Une plongée dans les eaux tumultueuses de la révolution de Velours
La révolution de Velours en 1989 a-t-elle été une véritable révolution ou une simple passation de pouvoirs ? La chute du régime communiste en Tchécoslovaquie a-t-elle été provoquée par un formidable mouvement populaire ou a-t-elle été orchestrée par les milieux réformistes du Kremlin ? Nous a-t-on volé notre révolution ? Ces questions et encore beaucoup d’autres sont posées par Michael Kocáb (1954) dans son livre intitulé Vabank, livre qui est une chronique détaillée de la révolution de Velours et du retrait des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie.
Nous n’avons pas été manipulés par de grandes puissances
Michael Kocáb partage sa vie entre la musique et la politique. Rocker, compositeur et homme politique, il est plusieurs fois intervenu de façon décisive dans la vie politique de son pays et a joué un rôle incontournable dans les coulisses de la révolution de 1989. Depuis longtemps, il voulait donner son témoignage sur ce tournant historique dont il a été un protagoniste discret. Son livre n’a vu le jour que trente ans après la révolution :« Je l’ai écrit pour qu’il soit lu par les étudiants, pour que le large public soit informé sur les recoins sombres de la révolution de Velours, mais surtout pour que nous nous rendions compte tous que cette révolution a été faite par nos citoyens, nos étudiants, nos comédiens et nos organisations civiques contre la volonté de tous. A la différence des tournants historiques de 1938, 1948 et 1968, nous n’avons pas été des marionnettes manipulées par de grandes puissances. »
Et Michael Kocáb souligne qu’il y a de quoi être fier. Dans son livre, il retrace pas à pas les jours mémorables de novembre et de décembre 1989, il évoque le processus difficile de la formation de l’opposition réunie dans le Forum civique, il décrit l’évolution vertigineuse de son compagnon et ami Václav Havel, dissident qui venait de sortir de prison avant de devenir en l’espace de quelques semaines président de la République.
Médiateur entre l’opposition et le pouvoir
Ce sont Michael Kocáb et Michal Horáček qui ont l’idée d’une initiative appelée Most - Le Pont pour servir d’intermédiaires entre l’opposition et le régime en place. Leur activité qui semble naïve et condamnée à l’échec, finit par trouver un interlocuteur attentif en la personne du Premier ministre Ladislav Adamec. C’est la première brèche dans ce bastion du régime communiste qui semble imprenable et qui finit par s’effondrer. Le livre démontre cependant que c’était là un processus extrêmement dangereux qui aurait pu dégénérer en un conflit sanglant entre le pouvoir et la population révoltée contre l’arbitraire. L’armée, la police et les milices populaires se mobilisent. Dans le cadre de l’opération Norbert, le régime prépare l’internement de 9 500 personnes dont les noms figurent sur des listes secrètes. Si le scénario sanglant ne se réalise finalement pas, c’est aussi grâce à quelques hommes politiques réalistes que Michael Kocáb et Michal Horáček ont trouvés parmi les dirigeants communistes :
« Je dois dire qu’il y avait au moins cinq personnes dans le camp opposé. C’était le conseiller du Premier ministre Oskar Krejčí, le Premier ministre Ladislav Adamec, le général Mojmír Zachariáš, le chef de l’Etat-major de l’Armée tchécoslovaque Miroslav Vacek et le futur Premier ministre Marián Čalfa. Ils ont tous franchi leur Rubicon personnel et avec la devise ‘ Il faut éviter toute effusion de sang, il y en eu assez par le passé’, ils ont partagé pendant quelques temps notre chemin. »Et Michael Kocáb d’ajouter encore à ce petit groupe de dirigeants communistes tchécoslovaques deux noms russes, ceux du général Eduard Vorobïov, chef des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie, et de Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du Parti communiste soviétique.
