« Nous pouvons craindre une oligarchisation des médias en Tchéquie »

Veronika Sedláčková, photo: Khalil Baalbaki, ČRo

Cinq journalistes de renom ont annoncé, mardi, la création du comité tchèque de l’Institut international de la presse (IPI). Alors que la scène médiatique tchèque a largement été bouleversée ces dernières années, suite notamment à l’acquisition en 2013 de MAFRA, le plus grand groupe médiatique, par l’actuel Premier ministre Andrej Babiš, que la diffusion de fake news s’est développée et que le président Miloš Zeman attaque régulièrement les journalistes, l’existence d’un tel comité prend tout son sens, selon une de ses co-fondatrices Veronika Sedláčková, journaliste à la Radio tchèque :

« L’IPI existe depuis 1950. Dans le difficile contexte du XXe siècle, cette organisation s’est efforcée de soutenir un journalisme indépendant et les journalistes qui font en sorte de diffuser des informations vérifiées et professionnelles. Elle fonctionne dans les pays où la liberté d’expression n’est pas forcément une évidence et où les journalistes ont besoin du soutien international de leurs collègues. L’IPI rassemble notamment les rédacteurs en chef de médias importants et de grands noms de la presse, en un mot des gens qui sont les porteurs d’un journalisme de qualité. »

Cela signifie-t-il, selon vous, que la liberté de la presse n’est pas une évidence en République tchèque ?

« Avec mes collègues, nous sommes convaincus que la liberté d’expression existe en République tchèque, qu’il y a des journalistes de qualité et des gens qui font tout pour pratiquer un journalisme de qualité et professionnel. Mais nous savons aussi que ce n’est pas une évidence. Il suffit de regarder autour de nous, ce qui se passe en Hongrie et en Pologne. Ces pays sont beaucoup trop proches pour que l’on puisse penser que les attaques contre les médias et leur indépendance ne nous concernent pas. Nous pensons qu’il est bien que les journalistes s’associent, pas uniquement pour défendre la liberté d’expression mais aussi pour définir ce qu’est un journalisme de qualité et professionnel, pour que la profession connaisse une forme de renaissance. »

Quels seront le travail et la vocation de ce comité tchèque ?

Veronika Sedláčková,  photo: Khalil Baalbaki,  ČRo
« Il ne s’agira pas uniquement de moi et des quatre autres personnes qui avons fondé ce comité. Nous avons sollicité une vingtaine de personnes qui, selon moi, représentent la crème des journalistes en République tchèque. Nous verrons comment ils répondront à notre invitation. Nous voulons observer ce qui se passe en République tchèque sur la scène médiatique et, si cela est nécessaire, être disponibles si un collègue a besoin d’aide, d’un conseil… Nous voulons être présents dans les situations où définir ce qu’est le journalisme professionnel sera nécessaire. Puisqu’une forte propagande russe se diffuse en République tchèque grâce à internet et que les gens ne font plus la différence entre une information vérifiée et une fausse information, il est important de mettre en lumière ces choses-là. Ce travail peut donc être très divers et nous n’en sommes qu’au tout début. »

Comment décririez-vous la situation des médias en République tchèque ? L’an dernier, la République tchèque a chuté de onze places au classement international de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse…

Andrej Babiš,  photo: ČTK / Martin Mikula
« Premièrement, je pense que le journalisme tchèque n’a pas réussi à sortir de la crise dans laquelle il se trouve depuis la crise financière mondiale de 2008. Les rédactions ont à l’époque drastiquement réduit leurs effectifs. Cela a forcément eu des conséquences sur le fonctionnement des médias, surtout dans les cas où celui-ci reposait essentiellement sur le travail de ces journalistes licenciés. Deuxième chose : nous sommes dans une situation sans précédent de conflit d’intérêts. Cette situation arrange l’un des hommes politiques les plus importants à l’heure actuelle, le Premier ministre Andrej Babiš qui, en 2013, a racheté un des plus grands groupes de médias, Mafra. Cela a beaucoup changé la situation du journalisme en République tchèque. Andrej Babiš nie tout conflit d’intérêts, alors que la Commission européenne elle-même s’intéresse au problème. Je pense que pour ces deux raisons, nous pouvons craindre une oligarchisation des médias. Les médias vont de plus en plus se retrouver entre les mains de personnes qui veulent s’en servir pour défendre leurs intérêts. C’est pour cela qu’il faut défendre les journalistes et leur travail, ainsi que leur indépendance. »

En réaction au rachat par Andrej Babiš du groupe Mafra, de nombreux journalistes ont quitté les deux quotidiens qu’il publie : Mláda fronta Dnes et Lidové noviny. Ces journalistes ont créé de nouveaux médias qui se veulent des sentinelles de la liberté de la presse. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

« Je pense que c’est une excellente nouvelle. Cela veut dire qu’il y a encore beaucoup de gens qui n’ont pas renoncé à leur profession de journaliste et s’efforcent de continuer à exercer leur métier ailleurs. Ces nouvelles sources de journalisme me donnent de l’espoir. La question qui reste est de savoir s’il est opportun que des quotidiens aussi influents restent entre les mains d’Andrej Babiš s’il est en effet démontré qu’il influence bel et bien ses médias et contribue ainsi au déséquilibre de la scène politique tchèque ? »