Drieu la Rochelle : « On vit mieux mort que vivant dans la mémoire des amis »
Un des talents les plus brillants de la littérature française de la première moitié du XXe siècle, Pierre Drieu la Rochelle s’est gravement compromis en collaborant avec l’occupant allemand. Admiré et envié d’abord, il a été finalement proscrit et méprisé. Dans sa vie, il y avait cependant une femme qui l’aimait, qui l’aidait et qui ne l’a jamais trahi. Elle s’appelait Colette Jéramec. C’est elle et Drieu la Rochelle, son premier mari, qui sont les protagonistes du livre intitulé Colette, má drahá, vy víte, co máte udělat - Colette, ma chère, vous savez ce que vous avez à faire. Nous avons demandé à Ladislava Chateau, auteure du livre, de présenter ce roman documentaire paru aux éditions Sumbalon au micro de Radio Prague.
Le passager du train pour Weimar
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Vous avez évoqué Drieu la Rochelle déjà dans votre livre Train pour Weimar, maintenant vous lui consacrez tout un livre ainsi qu’à sa femme Colette. D'où vient votre intérêt pour cet écrivain et ses proches ?
« Oui. C’est vrai, dans Train pour Weimar je me suis rendu compte que l’histoire de Drieu et de sa première femme Colette Jéramec évoquait une tragédie grecque. De plus, après la parution du Train pour Weimar j’ai fait la connaissance du professeur Gil Tchernia, fils du troisième mariage de Colette. Il m’a accordé une grande interview. Nous avons abordé beaucoup de questions concernant la vie de sa mère et sur l’époque – disons – des années noires. Cette histoire, ces personnages, leurs destins, tout ce qu’ils ont vécu – je peux dire – m’ont fascinée et me fascinent toujours. »
Quelle a été la vie de Drieu la Rochelle et que nous dit son destin tragique de l'époque et de la situation historique dans laquelle il a vécu?
« Drieu était prédisposé pour une vie tragique : ses parents s’entendent mal, les querelles de famille accompagnent son enfance. Son enfance est partagée entre les pleurs, les cris, les disputes, la tristesse. Le petit garçon Pierre Drieu se sent toujours accusé, coupable de quelque chose. A 7 ans, il a déjà retourné son couteau contre lui-même ; c’était sa première tentative de suicide. De cette époque date sa fascination pour la mort volontaire. Ceci se reflète dans son œuvre, surtout dans État civil (1921) et Rêveuse bourgeoisie (1937), où il raconte l’histoire de son enfance, de ses parents et de ses grands-parents.
Après c’est son service militaire, la Grande Guerre, la bataille de Charleroi avec la mort de son ami André Jéramec, le frère de Colette. Ensuite, en 1934 lors d’un voyage à Berlin, il fait la connaissance d’Otto Abetz, le futur ambassadeur du Reich à Paris pendant l’Occupation... Deux années après, en 1936, Drieu adhère au Parti Populaire Français, le P. P. F. de Jacques Doriot... Sa faute cardinale est d’avoir pris, en 1940, la direction de la Nouvelle Revue Française, la N. R. F. Après cela, on peut dire qu’il a commis faute sur faute par exemple avec son voyage officiel en Allemagne à Weimar, que j’ai déjà évoqué dans mon livre Train pour Weimar. »Amante, épouse, mécène et samaritaine
Dans votre roman vous partagez votre attention entre Drieu la Rochelle et Colette Jéramec, sa première femme. Leur mariage a été relativement court, il n'a duré que quatre ans. Drieu s'est remarié par la suite et plusieurs autres femmes ont joué des rôles importants dans sa vie. Pourquoi avez-vous choisi justement Colette ? Qu'est-ce qu'il y avait d'exceptionnel dans la personnalité de cette femme?
