des uniformes usés des soldats des armées vaincues. En 1968, il est condamné à la peine capitale en RDA.