1989 ET MOI, et moi et moi... « La Fake news qui a déclenché la révolution »
Suite aujourd’hui de l’entretien réalisé pour notre série sur 1989 avec l’écrivaine Magdaléna Platzová. Elle se trouvait sur Národní třída, l’Avenue nationale, à Prague le 17 novembre, quand les forces de l’ordre ont tabassé les manifestants qui réclamaient pacifiquement davantage de démocratie. Dans les heures qui ont suivi ce que les Tchèques ont coutume d’appeler le « massacre » de Národní třída, un nom va faire son entrée dans l’histoire moderne du pays, celui de Martin Šmíd, un étudiant que l’on a dit mort des conséquences de ses blessures ce jour-là.
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« La rumeur de la mort de Martin Šmíd est une rumeur qui selon moi a déclenché la révolution, parce qu’il s’agissait d’une limite franchie dans la violence qui a poussé notamment les acteurs et les gens du théâtre à entamer une grève. »
Vous souvenez-vous du moment où vous avez entendu cette rumeur ?
« Oui, j’étais tellement choquée. C’est même dans mon journal intime sous la forme exclamative : ‘ils nous tuent !’ – c’est la fin, il faut faire quelque chose. Je pense que c’est une rumeur qui a été très utile. Mais il faut souligner qu’il y avait réellement des personnes hospitalisées avec de graves blessures à la tête, qui avaient pu être en danger de mort, donc c’était une chose très possible. »
C’était une fake news quand même, comme on dit aujourd’hui…
« C’était une fake news, oui, et c’est sûr que cela a beaucoup aidé à ce moment-là. »
Les jours qui ont suivi ont-ils également pour vous difficile à vous remémorer ?
« Oui, tout était un peu vague, mais j’ai fait un travail sur ma mémoire et des choses ont ressurgi… »
Vous rappelez-vous par exemple Marta Kubišová chantant ?
« Oh oui, c’était très émouvant. Je peux même vous dire que c’était le mardi (21 novembre, ndlr), la première grande manifestation sur la place Venceslas, avec Václav Havel qui a pris la parole puis avec Kubišová qui a chanté la Prière pour Marta, chanson emblématique qu’on avait écoutée en douce pendant toutes les années précédentes. »
Votre mère Eda Kriseová est devenue très vite la porte-parole de Václav Havel au Forum civique. Vous avez des souvenirs de tout ça ?
« Oui, j’avais rencontré Havel avant. Je suis allée plusieurs fois au Forum civique, où il était évidemment très occupé. Ma mère aidait à préparer les discours et faisait le lien avec la presse étrangère car elle parlait plusieurs langues. Ensuite, il l’a emmenée avec lui au Château quand il est devenu président. Elle a été sa conseillère et son rôle était de faire l’interface et de recevoir les gens qui venaient personnellement se plaindre, après ces quarante années de blessures. »Quels souvenirs avez-vous de Václav Havel ?
« C’était quelqu’un de très doux. Je l’ai rencontré bien après aussi, quand je travaillais déjà pour l’hebdomadaire Respekt. C’était après la première de sa pièce de théâtre Odcházení et il n’avait pas changé après toutes ces années. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Un homme doux, un peu timide, très poli. Cela me fait penser à une anecdote sur Kafka, qui avait apparemment un ami aveugle, Oskar Baum, auquel il faisait toujours un signe de salut même s’il ne pouvait pas le voir. Havel avait ces manières de politesse, il ne voulait jamais blesser personne. »
Quels souvenirs votre mère a-t-elle partagés avec vous pour l’écriture de votre livre « Máme holý ruce » (« Nous avons les mains nues ») qui sort le mois prochain ?
« Pas beaucoup en fait. J’ai plus consulté ma sœur, qui a cinq ans de plus que moi et qui se souvient plus. Mes parents n’étaient pas là, ils ont disparu pendant la révolution, le foyer était vide, il n’y avait rien à manger ! (Rires) Tout le monde a fait la révolution dans son coin. »
C’est ça le souvenir de la révolution : un frigo vide ?!
« Oui ça aussi – un foyer vide. »
La grève que vous avez organisée dans votre lycée – c’est un grand moment pour vous ?
« Pas vraiment, mais j’étais responsable avec un petit groupe de lycéens, nous étions réunis dans le gymnase et il fallait organiser un programme quotidien pour toute l’école. Cela a duré une semaine – on n’aurait pas pu tenir plus, c’était difficile de trouver quoi faire pour tout le monde. Nous avions parfois des invités, des discussions, nous lisions les déclarations. Je me souviens d’un soir à la maison où je me creusais vraiment la tête pour savoir quoi organiser le lendemain ! »