« Colette est d’origine juive, or Drieu sympathise avec les fascistes, avec l’antisémitisme... Colette vient de la grande bourgeoisie juive, d’une famille très riche. Elle a joué un rôle très important dans sa vie, elle l’a aidé à publier ses œuvres, souvent elle les a subventionnées, surtout au début. Mais Drieu a écrit sa biographie Gilles (1939), remplie de connotations antisémites. Mais malgré tout Colette et Drieu s’aiment toujours ; ils restent très proches, malgré leurs nouveaux amants, leurs mariages etc. Ils ne se séparent jamais, ils restent inséparables jusqu’à la mort – le suicide de Drieu. C’est un drame qui m´a touchée, comme je l’ai déjà dit. En plus, ici, il y avait un témoin, monsieur Tchernia, et j’ai aussi pris contact avec Brigitte Drieu La Rochelle, l’épouse du frère de Pierre Drieu, qui, elle aussi, a bien connu Colette... Et enfin, il y a eu l’édition de la correspondance entre Drieu et Colette, c’est une lecture fascinante. »Sauvée de l’enfer de Drancy
Drieu et Colette se sont séparés. Mariés en 1917, ils ont divorcé en 1921 mais leur vie et leurs destins sont restés profondément liés, comme si la séparation définitive n'était pas possible. Comment leurs rapports ont-ils évolué ?
« C’est vrai – ils ont divorcé, mais, comme je l’ai déjà dit, ils ne se sont pas quittés. Drieu donne périodiquement à Colette de ses nouvelles. Elle aussi. Juste avant la guerre, surtout pendant la maternité de Colette, quand elle a été très occupée par ses enfants, leurs contacts étaient plus rares. Cela s’explique. Evidemment, Colette ne pouvait pas être enchantée – disons – par les activités de son premier mari, sa collaboration était gênante pour tout le monde, surtout pour leurs amis. Mais tout change au printemps 1943, Colette et ses deux fils sont arrêtés par la police française et la gestapo et ils sont brutalement déportés au camp d’internement de Drancy. Drieu se mobilise, il contacte toutes ses relations allemandes, tous ses contacts politiques. Après trois mois, il réussit quelque chose d’extraordinaire, il réussit à faire libérer Colette et ses deux enfants.Deux ans après, au moment de la libération de Paris en août 1944, Drieu absorbe une dose de Luminal. Prévenue, Colette le retrouve inconscient mais vivant. Elle organise alors une chaîne de solidarité qui va lui permettre d’éviter son arrestation. Elle le cache chez des amis médecins, dans sa ferme de Chartrettes, puis dans son cabinet médical et puis encore dans sa maison située rue Saint-Ferdinand à Paris... Le 15 mars 1945, les journaux annoncent un mandat d’arrêt contre lui – ce jour-là, le soir, Drieu écrit deux messages, l’un pour sa cuisinière Gabrielle : ‘Gabrielle, laissez- moi dormir cette fois.’ Et encore un message adressé à Colette : ‘Colette, ma chère, vous savez ce que vous avez à faire, mettez mes manuscrits à l’abri.’ Ensuite, Drieu se suicide en avalant quelques tubes de somnifère. Il est mort le 16 mars 1945. »
Comment Colette Jéramec, qui est femme de science, chercheuse à l'Institut Pasteur, voit-elle la vie de Drieu ? Que pense-t-elle notamment de sa carrière littéraire, de ses activités publiques et de sa collaboration avec l'occupant allemand ?« Colette Jéramec-Tchernia a été une femme très discrète. Elle a aimé Drieu jusqu’à la dernière seconde de sa vie. Elle n’a jamais trop parlé de Drieu dans la presse, elle a donné une, deux interviews, pas plus. Colette n’a jamais critiqué l’attitude de Drieu pendant la guerre. Elle souhaitait seulement que sa correspondance avec lui soit publiée. C’est clair, Drieu lui a fait beaucoup de mal, mais il l’a sauvée avec ses enfants de l’enfer, de Drancy. De plus, Drieu avait été le grand ami de son frère André, mort pour la France au début de la Grande Guerre. Et c’est – peut-être aussi – la raison principale pour laquelle Colette a toujours tenté de le comprendre. Malgré tout... »
Drieu, un collabo pas comme les autres
Peut-on parler, dans le cas de Drieu la Rochelle, d'une véritable collaboration ?
