L’aventure musicale de Lenka Morávková et de sa sculpture sonore
Elle l’appelle sa « bête de verre ». Et c’est vrai que l’instrument de musique qui est le compagnon de route de la musicienne et compositrice tchèque Lenka Morávková a de quoi surprendre par son apparence. Directement inspiré des sculptures sonores des frères Baschet, le Bohemian Cristal Instrument est le résultat d’un mariage réussi entre les travaux des deux musiciens français à l’origine d’expérimentations musicales à partir des années 1950 et l’utilisation des traditions séculaires de la verrerie tchèque. Radio Prague est allé à la rencontre de Lenka Morávková dont le tout premier EP, Unicode, avec quatre titres originaux, vient de sortir sur les plateformes de téléchargement légal.
Un son unique, évoquant des mondes extra-terrestres, ou plus près de nous, des musiques ethniques, une atmosphère incitant à la concentration, voire à la méditation, voilà le genre d’impressions que suscitent au premier abord les compositions de Lenka Morávková réalisées sur sa « bête de verre », le Bohemian Cristal Instrument. On ne s’étonnera donc guère que la musicienne tchèque de 36 ans ait fait, en Californie, des études d’ethnomusicologie et qu’elle compare le fait de jouer de la musique sur du verre à une forme de rituel. Le verre, essentiel dans l’instrument de Lenka Morávková, c’est avant tout une histoire d’héritage culturel, comme elle nous l’explique :
« Je suis originaire d’une région traditionnelle pour la verrerie. Vers 2010, ce secteur a connu une crise importante et j’avais l’impression que je devais faire quelque chose. Je rentrais chez moi, je voyais tous ces gens frustrés et en colère, et je trouvais qu’il fallait leur donner une voix. Du jour au lendemain, de nombreuses fabriques de verre qui employaient des milliers de personnes ont fermé leurs portes et tous ces gens se sont retrouvés au chômage. La situation était alarmante. »
Lenka Morávková n’est de loin pas novice en matière musicale. Elle a baigné dedans depuis sa jeunesse et est connue sur la scène tchèque notamment pour ses nombreux projets à mi-chemin entre la musique, l’art conceptuel, la performance, comme le projet électro My Name Is Ann. C’est la situation de crise de sa région d’origine qui a déterminé un changement de cap important dans sa création. A l’époque, elle se lance dans un projet à cheval entre l’art et l’archivage historique : sillonnant la région, elle collecte les sons des fabriques de verre vouées à disparaître, réalise des entretiens avec des historiens, des ouvriers, des étudiants, et finalise ce qu’elle appelle une symphonie audiovisuelle et industrielle, où sont mixés sons, interviews et musique. L’idée du verre comme support musical est déjà bien là, mais pas encore finalisée. Jusqu’à un séjour en Espagne :
« La naissance de mon instrument est le fruit d’un hasard total. Je vivais à Barcelone. Je me suis rendue à un workshop où j’ai rencontré Marti Ruiz avec lequel j’ai collaboré plus tard : il jouait sur une sculpture en métal, sur des tiges en métal. En le voyant, je me suis dit que ce serait super d’avoir un instrument fait de verre, d’utiliser à cet effet le verre tchèque afin qu’il continue à résonner d’une certaine façon. Marti était enthousiasmé par l’idée, il m’a fait découvrir le monde des frères Baschet qui, à partir des années 1950, à Paris, ont construit des sculptures sonores, des instruments expérimentaux. Il m’a invitée à l’Université de Barcelone où j’ai pu essayer pour la première fois un instrument de type Cristal Baschet dont mon propre instrument est une sorte de version unique. Un an après, j’ai été invitée à Nový Bor, pour le Symposium international de verrerie avec l’idée de créer quelque chose de nouveau. C’était l’occasion ou jamais de fabriquer le tout premier Cristal Baschet tchèque. »
Combien pèse cet instrument ? Ça a l’air assez lourd. Il y a du métal, du verre…
« Je ne sais pas. Peut-être vingt kilos… Mais quand je le transporte à l’étranger, j’ai une boîte spéciale pour les voyages en avions. Et le tout pèse plus que 50 kilos ! »
Est-ce qu’il faut tout démonter pour le transport ?
