Feu vert au retour de la colonne mariale sur la place de la Vieille-Ville
Une colonne mariale haute de 15 mètres qui ornait du milieu du XVIIe siècle à 1918 la place de la Vielle-Ville de Prague devrait à nouveau dominer cette place historique. La mairie de Prague, après plusieurs années d’opposition, vient de donner son feu vert à l’installation de la copie de la colonne baroque sur le lieu où elle se trouvait à l’origine.
L’auteur de la colonne, le sculpteur baroque Jiří Bendl, s’est inspiré de la première colonne de ce genre au nord des Alpes, la Mariensäule, élevée en 1638 à Munich. En tant qu’une des premières constructions baroques à Prague, la colonne a été abattue le 3 novembre 1918 par un groupe d’anarchistes qui la considérait comme un symbole du pouvoir des Habsbourg et de la défaite des Etats tchèques protestants face à la Ligue catholique à la Montagne blanche.
L’Association pour le renouveau de la colonne qui a vu le jour en 1990 a confié les travaux sur le renouveau du monument à l’atelier de sculpteurs et tailleurs de pierre de Petr Váňa. Aujourd’hui, la copie de la colonne est près d’être achevée. Sans aucune certitude quant au retour de la colonne sur son lieu d’origine, le sculpteur Petr Váňa a toutefois travaillé gratuitement pendant quinze ans sur son œuvre :« La dernière chose qui reste à terminer, ce sont les fondations de la colonne formées par un tas de pierres, c’est exactement 24 pierres taillées. »
Depuis 1996 où il a commencé les travaux, Petr Váňa a terminé la balustrade, l’escalier et la tige de la colonne de 6 mètres de hauteur pour laquelle il a fallu importer le matériau convenable, du grès, extrait d’une carrière près de New Delhi, en Inde. Le bateau des frères Forman a aidé à transporter le bloc à Prague. En attendant l’assemblage de la colonne, la tige a été déposée dans le jardin du couvent des Borroméennes, à Petřín. La première partie terminée - la statue de la Vierge immaculée, provisoirement installée près de Notre-Dame-de-Týn, a été consacrée le 3 novembre 2003 par le cardinal Miloslav Vlk. Petr Váňa se félicite de ce que quelques fragments originaux de la colonne déboulonnée se soient conservées au musée lapidaire de Prague :« Du torse, j’ai pris des moulages en plâtre pour en faire une copie en grès de la statue de la Vierge qui est à voir près de Notre-Dame-de-Týn. »
Depuis le déboulonnage de la colonne mariale, en 1918, seule la statue de Jan Hus orne la place de la Vieille-Ville. Sculptée par Ladislav Šaloun en 1915 dans le style Art Nouveau, elle a toujours été considérée comme un symbole d’indépendance nationale et de Réforme protestante. Il n’est donc guère étonnant que des opposants au retour de la colonne mariale sur cette même place commencent à parler d’un combat des symboles. Eugen Kukla de l’Association pour le renouveau de la colonne le réfute : pour lui, la colonne a toute sa place à cet endroit et elle s’y trouvait bien avant la statue de Jan Hus :« Il ne s’agit évidemment pas de choisir entre les deux, car le monument de Jan Hus a été élevé en 1915, et la colonne a été déboulonnée en 1918. »
Pour Petr Váňa, la place de la Vieille-Ville n’est pas complète sans la colonne, et le sculpteur Ladislav Šaloun en a tenu compte, en créant le monument Jan Hus : il a divisé la masse de la place de manière horizontale, en contraste justement avec le plan vertical de la colonne, pour que les deux s’équilibrent, ce qui aujourd’hui fait défaut :« La colonne mariale est une verticale claire, alors que le monument Jan Hus est une horizontale : les deux principes s’appuient l’un sur l’autre, en se complétant et en fournissant une interprétation logique de tout cet espace. »
Les deux symboles de l’histoire tchèque ont coexisté pendant trois ans côte à côte. L’écrivain Ferdinand Peroutka écrit que quelques jours après la création de la République tchécoslovaque, le 28 octobre 1918, un anarchiste du quartier praguois de Žižkov, Franta Sauer, a fait venir devant la colonne un véhicule de sapeurs pompiers. Attachée à ce dernier par des câbles, la colonne avec en haut la statue de la Vierge est tombée à terre, éclatée en plusieurs morceaux. Des habitants des maisons aux alentours ont essayé en vain d’empêcher la destruction du monument baroque : parmi eux, l’historien Václav Vilém Štěch, ou encore le comte Václav Kounic. L’Eglise catholique a réagi au déboulonnage de la colonne mariale en faisant construire douze nouvelles églises dans les nouveaux quartiers de Prague, comme les douze étoiles qui couronnent la tête de la Vierge En 1937, la première d’entre elles, l’église Notre-Dame-de-la-Paix à Lhotka a été terminée.Quel est le regard porté aujourd’hui par l’Eglise catholique sur le retour de la colonne mariale à la place de la Vieille-Ville ? Le cardinal Dominik Duka s’est exprimé sur les ondes de la Radio tchèque :
« Ceux qui ne connaissent pas l’histoire imaginent que la colonne mariale a été abattue en signe de protestation contre l’époque des ténèbres, contre l’Eglise catholique. Ceux plus informés savent bien que la colonne mariale n’a jamais représenté la victoire des catholiques après la Montagne blanche, qu’elle a été érigée plus de trente ans après cette bataille, en remerciement pour la défense de Prague contre les Suédois. Pendant des années, elle s’est dressée à cet endroit, formant un contrepoids et une communauté paisibles avec le monument voisin dédié à Jan Hus. L’intention de la mairie de Prague de faire revenir la colonne sur la place de la Vieille-Ville n’est pas un acte de réhabilitation de l’Eglise catholique, mais un acte culturel. La colonne est inséparable de cette place. En liquidant les monuments, on ne peut pas effacer l’histoire. »Après vingt années d’opposition, Bohuslav Svoboda est le premier maire de Prague à avoir donné son feu vert au retour de la colonne mariale à son emplacement d’origine. La mairie se dit également favorable à l’installation d’une réplique de la fontaine Renaissance Krocín qui ornait depuis 1591 la Vieille-Ville. Enfin, la reconstruction de la maison baroque dite de Kren, fermant la rue de Paris, est également envisagée.