Vers un retour des marchés en République tchèque ?
Dans la plupart des pays d’Europe, ils font partie du décor des villes et des villages. Mais en République tchèque, les marchés sont curieusement absents du paysage. Enfin, jusqu’à récemment. Parallèlement au développement croissant de modes de consommation bio, plus respectueux de la nature, parallèlement aux débuts, même balbutiants, d’initiatives telles que les paniers bio, l’idée de réintroduire des marchés traditionnels fait son chemin. Si sur une des places de la ville de Brno, en Moravie, cela fait déjà un bon bout de temps que les riverains peuvent faire leurs courses auprès de producteurs locaux, à Prague, l’offre était presque uniquement limitée à la grande halle de Holešovice. A la mi-mars, la mairie de Dejvice, dans le sixième arrondissement de Prague, a lancé un projet pilote de marché : face au succès immédiat de la formule, elle a réitéré l’opération samedi dernier, et espère bien que le marché fermier devienne un rendez-vous incontournable tous les 15 jours.
Dana : « On vit en banlieue de Prague, en direction de Kladno. On est venu à cause du marché, et puis on va faire un tour au ciné. Et puis mon compagnon travaille ici, il a donc entendu parler du marché. Pour l’instant on n’a rien acheté parce qu’il y a des queues pas possibles ! »
Mirek : « Ce qui nous intéressait surtout, c’est que tout vient directement des producteurs. C’est donc plus frais, ce ne sont pas des produits de supermarchés. C’est important aussi pour notre enfant. Parce que nous achetons beaucoup de légumes, et on est beaucoup plus sensibles à la qualité qu’au prix. »
Longtemps réduits à leur propre production issue de leurs jardins face à la pénurie des magasins d’Etat, les Tchèques se sont précipités avec avidité dans les tous nouveaux supermarchés qui ont poussé comme des champignons après 1989, comme le souligne Zdeněk Štefan, boulanger dans l’Est de la Bohême :« Après la révolution les gens voulaient consommer et acheter de manière moderne, donc dans les supermarchés. Mais la qualité tend à baisser énormément. C’est vrai que les prix y sont plus bas, mais la qualité est de pire en pire. Les gens ont pris conscience qu’ils pouvaient trouver sur les marchés ce à quoi ils étaient habitués dans le passé. Ce qu’ils achètent au marché à un tout autre goût que ce qu’ils achètent en magasin. »
Vingt ans après, c’est en effet un peu la gueule de bois face à des pommes sans goût et à des patates calibrées. Aujourd’hui, l’heure est à l’authenticité, au terroir, aux produits made in Czech Republic, comme l’annonce d’emblée ce maraîcher qui vend justement ses produits :
« Je vends des produits tchèques, des fruits tchèques qui viennent du Massif central en République tchèque. Là, j’ai environ huit types de pommes : des topaz, des goldens, idareds, des jonagoreds... Ça fera dix-neuf couronnes... Merci... Bien sûr, c’est un plaisir, le marché ! J’étais déjà présent au tout premier. Et il y a des gens qui sont revenus aujourd’hui. »La petite dame qui vient de payer ses courses faisait partie des personnes qui ont déjà testé le premier marché au mois de mars :
« Pour l’instant j’ai acheté des pommes, je veux encore acheter du chou et peut-être aussi des produits à base de lait de chèvre. Moi j’ai l’habitude des marchés à New York parce que je partage ma vie entre Prague et New York. J’aime bien l’atmosphère du marché, enfin surtout aujourd’hui parce qu’il n’y a pas trop la cohue non plus, donc ça va ! »
Son lait de chèvre, la petite dame l’aura peut-être trouvé auprès de M. Štěpánek, fermier et producteur de Bohême de l’Est. Encore que, celui-ci a vite été en rupture de stock pour certains de ses produits face à des clients enthousiastes :« On vent des fromages de chèvre, des yaourts. Et notre spécialité, c’est une glace à base de lait de chèvre. Nous sommes ici pour la première fois, nous avons été invités à participer. On est content, mais le seul problème, c’est qu’on n’avait pas assez de produits et nos fromages ont été écoulés en une heure à peine. C’est eux qui se sont le mieux vendus. C’est vrai que la glace est un peu une attraction, mais bon, c’est vrai qu’avec la météo aujourd’hui... Ça se vend mieux en été ! D’après moi, il faut qu’il y ait de plus en plus d’événements de la sorte, il faut promouvoir les produits tchèques de qualité, il faut que ça passe par d’autres canaux que les grandes chaînes et que les gens puissent choisir parmi des produits frais et de qualité. »
Conjuguée au boom du bio et à l’envie de qualité qui touche tous les pays développés, la demande s’est donc faite plus pressante. Des pétitions pour le retour des marchés en République tchèque circulent même sur facebook. Pour Pavel Šťastný, dont l’agence a organisé le marché pour la mairie de Prague 6, clients et producteurs y trouvent leur compte :
« Bien sûr, les fermiers, les cultivateurs doivent vendre leurs produits aux supermarchés et ne se font qu’une marge minime dessus. Or les marchés, c’est une occasion pour eux de les vendre directement aux gens ce qui leur permet de faire plus de bénéfices. C’est aussi une occasion pour eux de se faire apprécier des clients. Et puis aujourd’hui, de plus en plus de gens font la cuisine, prennent même des cours de cuisine. Et comme disent les chefs cuistots : pour faire un bon repas, il faut de bons produits. »
De bons produits, mais aussi le besoin de faire ses commissions en ayant un vrai contact chaleureux, loin de l’anonymat des grandes chaînes, avoir un véritable échange entre client et vendeur, voilà ce qui fait mouche, comme le relève le boulanger Zdeněk Štefan :« J’ai l’habitude du contact direct, et c’est la meilleur façon de communiquer avec le client. Nous savons ce que gens apprécient, ce que nous devons améliorer et vers quoi on doit se spécialiser... »
Un peu plus loin, un speaker oriente les gens au micro vers quelques stands spéciaux, mais les invite aussi à signer une pétition. Le marché, en plus d’être un lieu de vente, sert aussi un peu d’agora, comme une incitation pour les riverains à s’engager dans la vie civique. Nul doute que le marché serve aussi bientôt aux partis politiques en campagne pour les législatives de la fin mai. A moins d’un mois et demi du scrutin, ce marché lancé par la mairie du sixième arrondissement est d’ailleurs aussi une bonne opération marketing, mais qui a, à coup sûr, le mérite de faire revivre une tradition perdue. En tout cas, le phénomène devrait faire boule de neige : déjà plusieurs autres arrondissements ont fait savoir qu’ils allaient lancer leurs propres marchés.