Une manifestation pas comme les autres : observations et commentaires

Photo: Martina Schneibergová

Cette nouvelle revue de la presse de la semaine écoulée se penche d’abord sur les différents aspects de la grande manifestation qui s’est déroulée dimanche dernier à Prague. Un regard ensuite sur l’approche de la Tchéquie à l’égard du changement climatique, en lien avec son refus de la neutralité carbon. Quelques mots, aussi, au sujet de la polémique autour de la colonne mariale sur la place de la Vieille-Ville à Prague.

Photo: Martina Schneibergová
« Pour Andrej Babiš, l’image devait être particulièrement frustrante. Le politicien qui se plaît à répéter que son mouvement ANO est là pour tout le monde, a dû constater que pour beaucoup de gens, il ne représentait pas le sauveur universel. » C’est ce que rapportait à l’issue de la manifestation qui s’est déroulée dimanche dernier, sur l’esplanade de Letná à Prague, le quotidien Hospodářské noviny,qui a également écrit : « Pour près d’un quart de million de personnes réunies à la manifestation, le Premier ministre Babiš représente un risque, une menace, car il incarne une politique qui, au final, peut déboucher sur un modèle de gouvernance autocratique et oligarchique. Cette protestation civique, la plus puissante depuis 1989, a fait preuve d’un élan qui, dans une perspective plus longue, peut redéfinir l’orientation future de la politique tchèque. »

Le site info.cz indique que cette effervescence civique traduit la frustration de larges pans de la société tchèque. Il constate également que, visiblement, Andrej Babiš, n’est pas prêt à démissioner, d’autant qu’il est soutenu par le président Miloš Zeman et qu’il sait parfaitement surfer sur la vague des émotions de ses électeurs.... Le journal en ligne Deník Referendum a publié, toujours au sujet de la manifestation, une note prudemment critique rédigée par un de ses collaborateurs :

« Le programme des libertés civiques et des droits de l’homme est très important. Cela dit, la vision d’une justice sociale et d’un statut digne pour les travailleurs est à mon sens tout aussi importante. Cet aspect n’a pourtant pas été mis en relief lors de cette manifestation. Or, j’aurais aimé que soient défendus à parts égales, et les droits civiques et les droits sociaux ».

Selon l’hebdomadaire Respekt, « le fait que la population tchèque ait réussi à remplir toute l’esplanade de Letná en signe de protestation contre un style politique cynique s’avère incroyable. » Le tout au moment où des retombées politiques immédiates de cet événement ne sont pas à attendre pour autant. « Les participants à la manifestation de ce dimanche représentent une force dont on ne supposait pas l’existence et qui va très probablement perdurer », écrit-il également.

Le nombre impressionnant de participants se présente comme le plus grand succès de la manifestation sur l'esplanade de Letná, estime le commentateur du site Forum 24. Celui du journal Deník N a pour sa part remarqué :

« Tous ceux qui ont pris part à cette manifestation ont pu constater que les jeunes et les moins jeunes constituaient la majeure partie des manifestants. Autrement dit, l’éveil de la société civique porte des traits générationnels. Ce sont effectivement les jeunes gens qui, dit-on, ne s’intéressaient guère à la politique et aux affaires publiques qui prédominaient. Leurs initiatives dépassent celles des générations précédentes, remontant à la fin des années 1990, notamment en ce qui concerne leur ampleur et leur persistance. »

Pour le commentateur, « la partie moderne de la société qui a grandi dans un système démocratique, reprend le contrôle des affaires publiques, à la place de la partie plus âgée de la population marquée tant bien que mal par leur expérience de l’ancien régime. »

Les partis d’opposition visés, eux aussi, par les protestations ?

