Il y a près de 50 ans, « le miracle technologique » du transfert de l’église de Most
En septembre 1975, le régime communiste tchécoslovaque entreprenait, avec succès, une opération longtemps restée inscrite dans le Livre Guinness des records : le déplacement sur près d’un kilomètre d’une église gothique. Une authentique performance technologique. Reportage (à écouter de préférence).
Aussi ancienne, belle et sacrée puisse-t-elle être, quelle est la valeur d’une église dès lors que quelque deux millions de tonnes de lignite de qualité gisent dans son sous-sol ? Telle est la question que le régime communiste tchécoslovque a été contraint de se poser lorsque, en 1964, il décida de raser l’ancienne ville de Most pour laisser place à d’immenses mines à ciel ouvert.
Cité historique de la Bohême, à 90 kilomètres au nord-ouest de Prague, dans la région frontalière des Sudètes, majoritairement germanophone jusqu’à l’expulsion des Allemands du terrioire de l’ancienne Tchécoslovaquie après la guerre en 1945, Most (dont le nom signifie « pont » en tchèque) est longtemps resté une ville économiquement très prospère, avec les monts Métallifères et les hauts-plateaux de Bohême centrale à portée de vue.
Même si son apparence actuelle, conséquence des décisions politiques stratégiques prises plus tard par les dirigeants communistes, n’en laisse plus rien paraître, Most, est même l’une des plus anciennes villes de Bohême, comme en témoigne seul peut-être encore le château de Hněvín sur ses hauteurs. Aujourd’hui, cependant, seules les photos en noir et blanc jaunies par le temps montrent cette prospérité et le charme des belles façades des maisons du vieux Most.
En effet, fait rare dans l’histoire de l’urbanisme, en raison de l’extension des activités minières et du développement industriel entamé dès la seconde moitié du XIXe siècle, la décision a été prise de démolir son centre historique et de « déménager » l’ensemble de la ville de manière à pouvoir extraire les 90 millions de tonnes de charbon qui se trouvaient juste en dessous.
C’est ainsi qu’à l’aide d’explosifs, l’ensemble du cœur architectural a été rasé et qu’un nouveau Most a progressivement vu le jour, quelques kilomètres plus loin, à proximité des mines de charbon. Plus de vingt ans durant, jusqu’à pratiquement l’effondrement du régime politique, tout ou presque du passé s’est alors transformé en décombes et a été réduit en poussière.
Tout, sauf quelques très rares éléments, parmi lesquels notamment l’église de l’Assomption-de-la-Vierge-Marie, joyau gothique du XVIe siècle dont les autorités optèrent pour la sauvegarde.
« Pour les communistes, le plus important était de montrer ce dont ils étaient capables »
Comme l’explique Jiří Sirový, guide qui raconte aux touristes l’histoire du lieu, en raison du grand nombre de monuments historiques et sacrés qui étaient recensés à Most, la première intention avait toutefois d’abord été de préserver le centre-ville.
« L’idée a finalement été abandonnée et la décision a alors été prise de ne conserver que cette église et quelques autres sanctuaires. Mais au fil des travaux, différents problèmes sont apparus et c’est pourquoi seule cette église a été conservée. Ceci dit, même dans son cas, il a été envisagé pendant un certain temps de n’en garder que quelques éléments avant de la démolir. Heureusement, les choses ne se sont pas passées ainsi. »
Pour sauvegarder l’église, la première intention aurait été de la laisser sur son emplacement d’origine, se dressant alors sur un pilier de charbon ou sur une énorme colonne qui aurait été constituée par un remblai autour de l’édifice et un mur en béton en dessous. La possibilité de la démonter pratiquement pierre par pierre pour la reconstituer « ailleurs », un peu plus loin, a également été envisagée avant de s’avérer trop onéreuse. Après de multiples études de faisabilité, c’est donc l’option de son transfert qui a été retenue.
« Pourquoi cette église précisément ? D’une part, c’était l’église du diocèse mais aussi l’édifice le plus grand et le plus imposant du vieux Most. Mais elle possède aussi un système de murs de soutènement tel qu’il était possible de la ‘tirer’. Concrètement, c’est un édifice qui possède deux systèmes de soutènement intérieurs et c’est pourquoi il est apparu que le plus simple serait de le conserver dans son intégralité. Autrement dit, l’aspect technique du projet a aussi joué un rôle très important. »
Toujours selon Jiří Sirový, c’est même d’abord cette caractéristique qui a prévalu et vaut à l’église de l’Assomption-de-la-Vierge-Marie de toujours « être là », jusqu’à aujourd’hui.