« Bien sûr. Drieu n’a pas hésité à écrire pour Je suis partout dirigé par Robert Brasillach, un hebdomadaire hyper-collaborationniste. Drieu participe chaque fois au congrès de Weimar dirigé et organisé par Goebbels... Mais c’est une chose compliquée chez lui, d’abord il a toujours hésité entre le communiste et le fascisme... Il s’est jeté dans le fascisme comme on se jette dans le sport, comme dans une histoire d’amour...Même son antisémitisme est compliqué. Drieu se sentait très bien dans le milieu juif parisien, très à l’aise, par son goût du bavardage et des mondanités ; en plus il était un écrivain chez Gallimard, sa femme était cultivée et très riche, etc. Ce milieu l’admirait. Mais par contre, Drieu se sentait extrêmement faible et il rêvait d’être un Viking, comme le dit le journaliste Frédéric Grover. Je suis d’accord avec cela. Je pense aussi que l’antisémitisme de Drieu était son affaire personnelle, sa façon de se détester – une forme de haine de soi. Cela se retrouve surtout dans ses derniers livres Mémoires de Dirk Raspe et Récit secret, qui sont ses pensées testamentaires, écrites juste avant sa mort. »
Dans quelles sources avez-vous puisé les informations et les documents nécessaires pour écrire ce roman?
« Les sources les plus importantes ont été les entretiens avec le professeur Gil Tchernia, le fils de Colette, l’entretien avec Brigitte Drieu La Rochelle, la belle-sœur de Colette, les archives du Mémorial de la Shoah de Paris et le Mémorial de la Shoah de Drancy, ainsi que les journaux de l’époque, les journaux de la collaboration (la N.R.F., Je suis partout, La Gerbe, La Chronique de Paris, etc...) et les livres, surtout la Correspondance avec André et Colette Jéramec de Pierre Drieu La Rochelle présentée par Gil Tchernia. Il faut dire que mon mari Pascal m’a aussi beaucoup aidée. »Vous osez insérer dans le texte tchèque beaucoup de mots français parfois même sans les traduire. C'est assez discutable au niveau du style. Ne craignez-vous pas par exemple de gêner les lecteurs qui ne parlent pas français ?
« Non, pas du tout. J’ai laissé les mots français qui sont très, très facilement compréhensibles : cela évoque une certaine atmosphère. Je trouvais ridicule de traduire « Journal », « maman », « mademoiselle » et « beaux quartiers ». Si vraiment quelqu’un a besoin de traduire ces mots, alors ce lecteur n’achètera jamais mon livre pour la bonne raison qu’il sera indifférent à l’histoire et la culture françaises... »
Je sais bien qu’on vit mieux mort que vivant dans la mémoire des amis
Dans votre roman vous cherchez évidement à comprendre et à élucider les motifs des actes de Drieu. Et on dirait qu'il éveille en vous malgré tout, malgré tous les traits problématiques de son caractère, une certaine sympathie. Peut-on comprendre cet homme extrêmement compliqué, peut-on avoir de la sympathie pour Drieu la Rochelle ?
« Pierre Drieu La Rochelle aurait pu se sauver, fuir à Genève, il aurait pu aussi rejoindre la brigade de son ami André Malraux en Alsace-Lorraine. Mais il a décidé autrement – il est resté à Paris. Pendant l’Occupation, il a aidé beaucoup de gens, il a aidé André Malraux, surtout sa femme d’origine juive, il a sauvé Jean Paulhan poursuivi par la gestapo, il a aidé beaucoup d’autres personnes. Drieu ne s’est jamais engagé totalement en politique, la place centrale de sa vie c’étaient plutôt les femmes, l’amour, le sport et la littérature... En plus, son profond narcissisme, variante de sa pulsion suicidaire, le pousse vers une voie politique sans issue et l'idée qu'il se fait de l'intellectuel l'oblige à assumer entièrement les conséquences de ses engagements néfastes - d'où son suicide. Je crois que son suicide s’explique en grande partie par cela.Son meilleur livre, c’est Le Feu follet où il a écrit :
‘Je me tue parce que vous ne m’avez pas aimé. Je sais bien qu’on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis. Vous ne pensiez pas à moi, vous ne m’oublierez jamais !’
Dans mon livre j’ai seulement voulu que Colette, sa femme, sorte de son ombre, l’ombre de Drieu – j’ai voulu aussi que leur drame, leur tragédie ne soient pas ensevelis sous le poids du passé. Est-ce de la sympathie ? Oui, mais c’est une sympathie bien critique, n’est-ce pas ? En plus, on sait bien que la sympathie, l’amitié, même l´amour peuvent exister sans compréhension. L’amitié, l’amour incompréhensibles existent... »