Andrej Babiš,  photo: ČTK/Ondřej Deml
Les protestations en cours ne sont pas dirigées seulement contre Andrej Babiš, mais elles visent aussi les partis d’opposition. C’est du moins ce qu’estime le sociologue Jan Herzmann qui a donné plus d’explications au quotidien Lidové noviny de ce mardi :

« Les manifestations lancent un double appel. D’un côté il y a Andrej Babiš qui est appelé à changer quelque chose ou, dans le meilleur des cas, à démissioner et, d’un autre côté, il y a le reste de l’échiquier politique qui est invité à agir. Pour moi, l’appel pour l’opposition est clair : ‘Allez enfin le battre’. La tension actuelle pourrait s’affaiblir avec la formation d’une opposition politique forte. Un but qui semble éloigné à cause de l’émiettement des partis d’opposition et de l’émergence de nouvelles formations. Les manifestations avertissent ainsi les politiciens d’opposition que la société n’est plus prête à leur tolérer leurs querelles mutuelles et qu’elle s’attend à une action politique sérieuse. »

Les divergences d’opinion, les animosités, un manque de volonté de collaborer. Telles sont, selon Jan Herzmann, les causes principales de cette incapacité de l’opposition à s’unifier. Or, tout en prétendant que la République tchèque est en péril, elle n’arrive pas à sortir de sa propre ombre pour y faire front. Par ailleurs, les masses qui se sont réunis dimanche dernier à sont également loin d’être politiquement homogènes, signale le sociologue.

Les chaleurs tropicales : un avertissement

Photo: ČTK/Michal Kamaryt
« Ces derniers jours, une vague de chaleurs tropicales s’est abattue sur l’Europe centrale et occidentale. 35 degrés, ce sont des températures que l’on arrive encore tant bien que mal à supporter. Mais que faire avec des températures de 40, voire 50 degrés ? », écrit l’auteur d’une note publiée sur le site aktualne.cz pour lequel un tel scénario ne révèle pas de la science-fiction et qui replace ce constat dans le contexte tchèque :

« Il est étonnant de voir que la majeure partie de la population tchèque ne semble pas préoccupée par le changement climatique, car elle croit que les chaleurs actuelles ne représentent qu’une anomalie qui, tôt ou tard, passera. On croit pouvoir revenir aux conditions météorologiques auxquelles on a été habitué. Mais de telles certitudes n’existent plus, car nous entrons dans un avenir inconnu, plein d’incertitudes. La seule certitude c’est qu’il faut immédiatement agir en diminuant radicalement l’utilisation des combustibles fossiles. Il n’existe pas de limite magique au-delà de laquelle les températures ne monteraient plus. »

Le commentateur remarque que les efforts européens, aussi insuffisants soient-ils, sont incomparables avec ceux, visiblement très modestes, déployés par la Tchéquie. Et de rappeler que la semaine dernière, elle a refusé, de concert avec la Pologne, l’Estonie et la Hongrie, le projet du Conseil européen d’atteindre la neutralité carbon dès 2050.

Polémique autour de la rénovation de la colonne mariale sur la place de la Vieille-Ville à Prague

Faut-il résintaller sur la place de la Vieille-Ville à Prague, la colonne mariale érigée en 1652 en guise de remerciement à la Vierge Marie suite à la défense de la ville contre les Suédois ? Elle fut ensuite démantelée en novembre 1918, au lendemain de la création de la République tchécoslovaque. La position des activistes catholiques avec en tête le sculpteur Petr Váňa, auteur d’une réplique de la colonne baroque, qui revendiquent sa réinstallation semble intransigeante. Leur conflit avec les conseillers municipaux de Prague qui s’y opposent est fortement médiatisé ces jours-ci. Le supplément Orientace du quotidien Lidové noviny de samedi dernier a interrogé à ce sujet Martin Vaňáč, historien et théologien, pour lequel la colonne ne représente pas un symbole de conciliation, comme ses défenseurs aiment la présenter :

« Les défenseurs acharnés de la colonne mariale passent sur la place de la Vieille-Ville jour et nuit et lancent des pétitions, prétendant qu’il s’agit d’un combat pour l’âme de la nation. Je trouve que c’est une simplification déplacée. La spiritualité d’une nation ne se manifeste pas à travers la rénovation d’un monument. Vouloir réinstaller la colonne par la force ne profite à rien et à personne. Ce qu’il faut d’abord, c’est parvenir à une concorde entre les chrétiens de diverses confessions et les personnes athées. Et c’est seulement après que l’on peut envisager, éventuellement, de réinstaller la colonne mariale appelée à symboliser cette concorde. »

Selon l’historien, c’est aussi et surtout le concept d’urbanisme de la place de la Vielle-Ville qui doit être pris en compte dans ce conflit. « D’autant plus qu’elle se trouve dans une ville profane », dit-il.