Pédocriminalité : un nouveau documentaire tchèque sur la vulnérabilité des enfants en ligne
C’est un film qui fait beaucoup parler de lui avant même sa sortie, ce jeudi. « V síti » (« Caught in the Net » en anglais, un titre que l’on pourrait traduire en français comme « Dans le piège de la Toile »), est un documentaire traitant des abus sexuels en ligne sur mineurs. Filmées pendant dix jours devant leurs ordinateurs, trois jeunes actrices avec de faux profils les présentant sur les réseaux sociaux comme des filles âgées de 12 ans ont été contactées par plus de 2 400 hommes. Choquante pour beaucoup, cette expérience filmée met en lumière un phénomène encore peu exploré en République tchèque.
« J’ai 12 ans, ça va ? ». Cette question est le fil rouge qui traverse le documentaire « V síti » tourné par Vít Klusák, un des documentaristes les plus en vue en Tchéquie, et Barbora Chalupová. L’idée du film est venue à Vít Klusák il y a trois ans, lorsqu’une société de télécommunications lui a demandé de tourner une vidéo virale sur les dangers du harcèlement sexuel en ligne auquel, en République tchèque comme ailleurs, un nombre toujours croissant d’enfants et d’adolescents est confronté.
Intéressés par le sujet, Vít Klusák et Barbora Chalupová ont alors effectué une première expérience en postant sur plusieurs serveurs le profil d’une jeune fille imaginaire, Týnuška, âgée de 12 ans. En l’espace de quelques heures, plus de 80 hommes adultes étaient entrés en contact avec elle pour lui adresser des messages à caractère sexuel.Anežka Pithartová, 22 ans, a vécu la même expérience après avoir été choisie par les réalisateurs pour leur documentaire.
Anežka et deux autres jeunes femmes, trois adultes avec un physique d’adolescente, ont été filmées dix jours durant dans des chambres d’enfant. Soutenues par une équipe composée de psychologues, de sexologues, de criminalistes et de juristes, elles ont communiqué, du matin au soir, avec des centaines d’hommes qui menaient avec elles des conversations intimes, leur envoyaient leurs photos et vidéos sur lesquelles ils apparaissaient nus ou, le plus souvent, se masturbaient devant une caméra web. Autant d’hommes pleinement conscients du fait qu’une gamine de 12 ans était assise devant l’écran.
Bien que préparée à l’avance à ce comportement, Anežka Pithartová a raconté à la Radio tchèque avoir été choquée par l’agressivité des échanges :
« Je m’attendais à être confrontée à un mal très sophistiqué, à une manipulation, à un chantage peut-être. Mais ce qui m’a le plus surprise, c’est l’arrogance de ces hommes. Ils n’investissent aucune énergie dans la conquête de leur victime. Ils y vont droit au but et c’est cette impatience qui me frustrait le plus. »Cette expérience filmée, qui montre également des rencontres arrangées entre les trois filles et quelques-uns des prédateurs sexuels présumés, n’est-elle pas davantage une fiction qu’un documentaire ? Le réalisateur Vít Klusák explique son approche :
« Je pense qu’il s’agit bien d’un documentaire. Le film révèle une réalité telle qu’elle existe. Nous n’avions pas d’autres moyens pour la mettre en lumière. Aucun enfant de 12 ou 13 ans ne nous laisserait entrer dans sa chambre avec une caméra pour que l’on suive sa conversation intime avec un homme de 45 ans. Il a donc fallu que nous mettions en place nous-mêmes ces trois chambres d’enfant pour y placer des actrices adultes. Elles ont vu d’innombrables scènes sexuelles pendant le tournage et, bien évidemment, nous n’aurions pas pu mener cette expérience avec des enfants. »
Un des objectifs des réalisateurs était d’en savoir plus sur les profils et les motivations des harceleurs en ligne. Vít Klusák :« Il s’est avéré, et c’est ce que nous ont confirmé les experts, qu’il s’agit souvent d’hommes blasés du porno. Seuls 3 à 5 % de ceux qui approchent les mineurs sur Internet sont des pédophiles. Tous les autres sont des hommes avec un profil psycho-sexuel normal. Simplement, le porno ne les excite plus et c’est pourquoi ils cherchent une personne en chair et en os qui leur fournisse des photos ou des vidéos dénudées. »
« Lors du tournage, nous avons vu les profils authentiques de ces hommes, avec leurs photos de famille… Ils ne cachent même pas qu’ils ont des enfants, qu’ils mènent une vie ordinaire. (…) Nous n’avons pas eu affaire à un cas type de prédateur sexuel. C’étaient des hommes âgés de 17 à 70 ans. Via Skype, nous pouvions voir l’intérieur de leur appartement. Souvent, c’étaient des hommes apparemment assez riches, mais il y a eu aussi un chauffeur de taxi ou des étudiants à la fac qui se préparaient pour des examens… Bref, toutes sortes de gens. »
La police, présente tout au long du tournage, a déjà accusé plusieurs personnes qui apparaissent dans le documentaire. Celui-ci sortira en salles en deux versions : pour les adultes et pour les enfants âgés de plus de 12 ans, qui devront être accompagnés de leurs parents. Une version raccourcie du film sera également projetée dans les écoles, dans le cadre d’un projet pédagogique. Il comprendra aussi des débats avec les réalisateurs et les trois protagonistes.