1989 et moi et moi et moi – Gabina Fárová : « Notre objectif était de multiplier et diffuser les images de novembre 1989 pour informer le reste du pays »

Gábina Fárová, photo: Archives de Radio Prague Int.

La fin de l’année approche, une année anniversaire puisque la Tchéquie commémorait le 30e anniversaire de la révolution de Velours. Avec cette fin d’année, notre série dédiée à ceux qui ont vécu ces événements au plus près s’achève peu à peu. Aujourd’hui, rencontre avec la photographe tchèque Gabina Fárová qui, en tant qu’étudiante, a participé à la révolution de Velours depuis les locaux de l’école de cinéma de Prague, la FAMU.

Gabina Fárová,  photo: Archives de Radio Prague Int.

Gabina Fárová, bonjour. Nous avions eu l’occasion de parler de votre travail de photographe il y a pas mal d’années, en 2008. Nous vous accueillons cette fois dans nos studios pour convoquer vos souvenirs de l’année 1989. En cette année décisive pour la Tchéquie, puisqu’elle a conduit à la chute du régime communiste en novembre, vous étiez étudiante en photographie à la FAMU, la célèbre école de cinéma de Prague. Outre le fait d’y consacrer vos études, la photographie était-elle déjà à l’époque indissociable de votre vie ?

« En effet, la révolution de Velours est, depuis quelques mois, le sujet le plus important… Oui, la photographie a, depuis toujours, fait partie intégrante de ma vie. Vraiment. Je vivais dans un milieu de photographes, je les fréquentais. Et le temps de mes études à la FAMU a été le plus puissant : au moment de la révolution de Velours, ni la télévision, ni la presse ne couvraient les événements. Il n’y avait donc pas du tout d’informations sur ce qui se passait sur l’avenue Nationale (Národní třída). Or nous étions une école qui travaillait avec le matériel visuel… »

Vous étiez à la pointe d’une certaine façon. Vous aviez le matériel : le papier photo, de quoi développer les photos, de quoi filmer…

« Exactement. Donc, après les événements du 17 novembre, nous nous sommes dit qu’il fallait absolument multiplier et diffuser les images qu’on avait récupérées pendant cette soirée du 17. On s’est mis au travail, comme d’ailleurs tous les autres départements : la caméra, le documentaire etc. Nous avons tous travaillé ensemble, collaboré, afin de montrer aux gens ce qui se passait. En effet, en dehors de Prague, ce n’était pas évident d'avoir des informations… »

Photo:  Bedřich Kaas,  ČRo

Cela signifiait donc diffuser des images… Aujourd’hui, nous sommes habitués à une information qui circule en temps réel, des photos et des vidéos consultables à tout moment dans nos téléphones portables. Mais à l’époque, ce n’était évidemment pas le cas, a fortiori dans un régime totalitaire. Cela signifiait donc diffuser les images hors de Prague, mais peut-être aussi à l’étranger ?

« Oui, aussi. Mais notre intérêt premier était d’informer les Tchèques pour faire tomber le régime. Les gens n’étaient pas forcément tous convaincus à l’époque… »

Concrètement, comment ces images se sont-elles diffusées en province ?

« Les étudiants de la FAMU ont décidé de rester dans l’école et de se concentrer sur la multiplication des documents. A partir du 17 novembre, on a tous occupé la FAMU. On diffusait les documents et en même temps, il y avait des gens qui venaient les récupérer et les distribuer dans d’autres villes du pays. »

FAMU | Photo: Petr Vilgus,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0
Vous avez commencé vos études en 1986, trois ans avec la révolution. Quelle était l’atmosphère dans cette institution avant 1989 ? Est-ce que faire ses études à la FAMU, cela voulait dire être plus libre que dans une autre école ?

« C’était la seule possibilité d’obtenir un diplôme de photographe. La FAMU était bien vue, et en même temps, elle était en effet, très libre. »

Y avait-il des professeurs pro-régime ? Ou les professeurs étaient-ils en accord avec les aspirations à la liberté des étudiants ?

« Le recteur, Ilja Bojanovský, était assez puissant pour nous défendre à l’époque de la révolution de Velours. Sinon, les professeurs étaient très libres… »

Outre des photos, il y a aussi eu des images filmées pendant la révolution de Velours. La FAMU a même lancé des émissions étudiantes, Studentské vysílání. J’ai été étonnée de découvrir qu’elles ont même été diffusées à l’époque à la Télévision tchécoslovaque, puisque celle-ci était dépendante du régime. Comment cela s’est-il produit ?

« C’est une question qu’il faudrait plutôt poser à ceux qui étudiaient à l’époque la réalisation. Pour ma part, j’étais plutôt concentrée sur la photo et leur diffusion. En même temps, on a créé une sorte de coopérative qui s’appelait Nezávislá studentská agentura RADOST ; en français : l’Agence étudiante indépendante appelée Joie. »

Y avait-il une communication entre les étudiants et les cercles de dissidents comme Václav Havel ?

« Je n’ai pas vraiment de point de comparaison, parce que je communiquais normalement et régulièrement avec Václav Havel. Il faisait partie de la famille en quelque sorte. »

Est-ce que vous savez s’il y avait une coordination entre le cercle des dissidents et les étudiants pendant les événements ?

« Oui, on communiquait. L’idée de la grève est d’ailleurs venue d’un acteur. Tout communiquait, oui. Tout s’est ouvert le 17, et on parlait des choses. Mais tout est aussi allé très vite. Et puis, dès qu’on s’est ouverts au monde, des choses ont commencé à affluer de partout : on recevait des pellicules de film venues d’Allemagne de l’Est, un ordinateur etc. »

Y avait-il des contacts et des échanges entre ce noyau de la FAMU, dédié à la photo, et l’étranger ? Y avait-il des agences intéressées par ces photographies de novembre 1989 ?

Le film documentaire 'Sametová FAMU',  photo: DOK Revue
« L’Agence VU nous a proposé de nous prêter une grande exposition consacrée aux récents événements de la place Tienanmen en Chine. Mais on nous a aussi proposé de coopérer, comme une vraie agence photo, donc de faire des photographies sur commande et de les expédier en France. »

D’une agence indépendante étudiante, vous êtes devenus une agence quasi professionnelle immédiatement, adoubés par l’agence VU.

« Voilà. C’était un véritable événement pour nous. Nous sommes devenus une vraie agence, à côté de la ČTK qui, jusqu’alors, était la seule à exister dans le pays. »

La ČTK, qui est l’Agence de presse tchèque, auparavant tchécoslovaque, un équivalent de l’AFP. Elle a traversé toutes les périodes puisqu’on vient de fêter son centenaire. Et elle était aussi l’agence officielle sous le régime communiste…

« Oui, c’est cela. Nous sommes donc devenus une vraie agence. Les garçons, mes autres collègues, voulaient aussi qu’elle ait le statut de maison d’édition, pour pouvoir publier un magazine dédié à la photo. Il s’appelait Post, et il y a eu six numéros. Justement, le premier était consacré aux événements de novembre 1989. »

Est-ce que cela veut dire que l’agence VU a récupéré une partie des images des événements de 1989, faites par des photographes tchèques ?

« Non. Avec l’agence VU on a établi un régime de photos à la commande. Tout ce qui a suivi les événements de novembre 1989 a fait l’objet d’une commande spécifique. Il y a eu par exemple le départ des troupes soviétiques du pays, puis, la séparation de la Tchécoslovaquie, et aussi le moment où a été démantelé le rideau de fer. »