Le PEN Club tchèque dans le tourbillon de l’histoire
C’est avec une chanson de Jacques Brel qu’a été inaugurée à la Bibliothèque nationale de Prague une exposition retraçant les 95 années de l’existence du PEN Club tchèque. La situation de cette association d’écrivains qui a failli disparaître plusieurs fois dans l’histoire tourmentée du XXe siècle, pourrait être considérée comme un indicateur du niveau de la liberté intellectuelle et de la démocratie en Tchécoslovaquie et plus tard en République tchèque. Son président actuel Jiří Dědeček, poète et chansonnier, a bien voulu évoquer à cette occasion l’histoire du PEN Club tchèque au micro de Radio Prague Int.
Karel Čapek, fondateur du PEN Club tchécoslovaque
Aujourd’hui vous ouvrez une exposition à l’occasion du 95e anniversaire de la fondation du PEN Club tchécoslovaque. Quels ont été les circonstances historiques de la fondation du PEN Club ?
« Il est bien connu, je crois, dans les milieux littéraires à Prague et même en France, que Karel Čapek était un grand écrivain d’avant la Deuxième Guerre mondiale. C’est lui qui a fondé le PEN Club tchécoslovaque à cette époque-là. Depuis la séparation d’avec nos collègues slovaques, nous célébrons l’anniversaire du PEN Club tchèque. La date précise de la fondation était, je pense, le 15 février 1925. Donc, on existe depuis très, très longtemps. Il y a eu des moments durs pour le PEN Club, les circonstances historiques n’étaient pas toujours favorables, surtout bien sûr pendant la Deuxième Guerre mondiale. A cette époque-là, le PEN Club a été fermé. Les années cinquante ont été aussi une époque assez difficile. Et puis après 1968, le PEN Club est redevenu un centre fermé et dormant. Il s’est réveillé juste le jour de la révolution de Velours en 1989. Les écrivains Jiří Mucha, Ivan Klíma et d’autres se sont réunis pour restaurer le PEN Club, tel qu’il avait été avant le totalitarisme. »Quel a été le rôle du PEN Club tchèque lors des événements dramatiques qui ont précédé la Deuxième Guerre mondiale ?
« La Deuxième Guerre mondiale est arrivée au moment où Karel Čapek était déjà mort. Anna Maria Tilschová qui était à ce moment présidente du PEN Club a essayé de le sauver. Dans le système nazi le PEN Club ne pouvait pas survivre avec des écrivains juifs parmi ses membres. Alors, elle a essayé pacifiquement et amicalement, nous pouvons dire, de faire partir les membres juifs du PEN Club, mais cela s’est avéré finalement inutile parce que, pendant l’occupation nazie, les intellectuels étaient en général mal vus et Heydrich a essayé de liquider l’intelligentsia tchèque dans son ensemble. Et après la guerre a commencé la période du totalitarisme stalinien. »
Le PEN Club face au danger nazi
Revenons encore à Karel Čapek, à son rôle d’avant la Deuxième Guerre mondiale. Karel Čapek a essayé d’attirer l’attention du monde sur la situation en Tchécoslovaquie en ce temps-là…
« Exactement, vous avez raison, j’ai oublié de dire qu’en 1938, Karel Čapek a organisé à Prague un congrès international du PEN Club. Des auteurs sont venus du monde entier. Dans ses œuvres comme R.U.R. ou La Guerre des salamandres mais aussi dans son action politique Karel Čapek a essayé d’attirer l’attention du monde sur ce pays au centre de l’Europe qui était trop petit et faible pour résister à la supériorité allemande. Le congrès a réuni à Prague beaucoup d’écrivains, y compris des auteurs français. Malheureusement, il n’a pas réussi à attirer l’attention sur nos problèmes. On nous a sacrifiés au nom de la paix européenne, mais cela a encore échoué parce qu’Hitler était insatiable dans sa volonté d’occuper de nouveaux territoires. Čapek a fait donc son possible et puis il est mort encore en 1938, peu de temps après le congrès. »Le PEN Club sous la dictature communiste
Quelle était la situation du PEN Club tchèque après la Deuxième Guerre mondiale et l’instauration du régime communiste en Tchécoslovaquie ?
« Après la guerre, le PEN Club a travaillé pendant quelque temps. Il y a eu quatre présidents dont Vítězslav Nezval, un poète très célèbre qui était aussi francophone et aimait la littérature française. Il y a eu aussi l’écrivaine Marie Majerová et Adolf Hoffmeister, un personnage important. Il était écrivain mais aussi dessinateur et auteur de portraits et de caricatures de nombreuses personnalités célèbres du monde intellectuel de l’époque dont Pablo Picasso ou Salvador Dalí. Adolf Hoffmeister a présidé le club entre 1968 et 1973, je crois. Et puis le PEN Club a été définitivement dissous parce que le régime communiste s’est aperçu qu’il n’avait plus besoin d’intellectuels, d’une intelligentsia qui pouvait être effectivement remplacée par des gens obéissants. »
En 1989, lors de la révolution de Velours, le PEN Club tchécoslovaque renaît donc de ses cendres…
« Oui, cela s’est passé le jour de la révolution ou même la veille à la maison de l’écrivain Jiří Mucha. Il y avait aussi les écrivains Ivan Klíma, Marta Kadlečíková et Jiří Stránský et tous ces auteurs ont annoncé à Londres que le PEN Club tchécoslovaque recommençait à travailler, et à partir de ce moment Jiří Mucha a été président du Club. Cependant sa présidence a été courte, elle n’a duré qu’un an, je pense, et puis c’est Ivan Klíma qui lui a succédé pendant deux ans. Ensuite, c’était Jiří Stránský qui s’est ‘emparé du pouvoir’. Il a présidé le Club pendant 14 ans. Finalement les membres du PEN Club ont décidé de trouver quelqu’un d’autre qui aurait les mêmes tendances politiques comme eux, c’est à dire qui ne serait pas un ex-communiste, par exemple, quelqu’un qui serait capable de parler des langues étrangères, et c'est moi qu'ils ont élu. »La partition du PEN Club
En 1993, le PEN club tchécoslovaque s’est divisé en deux et vous êtes devenu le PEN Club tchèque…
« C’est exactement comme ça. Après la partition de la Tchécoslovaquie, les Slovaques sont répartis de zéro, et nous, les Tchèques, nous avons renoué avec la tradition d’avant-guerre, avec Karel Čapek, et nous continuons dans cette voie. »Quelle sont aujourd’hui les relations de votre club avec les PEN Clubs étrangers ?
« Cela dépend. Il y a en a qui sont vraiment nos amis, c’est-à-dire par exemple le PEN Club allemand. Nous recevons toujours des visites d’Allemagne quand nous célébrons quelque chose. Nous rencontrerons bientôt la présidente du PEN Club allemand Regula Venske. Nous venons de recevoir également l’ex-président du PEN Club slovaque Laco Volko qui a parlé lors de l’inauguration de notre exposition. Les relations sont très amicales avec ceux qui nous entourent. Moi, personnellement, je regrette beaucoup qu’on voie rarement, par exemple, les représentants du PEN Club français. On ne se voit pas souvent. »