Simone Bilesová ou Biles ? Les JO relancent le débat sur les noms féminisés en tchèque
Le commentateur d’une demi-finale sur le 100m papillon femme à la télévision publique tchèque n’a pas féminisé les noms des nageuses étrangères. Il n’en fallait pas plus pour relancer un débat passionné en Tchéquie.
La Tchèque Barbora Seemanová était notamment opposée dans cette course à l’Américaine Gretchen Walsh, qui détient le record du monde, ou encore à la Française Marie Wattel. Avant, pendant et après ce 100m remporté par l’Américaine, le commentateur de la TV publique tchèque n’a pas féminisé les noms étrangers et n’a donc pas appelé Walsh Walshová ni Wattel Wattelová.
« Je vais essayer de commenter sans féminiser le nom des concurrentes étrangères pour qu’on puisse proposer cette possibilité à nos téléspectateurs, pour qu’on voit si ça peut marcher en tchèque ou si c’est du n’importe quoi », avait prévenu Ondřej Zamazal avant le départ.
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Certaines très positives, notamment sur les réseaux sociaux, mais aussi des commentaires outrés de la part de nombreux téléspectateurs. En conséquence, « la règle du changement de nom s'applique toujours, c'était l'expérience d’Ondřej Zamazal, mais il va maintenant féminiser les noms comme tout le monde », a confirmé Michal Dusík, rédacteur en chef du service sportif de la Télévision publique tchèque.
Le débat pourrait faire sourire mais est tout à fait sérieux dans un pays où la féminisation des patronymes en -ová ou en -á reste la règle absolue mais où une petite révolution a permis en 2022 aux femmes de refuser cette « déclinaison genrée » de leur nom de famille.
Les Tchèques peuvent donc, elles, désormais décider d’être Novák ou Nováková, mais les ressortissantes étrangères dont on parle ou dont on écrit le nom en Tchéquie sont, sauf exceptions, mangées à la sauce tchèque. Conséquence : Simone Biles est ici Simone Bilesová !
Kamala Harrisová
Cela peut troubler les oreilles peu habituées à cette pratique et peut aussi friser l’absurde lorsque, comme dans la course sur 1500m ce mardi matin, le commentateur féminise tous les noms des demi-fondeuses sauf celui de la Tchèque, Kriistina Sasínek Mäki, née en Finlande et mariée à l’athlète Filip Sasínek sans avoir féminisé son nom…
Cependant, les temps changent et certains médias ont fait le choix de ne plus du tout transformer ces patronymes étrangers et ne plus, par exemple, analyser la campagne de Kamala Harrisová mais celle de Kamala Harris, comme dans sa version originale.
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C’est le cas de Deník N, quotidien national qui a décidé d’arrêter cette « tchéquisation » des patronymes féminins depuis le début de l’année dernière.
« Je pense que c’est un changement positif, parce que jusqu’ici certains de nos journalistes qui étaient pour cette féminisation des noms étrangers tentaient de mettre discrètement dans leur texte la forme originale du patronyme… », estimait à l’époque le rédacteur en chef adjoint de Deník N, Lukáš Werner.
Selon Pavel Štěpán, de l’Institut pour la langue tchèque, il reste préférable pour la grammaire tchèque de féminiser les patronymes étrangers, mais pas dans tous les cas :
« Même moi je ne pense pas qu’il faille le faire tout le temps et à tout prix. Si c’est un patronyme qui se termine d’une manière atypique pour la langue tchèque alors il est préférable de ne pas le féminiser. »
Un débat récurrent
Cette controverse sur la féminisation (přechylování) des noms étrangers revient à intervalles réguliers dans le débat public. En 2011, le sociologue Michal Uhl l’évoquait sur notre antenne à propos – déjà – de commentaires d’un événement sportif féminin :
« C’est un débat qui reste vif parce que la langue tchèque change. Il y a soixante-dix ans, le -ová n’était pas très utilisé quand on parlait de noms étrangers. Aujourd’hui par exemple, on parle d’Edith Piaf, pas de Piafová. Mais il faut voir aussi que les Français par exemple changent la prononciation des noms étrangers pour qu’ils soient plus conformes à la langue française. C’est la même chose, les Tchèques changent les noms pour qu’ils puissent l’utiliser dans la grammaire tchèque. Mais à mon avis cela a des limites, à savoir les limites de l’identité de la personne qui porte le nom. On peut mettre la forme -ová par exemple aux noms d’athlètes américains si on veut, mais si une Américaine vit en République tchèque et veut que son nom de famille reste sans -ová, il faut le respecter. Si une Islandaise s’appelle Jónsdóttir, il faut le respecter. »
Et Michal Uhl, qui dirige actuellement la Maison de la coopération internationale (DZS), ne croyait pas si bien dire à l’époque car, en plus de dénommer la vice-présidente des Etats-Unis Kamala Harrisová, la majorité des médias tchèques ont récemment noté l’accession à la présidence islandaise de Halla Tómasdóttirová, dont le patronyme original, Tómasdóttir (fille de Tómas), est évidemment déjà féminisé à la base, comme le veut la tradition de son île.
Pour revenir au sport, l’un des rares espoirs de médaille pour l’athlétisme tchèque n’est autre que Lurdes Gloria Manuel, qui n’a pas féminisé le patronyme de son père angolais.
En revanche, les commentateurs sportifs tchèques ont toujours pour habitude de « tchéquiser » sous leur forme féminine tous les noms des championnes d’origine tchèque, à commencer par l’immense nageuse Katie Ledecky – dont le grand-père était né à Prague – qui devient Ledecká dans les médias tchèques (et slovaques). Même chose pour la cycliste belge récemment médaillée à Paris, Lotte Kopecky, que beaucoup appellent encore Kopecká à cause de ses racines tchèques.
Quant à la cycliste tchèque Julie Kopecký, dont la mère est néerlandaise, elle est aussi un cas très épineux pour tous ceux qui tiennent à accorder et décliner dans les règles de l’art (car on ne peut que difficilement décliner à l’instrumental masculin - s Kopeckým (avec Kopecký) – quand il s’agit d’une femme – la déclinaison usuelle étant s Kopeckou (avec Kopecká).
Elle est donc appelée tantôt Julie Kopecká – même dans « le Tour de Feminin », tantôt Kopecky sans accent, mais Kopecký avec accent sur le site officiel du comité olympique tchèque. Vous êtes perdu(e) ? C'est normal !
Selon une enquête en ligne sur le site de Seznam Zprávy cette semaine, sur plus de 76 000 lecteurs ayant participé plus de deux tiers ont affirmé être favorable à la fin de cette pratique de féminisation des patronymes.