« Quand je voyage en avion, oui, j’enlève les espèces de feuilles d’acier, les pieds aussi, mais je laisse en général la partie haute en verre… »
On vient juste d’entendre le verre…
« Donc en général je laisse ça en place parce que c’est bien fixé. Mais c’est vrai que ces derniers temps, notamment à cause du poids total, il m’arrive d’ôter les tiges en verre que je place dans un tube où elles sont bien protégées. Du coup, je peux simplement les transporter dans une valise. Par contre, ensuite, c’est plus compliqué pour moi de le remonter sur place. Ça met du temps, et surtout, ça désaccorde l’instrument et ça a une influence sur la résonnance. Etonnamment, en temps normal, c’est un instrument assez stable qui se désaccorde peu. C’est beaucoup plus stable qu’une guitare par exemple. Je pars de Los Angeles pour Prague et j’ai à peine besoin de le réaccorder. Mais si j’enlève les tiges, ça provoque des résonnances différentes. Donc j’essaye de ne pas trop le faire. »Comment le son se transmet-il depuis ces tiges en verre à ces espèces d’ailes qui propagent le son tout autour ?
« On mouille ses doigts dans de l’eau, et on touche ces tiges avec. C’est comme cela que vous créez une onde sonore. C’est le frottement du doigt sur la tige en verre qui crée l’onde qui passe ensuite dans une tige en métal. A chaque tige en verre correspond une tige en métal. La longueur de cette dernière est responsable de la hauteur de la note. C’est ici qu’on accorde l’instrument. Donc, ensuite, l’onde va dans le corps de l’instrument, puis dans les feuilles d’acier, ces espèces d’‘ailes’ qui amplifient le son et le propagent dans l’espace. Ce que vous entendez, ce n’est pas le son du verre, mais plutôt la résonance du métal. C’est pour cela que le son est parfois très fort. »
Ce qui est intéressant, c’est que même lorsque le doigt n’est plus sur la tige en verre, le son continue à se propager dans les airs.
« Le son a un retard assez important. C’est dû à la forme des feuilles d’acier. On s’en rend bien compte en chantant dans ces fameuses ailes qui réverbèrent très bien l’écho. » (chante)
Les petites tiges métalliques sur lesquelles reposent celles en verre sont toutes décalées, il y en a des plus grandes et des plus courtes. Ca fait penser à une harpe ou à un piano à queue en fait…
« Oui ! C’est exactement ça. C’est cela qui détermine la hauteur de la note. C’est comme sur tous les instruments. Chaque instrument a quelque chose qui influence la hauteur de la note. Si on prend une guitare par exemple, il y a des cordes que soit on serre, ce qui raccourcit la longueur de la note qui monte, soit on relâche, ce qui permet de faire baisser la note. Ici, à la place des cordes, on a des tiges métalliques : les tiges les plus courtes ont les notes les plus hautes et inversement. »Est-ce que je peux essayer ?
« Oui ! »
Comment on fait ? On met un peu d’eau sur les doigts et on frotte la tige… En fait je n’y arrive pas du tout !
« Quand tu sens la vibration, alors le son est là ! Il faut trouver la vibration exacte à la force de tes doigts. »
En fait il faut appuyer beaucoup plus que ce que j’imaginais, je pensais qu’il fallait juste passer le doigt délicatement…
« Ça dépend, personnellement je n’appuie plus beaucoup. Ici, au milieu, je caresse tout doucement. Par contre, si je veux avoir des vibrations plus fortes, j’augmente la pression ! »
C’est vrai que ça vibre partout. On ne peut pas le voir, mais on sent toutes les vibrations sous les pieds…
« En Californie, j’ai été souvent invitée à des workshops de sonothérapie. Et je comprends, parce que même moi, quand je joue dessus plus longtemps, par exemple vingt minutes, j’ai l’impression au bout d’un certain temps d’être en train de méditer. Les fréquences influencent le cerveau, le rythme cérébral. Evidemment, je ne peux pas le prouver scientifiquement sur mon instrument, mais par contre il y a des études qui montrent que le son a une influence sur le rythme cérébral, qu’elle soit positive ou négative d’ailleurs. En tout cas, je le vois et je ressens ainsi pour moi et je vois l’effet que cet instrument produit sur les autres aussi, notamment lorsqu’ils essayent de jouer avec. A chaque fois, ils repartent radieux et joyeux. Oui, cet instrument est vraiment une bête de verre géniale ! »
https://www.bohemiancristalinstrument.com/