La candidature de Václav Havel
Ce n’est que le 5 décembre 1989 que Michael Kocáb formule pour la première fois le projet de candidature de Václav Havel à la présidence de la République, projet qui est d’abord loin de faire l’unanimité. Et pourtant dès le 29 décembre, le dissident Václav Havel est élu à l’unanimité président de la République par une Assemblée fédérale où se trouvait une majorité de députés communistes. Ceci aussi peut être considéré comme un des miracles de cette révolution dont les protagonistes ont su éviter la violence et le sang.Artisan du retrait des troupes soviétiques
Le parti communiste renonce à son pouvoir, le marxisme n’est plus la seule idéologie officielle, le président Havel est au Château de Prague, mais pour Michael Kocáb rien n’est terminé. Il se rend compte que tant que l’armée soviétique restera en Tchécoslovaquie, la jeune démocratie tchèque peut être renversée à tout moment. En tant que député du nouveau Parlement, il déploie donc toute son énergie pour réaliser, accélérer et achever le retrait des forces soviétiques du territoire tchécoslovaque, processus qui s’avère extrêmement compliqué car il est boycotté par une partie des militaires soviétiques. Le retrait de 113 421 soldats et membres de leurs familles s’étendra sur une année et demie :
« Le 30 juin 1991 est la date de la fin du retrait des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie. Avant cette date, si quelque chose changeait en Union soviétique, le processus de libéralisation en Tchécoslovaquie aurait pu être interrompu. Rappelons le Printemps de Prague en 1968 lorsqu’on pensait que l’affaire était gagnée. Et il a suffi d’une seule nuit pour mettre fin à tout cela. Je me suis rendu compte de cette situation en tant que nouveau député de l’Assemblée fédérale. Nous avions gagné, certes, mais à condition que les Russes continuent à ne pas intervenir. Mais cela n’était pas sûr parce qu’entre-temps les adversaires de Gorbatchev se mobilisaient à Moscou. Nous avons fini le retrait des troupes le 30 juin 1991 et six semaines après seulement a éclaté un putsch gigantesque contre Gorbatchev et des chars en grand nombre ont approché de Moscou. Heureusement Boris Eltsine a fait front aux putschistes et a sauvé la situation. Nous avons donc réussi à nous faufiler dans une brèche historique très étroite. »Les questions qui ne cessent d’intriguer les historiens
Ce n’est donc qu’en juin 1991 que, pour Michael Kocáb, la révolution de Velours prend fin. Son livre reste un témoignage captivant sur ce tournant historique et sur ses protagonistes, sur leur courage, leur finesse, leurs hésitations, leurs succès et leurs erreurs. L’auteur cherche aussi des réponses aux questions qui ne cessent d’intriguer les historiens et présente entre autres quatre hypothèses sur l’origine de la manifestation du 17 novembre 1989 brutalement réprimée par la police, et qui a déclenché la révolution. Il admet qu’un certain rôle a été joué par les services secrets tchécoslovaques et même par le Kremlin, qui voulait donner un coup de pouce aux réformes en Tchécoslovaquie. Mais il conclut sur le fait qu’il s’est agi avant tout d’un immense mouvement populaire. Les gens en avaient assez et n’attendaient qu’une erreur de la nomenclature communiste pour sortir dans les rues.Dans ce contexte Michael Kocáb s’interroge aussi sur le rôle historique de Mikhaïl Gorbatchev. « Nous ne savons pas jusqu’à aujourd’hui, écrit-il, si l’effondrement du marxisme-léninisme et de l’idéologie soviétique qui tyrannisait une grande partie du monde, a été pour Gorbatchev une tragédie personnelle ou au contraire l’accomplissement de son désir secret jamais exprimé. »
Le groupe de Visegrád
Aujourd’hui Michael Kocáb peut se retourner sur une vie remplie d’activités politiques et artistiques. Pendant la période qui nous sépare de la révolution de Velours il a été conseiller de Václav Havel, député, sénateur, ministre en charge des droits de l’Homme et des minorités ethniques. Il n’a pas renoncé aux principes démocratiques et il est donc sensible aussi aux problèmes qu’apporte notre époque. C’est ainsi qu’il commente avec le franc-parler qui lui est propre l’existence du groupe de Visegrád qui réunit la Tchéquie, la Slovaquie, la Pologne et la Hongrie et qui est considéré par certains commentateurs comme un cheval de Troie qui risque de désintégrer l’Union européenne :« J’estime que le groupe de Visegrád doit être détruit. Il est temps qu’il soit dissout. Déjà lorsque Václav Havel préparait la création de ce groupe, j’avais problématisé cette idée en lui demandant : ‘A quoi bon ? Avons-nous besoin de cela ?’ Il évoquait dans ce contexte les liens de longue date entre les dissidences tchécoslovaque et polonaise et s’imaginait que Visegrád raffermirait encore l’intégration européenne. S’il voyait ce que Visegrád est devenu par la suite, il se retournerait dans sa tombe. »
Michael Kocáb représente donc un lien entre le mouvement qui a déclenché la révolution de 1989 et la politique actuelle. Il prolonge en quelque sorte l’œuvre de Václav Havel, son ami. Interrogé sur ses projets d’avenir, il n’exclut même pas de présenter à la prochaine occasion sa candidature à la présidence de la République.