Coronavirus : « On s’adapte aux nouvelles lois du marché »
Le Français Benjamin Diot a monté il y a trois ans sa société spécialisée dans la distribution de vins importés de l’Ouest et du Sud de l’Europe. Il fait partie de tous ces entrepreneurs durement touchés par les mesures prises par le gouvernement tchèque pour endiguer le coronavirus. Sa clientèle principale, formée par les hôtels et restaurants, est en grande difficulté après plusieurs semaines de fermeture forcée.
« On parle de 90-95% de mon chiffre d’affaires qui est dépendant surtout du tourisme mais aussi des ‘locaux’, des expatriés qui vont aux restaurants, dans des bars à vin ».
Comment faites-vous face ?
« On s’adapte aux nouvelles lois du marché. On essaie de développer un nouvel outil pour du ‘B to C’, donc aller directement voir le consommateur final et ne plus passer par un restaurant ou un bar à vin. On vient de lancer notre propre site internet, https://vino-delikatesy.cz/fr/, qui référence tous nos vins mais aussi quelques produits, que l’on appelle en République tchèque ‘delikatesy’ c’est-à-dire du pâté, du saucisson, du fromage. »
Comment faites-vous pour l’import avec toutes les mesures prises dans les différents pays et ici, en Tchéquie ?
« Il y a plusieurs facteurs déterminants. Le premier, c’est le coût du transport, qui bouge forcément car chaque transporteur qui va chercher du vin coûte beaucoup plus qu’auparavant. 80% des frets sont annulés donc les coûts de revient sont beaucoup plus élevés pour les sociétés de transports, ce qui est normal, et sont répercutés sur le client final : moi.Pourquoi le transport routier coûte plus cher aujourd’hui ?
« Il coûte plus cher à cause de la baisse de volume, c’est-à-dire qu’une fois qu’on a réduit 80% des importations, la majorité des transporteurs qui font du groupage (la plupart des vins que j’importe passent à un moment donné ou un autre par Francfort) sont impactés et donc ont des coûts plus élevés qu’avant. Je n’importe pas par transport aérien mais je présume que la situation est la même pour d’autres sociétés qui travaillent qu’avec du fret aérien. »
Combien de fois plus cher coûte le transport routier aujourd’hui ?
« Je dirais que c’est 1,5 fois le prix d’avant en moyenne, sachant que pour nous on peut faire moins de volume. Si avant on prenait d’un vigneron 3 ou 4 palettes, aujourd’hui on ne peut en prendre que 2 car on a pas le volume nécessaire pour écouler et forcément, le prix à la palette est encore plus cher qu’avant. Ajoutez à cela le prix du transport qui est augmenté. Enfin, le dernier facteur, très important, est le taux de la couronne qui faiblit ce qui fait augmenter les coûts. Si on veut maintenir les prix annoncés au départ au client, c’est entre 8 et 9% de marge en moins sur l’ensemble des produits importés. »
Sans import, combien de temps pouvez-vous tenir pour livrer ces particuliers ?
« J’ai du stock pour deux mois avec des références qui vont forcément commencer à manquer, notamment les vins les plus chers car ce ne sont pas ceux qu’on stocke en priorité. Ce sont des bouteilles entre 40 et 70€, pas destinées au public de masse donc on n’a pas mille bouteilles d’avance sur ces références là. Tout est en ligne, avec le stock affiché pour le client final et quand il y en a plus, il y en a plus… »Aides gouvernementales
Certaines des initiatives prises par le gouvernement tchèque pour aider les PME pourront-elles vous être utiles ?
« Je suis dans plusieurs cas qui malheureusement ne répondent pas très bien aux critères. Je suis en SRO (équivalent d’une SARL française) donc je n’ai pas l’aide de tout ceux qui sont auto-entrepreneurs. La première annonce était destinée aux auto-entrepreneurs avec une aide à hauteur de 15 000 couronnes par mois, somme qui a été revue à la baisse avec un seul chèque de 25 000 couronnes pour 6 mois. Cela, je n’y aurai pas accès. Le deuxième cas serait d’être considéré comme un restaurant, ce que je ne suis pas, pour pouvoir indemniser les salariés à hauteur de 80% du salaire. Et visiblement, quand on est soi-même le propre salarié de son entreprise, ce n’est pas possible, mais à confirmer. Je suis en contact justement avec des personnes de l’administration pour voir si je suis dans le cas ou pas et si une aide est possible. »
Un potentiel prêt à taux zéro serait une perspective qui vous intéresserait ?
« Ça peut le devenir, si dans trois mois la situation est toujours la même. Aujourd’hui, je pense que toutes les entreprises ont de la trésorerie pour tenir deux mois mais après ça va être compliqué. Je parle même de l’ensemble de la profession, restaurants compris. Tout le monde a à peu près deux mois d’avance pour tenir en théorie. Le prêt à taux zéro c’était quelque chose qui n’était pas forcément intéressant car je n’avais pas envie d’avoir une entreprise endettée, sachant que l’on ne sait pas trop où l’on va. Si demain, le gouvernement annonce que les frontières sont fermées pour deux ans et que l’on a pris un prêt à taux zéro remboursable dans un an, cela risque d’être compliqué, avec une entreprise endettée qui n’ira pas forcément mieux dans 1 an. »Est-ce que vos clients, hôteliers, restaurateurs, arrivent à trouver des plans B comme vous ?
« Je dirais qu’il y a deux catégories de clients. Il y a le client qui a son restaurant en tant qu’indépendant, avec ses 3, 4 voir 10 employés. Puis il y a les grosses chaînes d’hôtels qui, elles, n’ont pas de problèmes de trésorerie. Si elles doivent fermer pendant 6 mois, oui ça un impact économique mais elles seront toujours là demain. Le restaurateur, lui, n’ a pas les reins assez solides pour payer six mois de salaire à ses 10 employés, plus les charges fixes comme le loyer sur la même période. Il y a vraiment deux cas de figure et je pense qu’il y a une grosse partie des restaurateurs qui vont être très impactés. Cela va surtout dépendre du si le tourisme repart ou non pendant l’été. »