A Prague, des menaces sur l’indépendance des médias publics cristallisent les inquiétudes

Photo: Marián Vojtek, ČRo

Mercredi, les députés tchèques doivent élire deux nouveaux membres du conseil de surveillance de l’agence de presse tchèque ČTK. Début juin, un premier tour avait vu l’échec du renouvellement des deux postes vacants. Mais le deuxième tour suscite l’inquiétude en raison de la personnalité d’un des candidats proposés par le parti d’extrême-droite (SPD), connus pour ses positions ultra-conservatrices, conspirationnistes et antisémites. De manière générale la percée de personnalités controversées du même type dans les organes de surveillance des médias publics est également une source de craintes dans le milieu de la presse. Pour en parler, Radio Prague a interrogé Veronika Sedáčková, co-fondatrice du comité tchèque de l’Institut international de la presse (IPI). Cette association de défense des journalistes a émis un appel aux députés à prendre leurs responsabilités :

Veronika Sedáčková,  photo: Khalil Baalbaki,  ČRo
« Nous trouvons essentiel de savoir quel genre de personnes va siéger au conseil de surveillance de l’agence de presse ČTK. Nous estimons que ce média est très important car d’autres médias utilisent ses services d’informations et les diffusent. Il est nécessaire que le bon fonctionnement de cette agence soit contrôlé par des conseillers qui sont compétents, qui ne cèdent pas aux intérêts partisans ou autres. »

Une des craintes actuelles réside dans la candidature d’un certain Michal Semín, connu notamment pour des prises de position anti-judaïques, voire antisémites. Que peut-on craindre en cas de nomination ?

« Nous souhaitons signaler aux législateurs qui vont décider de la composition du conseil de surveillance de ČTK, que Michal Semín est un contributeur régulier de différents sites web de désinformation, qu’il a été critiqué par la Fédération des communautés juives de République tchèque. Une telle personnalité qui ne jouit d’aucune autorité publique, qui ne sait pas évaluer quelles informations sont pertinentes et lesquelles ne le sont pas, ne devrait pas être en mesure de contrôler le fonctionnement d’un média comme l’est l’agence de presse ČTK. »

Ce n’est pas le seul membre potentiel à faire l’objet de critiques. Le conseil de surveillance de ČTK compte déjà en son sein une autre personnalité controversée : Petr Žantovský est également quelqu’un qui évolue dans cette sphère des médias de désinformation…

Michal Semín,  photo: Luboš Vedral,  ČRo
« Tout à fait. Il contribue à des sites qui ne prennent pas la peine de vérifier leurs informations ou qui diffusent de fausses informations et des opinions partisanes. Nous estimons donc que le conseil de surveillance de ČTK devrait refléter les différentes forces politiques présentes au Parlement puisque ce sont les députés qui en élisent les membres. Il n’est pas possible que seuls deux partis soient représentés au conseil de surveillance. Si Michal Semín (candidat du SPD, ndlr) était élu, il s’agirait donc des partis ANO (du Premier ministre, Andrej Babiš, ndlr) et du SPD. »

Le problème ne réside-t-il pas dans le système lui-même où les membres des organes de surveillance de la ČTK, de la Télévision tchèque et de la Radio tchèque sont élus par les députés ?

« Selon moi, il serait en effet approprié de se pencher sur tout ce système d’élection et de sélection des membres des organes de surveillance des médias publics. Les médias publics sont très importants pour le maintien d’un certain niveau d’information, d’objectivité et l’existence d’un journalisme d’investigation en République tchèque. Ces derniers temps, une partie des sénateurs s’efforce d’imposer un changement où les députés ne seraient plus les seuls à participer à l’élection, mais également les sénateurs, donc les deux chambres du Parlement tchèque. Ce serait, d’après moi, une bonne initiative. »

Ce système fonctionne depuis des décennies, trente ans exactement. Mais on a le sentiment que la situation n’a jamais été aussi mauvaise qu’aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé ?

Photo: Marián Vojtek,  ČRo
« C’est probablement dû à un changement de l’approche des politiques, notamment ceux du Parlement. Il est vrai qu’il n’a jamais été vraiment possible d’y discuter d’un autre système d’élection des membres des conseils de surveillance. Mais par le passé, même quand des partis de droite ont été au pouvoir, il existait un consensus sur le fait que toutes les tendances politiques présentes au Parlement devaient être reflétées dans les organes de surveillance. On veillait à un certain équilibre des forces entre les différents partis démocratiques. »

Dans quelle mesure le conseil de surveillance d’un média public, comme l’est ČTK, peut avoir une influence sur le contenu de ce qui est produit par le média en question ?

« Je ne veux pas spéculer. Mais il est vrai que si deux partis, comme ANO et le SPD obtenaient cinq sièges au sein du conseil qui en compte sept, ils pourraient tout à fait se mettre d’accord sur, par exemple, le limogeage du directeur de l’agence et choisir d’y placer quelqu’un d’autre. Voilà le genre de craintes que l’on peut avoir. Encore une fois, ce ne sont que des spéculations, mais si l’actuel directeur était limogé et remplacé, on pourrait légitimement se demander pour quelles raisons et s’il n’y a pas des raisons politiques derrière. »

Mise à jour : Leader du parti social-démocrate membre du gouvernement de coalition avec ANO, Jan Hamáček a fait savoir que si Michal Semín était élu membre du conseil de surveillance de ČTK, rester dans la coalition gouvernementale ne ferait plus aucun sens.