« -Ová » or not « -ová », les femmes en République tchèque pourront-elles porter un nom de famille sans le féminiser ?
Féminiser les noms de famille en y ajoutant le suffixe « -ová » ou la terminaison « -á », conformément à la loi et aux règles de la langue tchèque, est-il encore un usage adapté à l’évolution de la place et du statut de la femme dans la société ? C’est là une question que politiques, linguistes ou encore journalistes – sans oublier bien évidemment les femmes, premières concernées – se posent depuis plusieurs années déjà et qui refait régulièrement débat en République tchèque. Un « serpent de mer » en quelque sorte, comme le rappelle le projet d’amendement à la loi que le Parti pirate entend présenter prochainement à la Chambre des députés.
« Nous avions prévu de partir vivre à l’étranger et il nous semblait alors évident que le fait que nous ayons tous le même nom, et donc que je ne porte pas le nom de mon mari dans sa version féminisée, était plus pratique. »
Bien que ce cas de figure soit de plus en plus fréquent, et bien qu’il soit de moins en moins inhabituel de voir une femme tchèque porter un nom n’ayant pas été féminisé, l’exemple de Veronika Horváth reste minoritaire en République tchèque. Aujourd’hui encore, la majorité des filles et femmes tchèques portent un nom de famille avec à son bout le suffixe « -ová » ou la terminaison « á », et ce qu’il s’agisse du nom de leurs parents dont elles ont automatiquement hérité au moment de leur naissance ou de celui qui leur a été « donné » par leur mari.
Dans un entretien que le sociologue Michal Uhl, partisan du droit des femmes de ne pas porter le suffixe « -ová », avait accordé à Radio Prague il y a quelques années de cela, il avait partagé cette anecdote démontrant parfaitement les difficultés que peut poser cette pratique à l’étranger :
« Une fois, mon père, qui s’appelle Petr Uhl, s’est rendu en France, à Strasbourg, où ma sœur, Saša Uhlová, passait son bac. Mon père a rencontré le directeur du lycée, ils ont discuté un moment ensemble, puis au moment de se quitter, le directeur a tendu la main à mon père en lui disant ‘au revoir, monsieur Uhlová’. »Lundi dernier, dans le cadre de l’examen d’un projet d’amendement à la loi relative à l’état civil, le gouvernement a rejeté la possibilité que cette obligation consistant à féminiser les noms de famille soit supprimée à l’avenir. Le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’il « ne voyait pas de raisons objectives » à un tel changement et expliqué que cette féminisation des noms constituait « un trait caractéristique du système grammatical tchèque ». Un point sur lequel il est rejoint par la majorité des linguistes. Toutefois, le ministre a également admis que chacun devrait pouvoir disposer du droit de s’appeler comme il l’entend et qu’il était ouvert à la discussion. Entendons par là que les femmes devraient pouvoir choisir elles-mêmes si elles féminisent ou nom leur nom de famille.
Prochainement, le Parti pirate présentera au Parlement un projet allant dans ce sens. Le député Ondřej Profant explique pourquoi :
« Nous pensons qu’il n’est pas juste que l’Etat contraigne les femmes auxquelles la féminisation de leur nom de famille pose problème, à mentir. C’est une pratique qui est devenue très courante. »Pour de nombreux couples tchèques composés d’un homme et d’une femme mariés vivant à l’étranger, le fait de ne pas porter le même nom est parfois source d’ennuis et de malentendus. Comment en effet expliquer par exemple à un employé de l’administration dans un pays où on ne parle pas de langue slave que monsieur Novák et madame Nováková portent exactement le même nom de famille et sont bien tous les deux – de facto - monsieur et madame Novák ? Logiquement, un étranger peut se demander comment Novák et Nováková peuvent être le même nom, alors que sur les cartes d’identité ou les passeports des deux personnes concernées figurent noir sur blanc deux noms aux formes différentes.
Depuis quelques années, un paragraphe de la loi sur l’état-civil indique néanmoins très précisément les cas de figure dans lesquels une femme n’est pas forcément tenue de « tchéquiser » le nom de famille de son mari, c’est-à-dire d’y ajouter ce fameux suffixe le féminisant. Pour cela, il faut que la femme fasse la demande avant le mariage, sans quoi le « -ová » est automatiquement ajouté par l’administration tchèque. Voici donc les quatre cas de figure en question mentionnés par la législation tchèque qui permettent à une femme de formuler une demande pour qu’elle puisse porter le nom de son mari sans que celui-ci soit modifié :
Premièrement, si la femme qui se marie sur le territoire tchèque est une étrangère. Deuxièmement, s’il s’agit d’une femme de nationalité tchèque qui possède ou possèdera un permis de séjour permanent dans un pays étranger. Troisièmement, s’il s’agit d’une femme tchèque dont le mari est un étranger. Et enfin, quatrièmement, s’il s’agit d’une citoyenne qui est d’une nationalité autre que la nationalité tchèque.Dans tous les autres cas, le nom de famille doit donc être féminisé. Précision importante toutefois : lors de l’inscription à l’état-civil d’un enfant de sexe féminin, les parents, même s’ils sont étrangers, doivent faire une demande s’ils souhaitent que leur fille porte le même nom qu’eux, c’est-à-dire sans le « -ová ».
Reste quand même encore un élément important à préciser et qui pourra nous servir de conclusion : l’Institut de la langue tchèque de l’Académie des sciences, référence en matière de recherche sur la langue tchèque contemporaine et sur son évolution depuis le Moyen-Âge, recommande la « féminisation » des noms de famille. L’Institut justifie sa recommandation en expliquant simplement que l’emploi du suffixe « -ová » permet de distinguer clairement si la personne dont il est question est un homme ou une femme.