UE-Babiš : « Ses intérêts économiques sont tels qu’on finira toujours par tomber sur un os »
C’est un rapport européen dont on va parler pendant de longues semaines voire de long mois : la nouvelle version de l’audit de la Commission européenne sur les affaires du Premier ministre tchèque a été transmise en fin de semaine dernière à Prague et, à en croire la presse, Andrej Babiš (ANO) a bel et bien un problème de conflit d’intérêts selon les juristes de Bruxelles. Son gouvernement redistribue les subventions européennes à diverses entreprises appartenant au groupe Agrofert qu’il a fondé et la distance mise légalement entre lui et cet empire industriel ne serait pas suffisante.
Basé à Bruxelles, Martin Michelot est chercheur associé à l’Institut Jacques Delors :
« Ce sont des nouvelles informations qui ne sont pas forcément surprenantes, dans la mesure où le pré-rapport publié il y a quelques mois ne laissait que peu de place au doute. »
Ce nouveau rapport d’audit est-il définitif ?
« Si j’en crois les informations qui viennent directement de Bruxelles alors oui, il s’agit d’un rapport définitif, sur la base duquel il faudrait que des mesures soient prises pour faire en sorte de mettre fin à ce conflit d’intérêts. Donc que Babiš lui-même ne soit plus en mesure de prendre des décisions concernant des entreprises qu’il détient. C’est à la fois aussi simple et aussi compliqué que cela. »
« Simple, parce qu’évidemment en principe mettre fin à un conflit d’intérêts peut être facile. Mais compliqué, parce que le groupe Agrofert est composé d’une multitude de sociétés éligibles à différents fonds européens donc en réalité on pourrait penser qu’Andrej Babiš ne peut mettre complètement fin à ce conflit d’intérêts. »
« Au-delà de ça, on peut se poser la question de savoir si une personne riche avec des intérêts économiques peut un jour entrer en politique sans être confronté un jour à un conflit d’intérêts… »
Andrej Babiš se défend en affirmant qu’en plaçant son groupe dans des fonds fiduciaires il s’est mis en conformité avec la loi tchèque expressément votée en 2017 par le Parlement tchèque pour régler son cas et qui porte officieusement le nom de « Lex Babiš »…
« Effectivement, mais entre la loi tchèque initiée par le Parti social-démocrate et les réalités des financements européens, il y a une différence. La loi peut éventuellement suffire au niveau national, mais elle ne répond pas forcément aux critères plus restrictifs de l’UE. En plus, les intérêts économiques d’Andrej Babiš sont tellement importants qu’on va toujours tomber sur un os à un moment ou un autre… »
La nouvelle Commission européenne vient tout juste d’entrer en fonction. Dans quelle mesure cette nouveauté peut influer sur le cas Babiš, sachant notamment que la représentante tchèque, Věra Jourová, a été nommée à l’origine par Andrej Babiš ?« Věra Jourová est vice-présidente de la Commission donc elle a un rôle relativement important au sein du collège des commissaires. Elle est aussi en charge de la démocratie et des valeurs européennes, donc son agenda peut éventuellement toucher les questions larges de conflits d’intérêts et de démocratie dans l’UE. Mais là, on est sur un cas qui est purement national, il s’agit des intérêts d’Andrej Babiš en Tchéquie. La Commission n’a aucun levier législatif pour l’empêcher de détenir des sociétés ou d’avoir des intérêts économiques. »
« Là on parle seulement de mesures restrictives soit pour faire en sorte que M. Babiš ne siège plus dans des organes de décision sur le financement européen soit pour faire rendre l’argent. Des mesures punitives pourraient être prises pour que des fonds indûment perçus par des sociétés du groupe Agrofert soit rendus. Mais on n’en est pas encore là et cela n’aura rien à voir avec la Commission européenne – cela reste entre Prague et les services légaux de la Commission, ce n’est pas une affaire politique à proprement parler. »