« Most ! », une série télévisée à succès qui se moque du racisme tchèque
Il ne s’agit pas d’une adaptation tchèque de la fameuse série policière suédo-danoise The Bridge et pourtant, la série « Most ! » (Pont ! en français) bat tous les records d’audience depuis la diffusion de son premier épisode, début janvier, sur la télévision publique. « Most ! » est un feuilleton comique qui traite, de manière originale, des sujets sérieux tels que le racisme, la cohabitation entre Roms et non-Roms, la xénophobie ou encore la transphobie. Une œuvre atypique qui a suscité l’engouement de presque deux millions de téléspectateurs de même qu’un débat dans les médias…
« Je pense que la série ‘Most !’ a très bien saisi un trait caractéristique de l’humour tchèque, et c’est le fait de se moquer des personnes vulnérables, défavorisées. Cette moquerie peut parfois être assez méchante, » estime le critique de cinéma Vojtěch Rynda.
Ce n’est pas par hasard que la série se passe dans le cadre réel de la ville de Most, située dans le nord-ouest du pays et de son quartier périphérique de Chanov, devenu, sous le communisme déjà, un ghetto rom. Dans l’esprit de nombreux Tchèques, Most est synonyme de laideur, de misère, de criminalité, de mauvaise cohabitation des Roms avec la société majoritaire. Un synonyme aussi de l’arbitraire communiste, car sous l’ancien régime, la belle ville historique a été entièrement rasée pour faire place aux activités minières intensives d'extraction du lignite. A son emplacement, une ville moderne a été construite, une cité industrielle et sans âme, selon certains, qui accuse aujourd’hui un des taux de chômage les plus élevés du pays.
C’est donc à Most que le réalisateur Jan Prušinovský a tourné la série éponyme, écrite par le scénariste Petr Kolečko. Il s’agit du sixième projet commun des deux créateurs et comme dans le cas de leur précédente série télévisée « Trpaslík » (Le Nain, en français), le duo a adopté un ton léger pour traiter des sujets sérieux et sensibles qui font rarement l’objet d’un débat public en République tchèque, comme le constate le rédacteur en chef du magazine Forbes, Petr Šimůnek, originaire de Most :« Pour moi, la diffusion de cette série représente un moment-charnière. On ne peut plus jouer un jeu hypocrite et faire comme si le racisme caché et les problèmes sociaux n’existaient pas en Tchéquie. Les auteurs de la série le révèlent très bien. »
Victimes de leurs préjugés, de leurs craintes et de leur égoïsme, les personnages de « Most ! » vivent au jour le jour, empêtrés dans des problèmes qu’ils n’ont aucune intention de résoudre. La série présente leur existence comme un enchaînement de situations plus ou moins absurdes. Il y est question de la création d’une organisation fictive d’aide aux Roms ou encore du retour à Most du frère de l’un des personnages principaux, le transsexuel Pavel, devenu une femme. L’apparition soudaine de cette figure, dotée de charisme et de force intérieure, bouleverse les esprits et fait évoluer les mentalités.
Une parodie qui ne fait pas rire
Le succès de la série auprès des téléspectateurs, dû essentiellement à l’humour des dialogues, est quelque peu trompeur, voire paradoxal. Pour une bonne partie du public, il s’agit là d’une parodie, d’une caricature de la vie des Tchèques, mais qui en dit long sur l’état d’esprit de la population. On écoute Michal, un artiste de 50 ans qui a passé son enfance et adolescence à Most :
« J’aime le côté bizarre et grotesque de ce feuilleton. Ce que j’aime moins, c’est le fracas médiatique qui existe autour. Mais au fond, c’est une parodie qui ne me fait pas rire. Car je sais qu’elle reflète une réalité : c’est triste de voir quelle est notre attitude envers une autre ethnie, comment nous nous comportons entre nous, à Most ou dans n’importe quelle autre ville du pays. Dans cette fiction, le caractère fantôme et déroutant de ville de Most et de toute la région des Sudètes d’ailleurs, ne fait que souligner cette triste réalité. »En dépit de la variété des sujets traités, c’est la relation entre la minorité rom et la société majoritaire qui est au cœur de la série. Le scénariste Petr Kolečko dit à ce propos :
« Les personnages croient être racistes, ils acceptent cette idéologie, mais quand ils se voient obligés de communiquer avec les Tziganes, de résoudre avec eux des problèmes qui se posent, leur prétendu racisme ne fonctionne pas. Ils s’aperçoivent qu’en réalité, ils se comportent différemment. Notre série est basée sur ces paradoxes de la vie de tous les jours, où finalement les idées stéréotypées ne marchent pas. »Petr Šimůnek fait partie des journalistes pour qui la série « Most ! » mérite d’ouvrir un débat sérieux au sujet du racisme dans la société tchèque :
« La série a déjà apporté une chose positive : un Rom est apparu à la une des magazines. Cela fait vingt ou trente ans que nous n’avons pas vu cela ! Il n’y a que le groupe Gipsy.cz qui avait, à une certaine époque, ce privilège. »
Ce Rom, devenu chouchou des médias tchèque, est interprété par Zděnek Godla qui joue le rôle de Franta, le « Rom domestiqué » dans la série « Most ! ». Cet acteur déjà expérimenté avait été découvert par le réalisateur Petr Václav, au même titre que Klaudie Dudová qui apparaît elle aussi dans la série. Interrogé par la Radio tchèque, Zdeněk Godla a évoqué, pour sa part, les préjugés qui existent au sein de la communauté rom :« On m’a reproché d’avoir caricaturé et humilié les Roms dans cette série, d’avoir accepté ce rôle juste pour gagner de l’argent. Pour moi, le rôle que j’ai joué montre au contraire que nous savons rire de nous-mêmes. Mon personnage, Franta, n’est pas quelqu’un qui est tout le temps offensé comme on le voit souvent chez les Roms. J’avoue que c’était une façon agréable de gagner de l’argent, mais surtout, c’était une fois encore une expérience magnifique pour moi. »
La série « Most ! » s’achèvera lundi 25 février. Tous les épisodes sont disponibles en accès libre sur le site de la Télévision tchèque (Česká televize).