« Bien sûr, c’est une église qui avait aussi une grande valeur artistique, mais vous iamginet bien qu’aux yeux des autorités communistes, ce n’était pas là un élément déterminant. S’ils avaient raisonné sous cet angle, ils n’auraient pas rasé toute la vielle ville comme ils l’ont fait. Je dois aussi dire qu’il y avait à Most d’autres églises et monastères qui étaient bien plus beaux que cette église et qui auraient peut-être mérité davantage d’être sauvegardés. Mais pour les communistes, le plus important était avant tout de montrer au monde et à la société tchécoslovaque ce qu’ils étaient capables de faire. »
Mais avant d’aboutir à une solution technologique permettant de déplacer une construction longue de 60 mètres et lourde de près de dix tonnes sans l’endommager, six années de différents travaux de prospection, de projets d’étude et de préparation du chantier, dont le ministère de la Culture tchécoslovaque était le maître d’œuvre, seront nécessaires.
646 heures pour 841 mètres
Finalement, après avoir préalablement démoli la tour en trop mauvais état, coupé le corps de l’église de ses fondations d’origine en pierre et glissé des traverses en acier sous la maçonnerie, l’opération « transfert » - menée par l’entreprise TRANSFERA - démarre véritablement le 15 septembre 1975.
Grâce à un ingénieux système de châssis fabriqués dans les usines Škoda à Pilsen, le bâtiment est d’abord « levé » et « chargé ». Puis, le 30 septembre, le déplacement proprement dit est lancé sur une voie à quatre rails légèrement inclinée. L’église, sur le devant de laquelle un poste de commande vitré a été installé, se met alors en mouvement.
« À une vitesse de 2,16 centimètres/minute, de 1,30 mètre/heure ou encore d’environ 31 mètres/jour », comme le précise encore Jiří Sirový, le miracle est en marche... Près de cinquante ans plus tard, Ivana et Jana, deux touristes pragoises d’une soixantaine d’années en vacances dans la région d’Ústí nad Labem et de passage à Most, ne cessent de s’en étonner :
« Nous sommes ici pour la première fois et je dois dire que c’est avec beaucoup de nostalgie que nous avons effectué cette visite, car l’église a été déplacée quand nous étions petites. C’est donc un souvenir d’enfance et cela vaut vraiment la peine de venir ici, aussi parce que les explications du guide sont fantastiques. Quand nous avons décidé de venir passer quelques jours dans la région, nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas passer à côté et que c’était quelque chose qu’il nous fallait absolument voir. »
646 heures, soit 27 jours, seront nécessaires au déplacement de l’édifice sur 841,1 mètres. Et après la visite de l’église, qui se dresse désormais fièrement à proximité du lac de Most, dont les eaux de baignade parmi les plus propres de Tchéquie ont depuis quelques années symboliquement recouvert l’ancienne mine, à l’endroit même où se trouvait autrefois le vieux Most, Ivana et Jana ne peuvent s’empêcher d’exprimer une vive émotion :
Ivana : « Ce qui m’a fait la plus forte impression est de penser au régime qui était en place à l’époque dans notre pays et aux moyens qu’il a bien voulu mettre en œuvre pour sauver un édifice sacré aussi imposant pour le déplacer de quelques centaines de mètres. Ce n’est quand même pas une petite église, alors de penser à toute cette énergie et à tout cet argent dépensé, oui, c’est vraiment étonnant... »
Jana : « Me concernant, j’avoue que j’ai même versé une petite larme parce que je me dis que c’est presque un miracle. Il n’y avait pas d’ordinateurs et il suffit d’imaginer les moyens techniques et les possibilités qu’ils avaient à cette époque... C’est juste incroyable ! »
La seule trace visible du déplacement de l’église de l’Assomption-de-la-Vierge-Marie reste aujourd’hui son orientation : vers le sud plutôt que vers l’est. Comme si à Most, il n’était désormais plus besoin de prier pour que le soleil se lève et que la lumière revienne.
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